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Transcription : Mener des projets au sein du gouvernement du Canada, épisode 4 : La clé pour gérer l'approvisionnement dans le cadre de projets complexes, avec Paula Folkes-Dallaire
Myra Latendresse-Drapeau : Bonjour et merci beaucoup de vous joindre à nous pour le quatrième épisode de notre série de balados, Mener des projets au sein du gouvernement du Canada. Je m'appelle Myra Latendresse-Drapeau, je suis directrice de l'équipe d'innovation d'affaires à l'École de la fonction publique et aujourd'hui, je parle avec Paula Folkes-Dallaire, la directrice générale d'approvisionnement en défense, à Services publics et Approvisionnement Canada et on va parler de la direction de projets d'approvisionnement complexes au sein du gouvernement du Canada. Donc, merci beaucoup d'être ici avec nous, Paula. Comme beaucoup de nos auditeurs le savent, votre ministère est responsable de la direction de certains des plus importants projets du gouvernement du Canada et surtout, le ministère a mis en place d'excellentes pratiques qui vont assurer leur succès. Donc, aujourd'hui, vous allez nous parler de votre expérience avec la direction de grands projets d'approvisionnement, mais aussi de votre expérience avec les projets complexes et puis aussi les initiatives majeures du genre de celles qui sont menées en collaboration avec d'autres ministères, d'autres agences. Mais avant qu'on arrive à la discussion, est-ce que vous pouvez nous parler un peu de vous, de votre organisation et un peu de votre rôle dans la gestion de projets en tant que directrice générale qui est responsable des approvisionnements militaires?
Paula Folkes-Dallaire : Oui, bonjour Myra et bonjour de McLean, Virginie. Premièrement, je tiens à rendre hommage et à reconnaître que je suis actuellement sur le territoire traditionnel de la Confédération Powhatan, qui parle une langue algonquienne et dont les terres s'étendent au nord, jusqu'à Washington D.C. et au Maryland, à l'ouest, jusqu'à la baie de Chesapeake et au sud, jusqu'à la Caroline du Nord. Alors à ce poste, je suis responsable de la gestion de projets d'approvisionnement en matière de défense d'une valeur de plus de 4,5 milliards de dollars et de la gestion d'un programme de coopération internationale. Auparavant, pendant près de quatre ans, j'ai dirigé les activités d'approvisionnement dans le cadre de projets de capacités de futurs chasseurs. Je suis titulaire d'une maîtrise en administration publique. Je suis cadre depuis 12 ans et je suis certifiée Lean Six Sigma, niveau ceinture verte.
Myra Latendresse-Drapeau : Wow. Donc en fait vous êtes très familière avec la gestion des grands projets et vous savez que c'est une opération complexe. On aimerait que vous nous parliez un peu de votre expérience, donc avec la gestion de ces projets-là, et notamment en ce qui concerne plus précisément la conduite des projets de grande envergure.
Paula Folkes-Dallaire : Moi, je trouve que chaque projet important et complexe possède ses propres problématiques sur le plan de l'équilibre optimal, entre calendrier, portée et coûts. En général, on considère qu'un projet est réussi lorsque les délais, le budget et la portée sont respectés. Mais dans le cas de projets complexes et de grande envergure, même ceux qui font l'objet de contrôles très stricts, il peut être difficile de respecter les projections initiales dans ces trois domaines. Il est important de procéder régulièrement à un suivi et à une surveillance pour comprendre quel est le rendement dans chacun de ces domaines et de connaître le degré de flexibilité associé à chacune d'entre eux. Dans le cadre de projets complexes et urgents, vous pouvez entendre l'expression « priorité au calendrier » [riant], et je l'entends souvent dans mon travail. En tant que haut cadre, il est vraiment important de fixer des objectifs réalistes pour vos projets et de gérer les attentes. Je pense que le bon leader offre les marges et garanties nécessaires en amont aux équipes de projet pour qu'elles puissent faire le travail. Les bons leaders n'ont pas peur d'être transparents, lorsqu'un projet comporte des risques importants ou lorsque des choses ne se déroulent pas comme prévu. Il peut être très difficile d'informer ouvertement les ministres et leur cabinet, ainsi que les sous-ministres à propos de l'incertitude qui peut être associée à des plans d'action très risqués. En soulignant des risques, vous bénéficiez d'un excellent moyen de fournir les conseils nécessaires pour aider les décideurs à comprendre pleinement les répercussions de différents plans d'action sans dire non.
Myra Latendresse-Drapeau : Je trouve ça très intéressant. Maintenant, j'aimerais vous amener un peu sur, plus spécifiquement, la question des activités d'approvisionnement, parce qu'on sait qu'elles sont souvent les plus difficiles dans les projets. Est-ce que vous avez des conseils que vous pourriez donner à des chefs de projet pour qu'ils puissent justement gérer, peut-être plus facilement et plus efficacement, cette composante de l'approvisionnement?
Paula Folkes-Dallaire : C'est une bonne question. Mon premier conseil, le plus évident, est de faire appel dès le début à vos professionnels de l'approvisionnement. Les fonctionnaires chargés de l'approvisionnement peuvent vous conseiller sur la meilleure approche à adopter avant que vous ne vous engagiez trop loin dans la mauvaise direction. Invitez des professionnels de l'approvisionnement à prendre part à vos discussions techniques pour les aider à mieux comprendre les exigences, les solutions techniques disponibles sur le marché, les considérations industrielles et d'autres aspects qui les aideront, au bout du compte, à collaborer avec vous pour élaborer la stratégie d'approvisionnement qui convient le mieux. Sachant qu'il est nécessaire d'organiser des appels d'offres ouverts et transparents, et d'établir des exigences en matière d'équité, l'activité d'approvisionnement elle-même peut déjà être assez complexe, mais en particulier pour les marchés associés à des projets importants et complexes. Il peut même vous être demandé d'acheter un produit qui n'existe pas encore ou dont l'utilisation n'est pas encore éprouvée dans votre pays. J'ai aussi appris qu'il n'était pas toujours possible de réduire les paramètres techniques, mais certains paramètres sont incompressibles, pour des raisons scientifiques ou physiques. Si vous achetez un produit extrêmement technique, que vous devez construire de toutes pièces ou adapter à des circonstances uniques au Canada, les délais d'approvisionnement sont souvent plus longs que vous ne le pensez.
Myra Latendresse-Drapeau : Oui. Puis, on sait à quel point la planification des délais est importante dans la gestion de projets complexes. Vous l'avez déjà souligné à plusieurs reprises. Donc, dans votre expérience, quels seraient les autres facteurs qui peuvent avoir une grande influence sur les délais d'approvisionnement?
Paula Folkes-Dallaire : Plus votre projet sera complexe, plus l'approvisionnement pourra s'avérer également complexe. Pour tenir compte de certaines des exigences de ces projets, les délais peuvent être de plusieurs années et des études de faisabilité ainsi que des travaux d'ingénierie, de conception et de planification préliminaire peuvent même être nécessaires. Une fois encore, vous gérez mieux les aspects liés à votre approvisionnement et comprenant les contraintes strictes de votre projet.
Myra Latendresse-Drapeau : Oui, donc on revient à cette notion de familiarité avec tous les aspects du projet. Ça ne doit pas être évident pour des projets d'envergure comme ceux que vous avez donné. Donc, vous avez parlé de la gestion de projets importants, la gestion de projets complexes. Mais, j'imagine que cette complexité-là doit s'accroître encore plus lorsqu'on a besoin de la collaboration de plusieurs ministères. Est-ce que vous pouvez nous faire part d'observations qui sont tirées de votre expérience de la collaboration entre plusieurs ministères?
Paula Folkes-Dallaire : Oui, bien sûr. La collaboration interministérielle est essentielle dans la conception, la mise en œuvre et la gouvernance des projets et nous le constatons généralement dans les projets d'approvisionnement en matière de défense et dans d'autres projets horizontaux à grande échelle. Et face à des défis communs, tels que la cybersécurité. Les besoins concurrents des différents intervenants, le profil de risque plus élevé de ces projets et les compromis stratégiques entre les coûts, le calendrier et la portée nécessitent des perspectives de plusieurs ministères pour qu'ils soient pris en compte avec succès. Chaque grand projet aura son propre rythme de bataille sur le plan de la gouvernance. Lorsque plusieurs ministères collaborent, il est avant tout essentiel de faire circuler les informations et de mobiliser les bons niveaux. Si vous communiquez des informations dans votre équipe pour qu'elles puissent être transmises à un niveau opérationnel dans votre ministère, puis remonter jusqu'à vous, cela sera moins efficace qu'une communication bilatérale, à plusieurs niveaux, et prendra plus de temps pour les diffuser. Alors, évitez ces canaux de communication en forme de U et communiquez directement avec l'interlocuteur.
Myra Latendresse-Drapeau : Je pense que ça, c'est vrai dans beaucoup de domaines. Pas juste en gestion de projets.
Paula Folkes-Dallaire : Exactement.
Myra Latendresse-Drapeau : Je vais vous amener un peu sur la particularité de votre poste. Vous êtes implantée à Washington et ensuite, le gouvernement américain est à l'avant-garde en matière d'approvisionnement et en matière de gestion de projet agile. Donc, j'imagine que vous avez probablement beaucoup appris de cette expérience-là. Est-ce que vous pouvez nous parler de la façon dont le gouvernement américain applique ce modèle agile — un modèle dans lequel l'échec, les changements de portée, les redémarrages, les essais, erreurs, tout ça, font partie du processus comme tel?
Paula Folkes-Dallaire : Oui, bien sûr. Tout à fait, beaucoup de choses sont intéressantes à observer des deux côtés de la frontière. Grâce à notre programme de coopération internationale, j'ai l'immense plaisir de contribuer à réunir régulièrement des dirigeants pour qu'ils discutent de la manière dont leur nation fait face aux défis similaires. Nous constatons que la gestion de projets et l'approvisionnement avec une approche agile s'imposent dans l'ensemble des États-Unis, au niveau fédéral et au niveau des États. Dans la gestion de projets traditionnels, les exigences sont généralement fixes et seul le calendrier et les coûts sont modulables. Dans la gestion de projet agile, nous changeons la donne en estimant que les délais et les ressources sont fixes, mais que les exigences peuvent changer et évoluer. Par conséquent, la manière dont vous vous approvisionnez doit être très différente. Dans un processus d'approvisionnement traditionnel, une fois l'exigence établie, dont la demande de proposition et la période d'appel d'offre terminée, il est difficile de modifier l'exigence à ce stade.
Myra Latendresse-Drapeau : Oui, c'est fermé.
Paula Folkes-Dallaire : Exactement. Et il peut être très difficile d'intégrer la flexibilité nécessaire pour accueillir ceux dont vous avez réellement besoin. Plutôt que ce que vous avez demandé initialement. Il s'agit de gérer les attentes de soumissionnaires et de veiller à ce qu'ils sachent à l'avance qu'ils s'engagent à participer à un processus d'approvisionnement agile dans le cadre duquel les exigences peuvent changer.
Myra Latendresse-Drapeau : Oui.
Paula Folkes-Dallaire : L'autre difficulté consiste à convaincre les autorités qui délèguent les pouvoirs pour qu'elles soient plus à l'aise avec la nécessité de changer la façon dont on leur demande les pouvoirs en matière d'approvisionnement et de dépenses, pour réussir à adopter véritablement un processus agile.
Myra Latendresse-Drapeau : Oui, on sait que ça, c'est pas facile.
Paula Folkes-Dallaire : Oui. C'est un changement de culture. Pourtant, le changement est la marque de fabrique d'un processus agile.
Myra Latendresse-Drapeau : Et on voit que ça demande quand même un changement de perspective majeur. Donc, comment est-ce qu'on fait pour introduire cette flexibilité? Introduire plus de flexibilité dans les processus?
Paula Folkes-Dallaire : Ces dernières années, aux États-Unis, d'autres pouvoirs et approches se sont multipliés pour introduire un certain degré de flexibilité nécessaire, limiter les obstacles à la conclusion des marchés et accélérer certains types d'acquisitions. Par exemple, le modèle de pouvoir pour d'autres transactions est un modèle d'approvisionnement de plus en plus populaire pour les prototypes et les projets de recherche et de développement, qui s'adressent principalement aux petites entreprises et les entreprises en démarrage. Il est surtout exempté de certaines règles d'acquisition fédérales, ce qui en fait un modèle d'autorisation plus souple. Un autre exemple est le modèle de pouvoir d'acquisition de niveau intermédiaire, qui est une nouvelle voie pour les acquisitions en matière de défense. Elles mettent l'accent sur un prototypage rapide et une mise en service rapide pour fournir des capacités dans un délai plus court, idéalement dans les 2 à 5 ans.
Myra Latendresse-Drapeau : D'accord.
Paula Folkes-Dallaire : Une autre tendance qui s'est imposée aux États-Unis est la méthode Scrum.
Myra Latendresse-Drapeau : Oui.
Paula Folkes-Dallaire : Il s'agit d'un modèle de gestion de projet agile qui fournit un cadre pour les changements itératifs. Il est apparu dans le milieu du développement de logiciels, où l'on s'attend à réaliser des prototypes, des tests et des évaluations rapides et à voir les exigences évoluer.
Myra Latendresse-Drapeau : Oui.
Paula Folkes-Dallaire : Ce modèle peut être étendu à tout projet nécessitant un développement itératif et dans le cadre duquel les exigences et les solutions évoluent en raison de la collaboration entre des équipes inter fonctionnelles. Dans certains cas, l'industrie et le gouvernement travaillent ensemble au sein d'une même équipe.
Myra Latendresse-Drapeau : Mais oui, c'est intéressant comme modèle, ça.
Paula Folkes-Dallaire : Oui, j'ai pu être témoin, récemment, d'un exemple fascinant de ce type de collaboration dans le cadre d'un programme du système intégré d'extension des capacités visuelles de l'armée américaine, ou IVAS. Il s'agit principalement d'un casque de réalité virtuelle, avec un accès à des données en temps réel...
Myra Latendresse-Drapeau : O.K.
Paula Folkes-Dallaire : ...que les soldats peuvent utiliser pour se former, faire des exercices et combattre. L'armée américaine a utilisé ces modèles du pouvoir de substitution pour conclure des contrats avec des fournisseurs traditionnels et non traditionnels pour cette technologie.
Myra Latendresse-Drapeau : O.K.
Paula Folkes-Dallaire : Les soldats ont participé aux phases de conception et de test du produit, ce qui s'est avéré être une grande réussite. En outre, l'armée américaine estime avoir mis au point l'IVAS quatre ans plus vite, avec ce modèle plutôt qu'avec des méthodes d'acquisition traditionnelles.
Myra Latendresse-Drapeau : Wow. C'est quand même un gain considérable, donc, on voit qu'il y a vraiment des modèles intéressants qui se développent avec les projets agiles. Est-ce que dans ce contexte-là, l'approche de l'approvisionnement comme telle est particulièrement importante?
Paula Folkes-Dallaire : Il est peut-être important de définir des phases d'approvisionnement dans les projets agiles. Il arrive souvent que nous établissons des mécanismes de sortie après l'attribution des contrats et en cas de non-exécution, ou pour déterminer des conditions ou des bases et méthodes de paiement plus avantageuses qui sont mieux adaptées aux projets.
Myra Latendresse-Drapeau : D'accord.
Paula Folkes-Dallaire : Nous prévoyons la possibilité d'ajuster les indicateurs de rendement en utilisant des données des premières années d'exploitation des nouvelles technologies complexes, lorsque leur fonctionnement sera mieux compris.
Myra Latendresse-Drapeau : O.K.
Paula Folkes-Dallaire : Nous pouvons ajuster les indicateurs de rendement pour qu'ils soient plus adaptés aux phases ultérieures du cycle de vie. Nous pouvons également inclure la possibilité de revoir l'approvisionnement à la hausse ou à la baisse de biens ou d'un service particulier en fonction de l'évolution de nos besoins.
Myra Latendresse-Drapeau : Oui, donc encore une fois, c'est très flexible.
Paula Folkes-Dallaire : Oui, mais après la publication de la demande de propositions et avant l'attribution de contrats, il est plus difficile d'échelonner les approvisionnements et de déposer des mécanismes de sortie ou d'une capacité d'ajustement aux exigences, alors que cela peut être très utile pour disposer de la flexibilité requise. Il faut pour cela prévoir la flexibilité nécessaire à l'avance et il est rare qu'il faille modifier les règles d'approvisionnement. En revanche, il faut une meilleure compréhension de l'approvisionnement et des risques juridiques pour intégrer correctement ce degré de flexibilité à un stade précoce. Un autre excellent exemple de GSA, est le programme COMET – Chief Information Officer Modernization and Enterprise Transformation, qui a été mis en place pour fournir un processus rationalisé à l'appui de services d'exécution agile.
Myra Latendresse-Drapeau : Wow. Plutôt que de conclure un marché pour des services de bout en bout, le programme COMET conclut des accords d'achat généraux avec des adjudications multiples et des adjudications uniques. Ces accords sont ainsi établis pour différentes parties d'un plus grand projet de plusieurs millions de dollars visant à moderniser les systèmes d'approvisionnement, en arrière-plan de la GSA.
Myra Latendresse-Drapeau : Donc l'incertitude, puis les risques sont notamment, dans ce contexte-là, vraiment considérés comme des occasions d'en apprendre davantage sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, spécifiquement dans les méthodes agiles. Comment est-ce que vous avez vécu cette incertitude et les risques dans la gestion de projet agile? Puis, comment est-ce que ça influence votre propre façon de gérer les projets?
Paula Folkes-Dallaire : Nous rencontrons souvent des difficultés à faire ce qui est convenu de faire, par exemple, respecter le processus au lieu de faire ce qui convient.
Myra Latendresse-Drapeau : [riant]
Paula Folkes-Dallaire : Et l'approvisionnement agile peut être une solution. Cependant, vous ne pouvez pas procéder à un approvisionnement agile, si vous ne disposez pas d'une gouvernance agile, d'un financement agile, d'une main d'œuvre agile...
Myra Latendresse-Drapeau : [riant]
Paula Folkes-Dallaire : ...d'un leadership agile et d'une culture de gestion de changement bien évoluée, comme le modèle ADKAR. Si vous adoptez un modèle d'approvisionnement agile alors que votre culture n'est pas agile, vous êtes confronté à un problème très important.
Myra Latendresse-Drapeau : [riant] Oui.
Paula Folkes-Dallaire : Il est de la responsabilité des organisations et des dirigeants de mettre en place les conditions propices à l'adoption d'une culture agile. Cependant, comme cela nécessite une adhésion à la fois verticale et horizontale, il est incroyablement difficile d'atteindre ces succès avec efficacité à plus grande échelle. C'est pour cette raison qu'un grand nombre d'approvisionnements agiles et innovants semblent être isolés dans des périmètres maîtrisés d'organisation où les contrôles et les pouvoirs nécessaires sont intégrés.
Myra Latendresse-Drapeau : Oui, on entend souvent ce genre de remarques-là dès qu'il est question d'innovation. La difficulté de la mise en échelle, la difficulté d'intégrer une culture itérative ou innovante dans une culture préexistante. Donc, ma question est simple : comment est-ce qu'on s'en sort?
Paula Folkes-Dallaire : Oui, c'est une très bonne question. Les moyens de communication et d'habilitation du personnel chargé des acquisitions doivent être aussi novateurs que les méthodes d'approvisionnement. Pour combler le fossé entre la théorie et la pratique, le Federal Acquisition Institute des États-Unis fournit, par exemple, des ressources innovantes au personnel chargé de la passation des marchés, comme le tableau périodique des innovations en matière d'acquisitions.
Myra Latendresse-Drapeau : Ça doit être très utile, ça.
Paula Folkes-Dallaire : Oui. C'est très important de ne pas perdre ces outils, une fois utilisés. Bien qu'il soit encore en phase beta, lorsque l'environnement est propice à un approvisionnement agile, vous pouvez disposer de la flexibilité nécessaire lorsque les exigences changent, lorsque la technologie évolue au cours de votre processus, lorsque des micro échecs surviennent et qu'il faut en tirer des leçons, en revenant au point de départ.
Myra Latendresse-Drapeau : Oui.
Paula Folkes-Dallaire : L'agilité n'est pas nécessairement linéaire, j'imagine, comme un effet de boule de neige...
Myra Latendresse-Drapeau : [riant]
Paula Folkes-Dallaire : ...est itératif pendant un cycle constant de fonte des neiges [riant].
Myra Latendresse-Drapeau : Oui, c'est une bonne analogie. Et donc si je vous suis, en fait on revient encore à la question de la culture, donc une culture habilitante qui laisserait la place à l'itération et à l'innovation?
Paula Folkes-Dallaire : Oui, j'ai pu observer quelque chose d'intéressant au département américain de la Défense, responsable des mécanismes d'habilitation pour les acquisitions. La fonction Black Pearl dans la Marine américaine, Kessel Run, dans l'Armée de l'air, 18F...
Myra Latendresse-Drapeau : Oui,.
Paula Folkes-Dallaire : ...et le centre de ressources en matière d'innovation pour les approvisionnements de la GSA. Ces fonctions sont mises en place spécifiquement pour faciliter la mise en œuvre des pratiques innovantes en matière d'approvisionnement et de gestion de projets, comme la méthode agile, et pour obtenir la capacité qui convient pour le travail qui convient au bon moment.
Myra Latendresse-Drapeau : Donc, il y a toute une structure habilitante.
Paula Folkes-Dallaire : Exactement. Il n'est pas toujours facile de trouver des fournisseurs capables de travailler de manière agile et parfois, il n'y a pas de capacité à l'échelon national dans la demande de l'agilité. Et vous devez chercher des solutions en dehors de votre périmètre industriel. Aux États-Unis, les Services de l'armée ont commencé à organiser des concours et des journées de présentation, comme à AFWERX, SpaceWorks, NavalX et xTechSearch. Ces initiatives intéressantes visent à attirer de nouveaux fournisseurs qui, autrement, ne soumettraient peut-être pas d'offres pour les marchés importants, parce qu'ils ne peuvent pas être en concurrence avec les grands entrepreneurs traditionnels de la défense.
Myra Latendresse-Drapeau : Oui.
Paula Folkes-Dallaire : D'une part, cela élimine certaines barrières à l'entrée pour les petites entreprises et les entreprises en démarrage. Et, d'autre part, cela donne aux Services de l'armée la flexibilité de piloter et de tester des idées avant d'engager des investissements importants.
Myra Latendresse-Drapeau : C'est vraiment intéressant de voir à quel point ce système-là a su mettre en place des mécanismes pour justement favoriser ces approches-là. Donc, je pense qu'on en apprend beaucoup grâce à vous aujourd'hui, Paula, merci beaucoup. Avant qu'on termine cet entretien, est-ce que vous avez d'autres conseils à donner aux fonctionnaires qui sont, ici, chargés de gérer ou bien de diriger des projets complexes d'approvisionnement?
Paula Folkes-Dallaire : Merci pour cette question. Premièrement, mobilisez rapidement vos professionnels de l'approvisionnement. Faites participer vos responsables de l'approvisionnement aux discussions techniques pour leur donner les moyens de vous aider à mener à bien ce projet complexe. Soyez créatifs. Considérez les incertitudes qui se profilent comme des occasions d'innover, de repousser des limites et de créer des conditions propices à une gestion de projets et à des approvisionnements agiles. Informez dès le début et de manière exhaustive la haute direction, le niveau le plus élevé dans la hiérarchie, qui voudra vous écouter au sujet des risques liés à votre projet et à votre approvisionnement. Continuez à améliorer vos compétences, ne vous reposez jamais sur vos acquis. Il s'agit d'un investissement en vous, qui vous permettra de maximiser votre contribution dans l'organisation. Et finalement, soyez indulgents envers la personne que vous allez devenir. Intégrez autant d'agilité et de flexibilité que possible dans les différentes phases de votre projet, que ce soit dans le calendrier du projet, la demande de propositions ou la présentation au Conseil du Trésor. Ne vous mettez pas dans une situation difficile et ne mettez pas de bâtons dans vos propres roues.
Myra Latendresse-Drapeau : [riant] Je pense que ce sont de très sages paroles, Paula. Merci beaucoup des paroles qu'on peut appliquer dans différents contextes de gestion de projet ou non — projets agiles ou traditionnels. Je pense qu'on peut les retenir. Donc, merci encore pour votre temps, votre perspective, votre expérience. Et puis, bonne continuation.
Paula Folkes-Dallaire : Merci à vous, Myra, et merci à toute l'équipe.