Transcription
Transcription : Autour du feu, épisode 4 : Valeurs et enseignements autochtones - Une leçon pour tous en matière de leadership
Annie Leblond, École de la fonction publique : Bienvenue à l'épisode 4 du balado Autour du feu de l'École de la fonction publique du Canada.
L'épisode d'aujourd'hui est intitulé « Valeurs et enseignements autochtones : une leçon pour tous en matière de leadership ».
La plupart des fonctionnaires fédéraux connaissent Michael Wernick comme étant l'ancien greffier du Conseil privé. Et pourtant, sa carrière de 38 ans dans la fonction publique compte multiples collaborations avec des Aînés et leaders autochtones de partout au pays.
L'Aînée Commanda est Anichinabée de la Première nation Anishinabeg de Kitigan Zibi. Elle est également professeure à l'Université d'Ottawa.
Il est impossible de rendre justice aux carrières foisonnantes de nos deux invités en quelques secondes; c'est pourquoi je vous encourage à lire leurs biographies sur notre site web.
Vous comprendrez alors pourquoi, lorsque deux personnes d'une telle envergure s'assoient pour discuter, tout peut arriver!
En prenant comme point de départ ce qui est désormais connu comme étant Au-delà de 2020, nos invités discutent de l'importance cruciale de valeurs telles le respect et l'égalité, des principes du cercle de parole appliqués au leadership, de la compétence sous-estimée de diriger et de présider de bonnes discussions, de la signification spirituelle de l'humilité et de la valeur de cet enseignement traditionnel pour les leaders, du leadership des jeunes, et de bien d'autres choses encore.
Leur conversation porte principalement sur le pilier de l'inclusion d'Au-delà de 2020, un sujet très actuel à une époque la discrimination systémique est sur toutes les lèvres.
Avant de commencer, je veux remercier mon collègue Benoit Trottier d'avoir animé cette conversation.
Bonne écoute!
[Musique]
Claudette Commanda, Aînée anichinabée de Kitigan Zibi : Comme je participe à cet entretien sur le territoire de mon peuple, je voudrais commencer en disant [parle en anichinabemowin – Kwe Kakina...]. Je salue tout le monde avec le cœur et avec gentillesse. Bienvenue. Bienvenue à tous sur le territoire de mes ancêtres. Je vous salue au nom de ma nation et au nom de ma famille. Dans mes salutations et mes souhaits de bienvenue à tous, il y a aussi une prière pour la santé, une prière pour la sécurité, et le vœu que nous continuions d'avoir une attitude très positive. Nous allons surmonter cette pandémie de COVID. Nous sommes tous dans le même bateau, nous sommes unis ici. Cela a été dit assez souvent : nous sommes dans le même bateau. En effet, nous le sommes. Ce qui est important, c'est que nous gardions une attitude positive en sachant que nous allons tous bien, que nous sommes tous en bonne santé et en sécurité. [parle en anichinabemowin Kitchi migwetch...]. Je vous dis « merci » d'être ici aujourd'hui. Je vous remercie de m'avoir invitée à participer à cet entretien. Merci.
Benoît Trottier, Apprentissage sur les questions autochtones, École de la fonction publique : Merci beaucoup pour ces paroles de sagesse, Aînée Commanda. C'est un honneur pour nous d'être avec vous aujourd'hui. M. Wernick, souhaitez-vous dire quelque chose?
Michael Wernick, ancien greffier du Conseil privé : Je veux simplement souligner que je participe aussi à la conversation de l'autre côté de la rivière, soit sur le territoire traditionnel des Algonquins, et je veux saluer l'Aînée Commanda, que je connais depuis de nombreuses années. Je veux la remercier d'avoir lancé notre conversation de la bonne manière dans ce nouveau format technologique.
Benoît Trottier : M. Wernick, pour commencer, j'aimerais entendre un peu parler de la vision pour Au-delà de 2020. Comment ces piliers « plus agile », « plus inclusif » et « mieux outillé » ont-ils été créés, et quelle est la pensée derrière?
Michael Wernick : Je vais retourner un peu en arrière. La fonction publique, en tant qu'institution au service des gouvernements, existe depuis de très nombreuses générations. Les dirigeants de chaque génération, les personnes qui occupent des postes de responsabilité commencent à réfléchir de plus en plus à leur rôle de gardiens de cette institution. Quel que soit le rôle que vous jouez, vous voulez laisser l'équipe et l'organisation, l'institution dans laquelle vous travaillez, en meilleur état quand vous la quittez que quand vous y êtes entré. Vous voulez faire ce que vous pouvez pour vous assurer qu'elle est bien outillée et prête à relever les défis de l'avenir.
Chaque génération de dirigeants de la fonction publique a mené une sorte d'exercice, en réfléchissant à la fonction publique elle-même, à la manière de l'améliorer et de la faire perdurer. J'ai participé de différentes manières à ce projet et dans diverses fonctions. Certains se souviendront de l'initiative Objectif 2020 menée par l'un de mes prédécesseurs au poste de greffier. Cette initiative remonte à 2012 et 2013, à la suite d'une vague de réductions budgétaires assez serrées qui ont découlé de l'exercice du « DRAP »c'est-à-dire le Plan d'action pour la réduction du déficit. Nous avons mené une réflexion sur la direction que nous voulions donner à la fonction publique à l'avenir. 2020, qui semblait très loin à l'époque, a été prise comme une sorte de point de référence pour l'exercice, et l'initiative comprenait un plan de travail, des efforts et une mobilisation.
Lorsque j'étais au poste de greffier, c'était en 2017 et 2018, et 2020 arrivait très vite sur le calendrier. Nous voulions aller au-delà de l'échéance de 2020, et nous avons eu une longue conversation sur la manière de procéder. Nous avons décidé qu'il fallait laisser la question ouverte et faire participer les fonctionnaires à l'élaboration de leur vision de leur propre institution, de leur propre perception de leurs besoins, de leurs aspirations et de leurs valeurs. Nous avons donc vécu environ deux ans de mobilisation très intense dans de très nombreux cercles de conversation; des groupes d'intérêt plus formels, comme les syndicats et divers groupes d'employés, des groupes de jeunes; donc différentes communautés de fonctionnaires ont participé à toutes sortes d'aspects.
Ensuite, avec l'aide d'une équipe très compétente du Bureau du Conseil privé, nous avons essayé de distiller le tout en un ensemble assez compact de thèmes autour desquels nous pourrions organiser le travail et les efforts pour aller vers l'avenir, et nous avons trouvé Au-delà de 2020, avec ce sentiment : « Nous savons que nous allons au-delà de 2020 ». Nous ne voulions pas être trop normatifs sur ce que ça signifiait. Le plus souvent, les fonctionnaires nous ont dit qu'ils avaient besoin d'être ou qu'ils voulaient être une meilleure fonction publique et ça s'est retrouvé très facilement dans ces thèmes avec les éléments « agile », « inclusif » et « outillé ». Ces termes se prêtent à différentes organisations et à différentes personnes au sein de la fonction publique, au moment de l'élaboration des programmes et des plans de travail pour aller de l'avant. Cela peut concerner une petite unité de travail, tout un ministère ou l'ensemble de la fonction publique.
Benoît Trottier : Aînée Commanda, comment pensez-vous que le cercle de parole peut inspirer les dirigeants de la fonction publique à devenir plus inclusifs et à mieux habiliter leurs employés?
Claudette Commanda : Très bonne question. Lorsqu'on regarder les principes d'un cercle de parole, et en effet, parler en cercle est un élément fondamental d'une Première Nation, c'est plus que dans notre culture, c'est une partie de notre mode de vie. Ça fait partie de la façon dont nous faisons les choses. Il s'agit de rassembler les gens pour trouver des solutions ou même simplement pour être un miroir pour une personne qui souffre. Donc, pour reprendre les principes du cercle de parole, ce qui est le plus important, c'est le respect. Nous nous respectons. C'est une occasion de nous faire entendre. Nous avons la responsabilité d'écouter. L'écoute est très importante. Nous avons la responsabilité de comprendre. Nous avons cette responsabilité envers tous ceux qui font partie de ce cercle, envers chacun d'entre nous qui fait partie de ce cercle de parole. Nous avons cette responsabilité collective, mais nous avons aussi cette responsabilité envers nous-mêmes, ainsi qu'une responsabilité envers les autres. Dans ce cercle, tout le monde est égal. Il n'y a pas de titres. Ce cercle représente la vie. Il représente aussi le mode de vie. C'est une responsabilité collective.
Nos cercles de parole sont organisés dans le but de trouver une solution. Proposer des solutions; quelles sont les meilleures approches pour résoudre une situation ou pour faire avancer les choses? Et il n'y a pas qu'une seule personne qui détermine la solution, l'idée ou le processus. Le but de notre cercle de parole est de partir avec un bon état d'esprit. Prendre soin des autres avec compassion. L'écoute est la clé. Quelle que soit la question, ou la raison pour laquelle on se réunit dans le cercle de parole. Il faut commencer de la bonne manière, et terminer avec une attitude positive. Il est important de faire preuve de respect les uns envers les autres. Il est important de s'écouter les uns les autres. Il est important que nos sentiments d'honnêteté et de vérité fassent partie de ce cercle de parole. Ce que mes Aînés ont toujours dit, c'est que le respect est l'élément le plus important. Le respect de la personne qui parle et le respect des personnes qui font partie de ce cercle. C'est l'occasion pour chaque personne d'être entendue. Nous ne forçons personne à parler. Toutefois, nous offrons certainement des occasions, ou un moment, lorsqu'une personne souhaite s'exprimer. Nous utilisons également les sept enseignements sacrés dans nos cercles de parole. C'est une approche assez positive.
Nous utilisons nos cercles de parole dans différents forums. Même dans nos discussions politiques, nous les utilisons. Lorsque j'étais conseillère de bande pour ma communauté, nous avions des questions profondes dont nous devions discuter parce que nous sommes les chefs de notre communauté et que nous devons subvenir aux besoins de notre peuple. Nous avons la responsabilité de défendre les personnes que nous servons. Nos décisions sont prises par consensus. Mais surtout, avant de parvenir à un consensus, vous avez ce cercle de parole, et chaque membre à cette table ou à ce cercle – et en fait, nous avons tenu nos réunions en cercle, notre table était un cercle. Chaque personne a eu l'occasion d'exprimer ses préoccupations, ses sentiments ou sa solution. Encore une fois, il s'agit d'une question de respect et d'égalité.
Benoît Trottier : M. Wernick, que répondriez-vous aux fonctionnaires, aux dirigeants en particulier, qui vous diraient : « On n'a pas le temps d'en parler. On n'a pas le temps de créer un cercle, de recueillir des renseignements et de parvenir à un consensus »?
Michael Wernick : Eh bien, je ne pense pas que ce style de leadership soit encore très courant. Les gouvernements en général, tous les ordres de gouvernement, ont appris qu'ils ne peuvent pas simplement prendre des décisions à huis clos, puis les rendre publiques dans un communiqué de presse et une annonce, et s'attendre ensuite à ce qu'elles se concrétisent. Les gouvernements ont appris l'art de faire participer les personnes qui sont concernées par leurs décisions. Il y a eu beaucoup de progrès en matière de mobilisation, de consultation, de communication, de processus de délibération qui permettent aux personnes auxquelles nous en donnons le pouvoir de prendre ces décisions, ou les ministres, ou les députés et les personnes ayant une certaine autorité. Ce style de gouvernement existe depuis très longtemps déjà. Au sein de ce que l'on pourrait appeler la direction, l'idée d'une sorte de « grand patron », de PDG, promulguant des décrets par le biais de messages aux employés et s'attendant à ce que ces messages soient observés à la lettre, a largement disparu dans les secteurs privé et public au cours des deux dernières générations.
Compte tenu du rythme de fonctionnement du gouvernement, il peut être très difficile de trouver du temps et l'espace pour réfléchir. Les gens doivent apprendre ce que sont les outils et le type d'approches pour écouter. En ce qui a trait aux personnes en position d'autorité – j'utilise le mot « autorité » plutôt que « leadership », si vous avez un certain pouvoir de décision ou une certaine autorité dans votre organisation, même si vous n'êtes pas forcément au sommet, vous avez une certaine autorité à exercer. L'une des choses que vous avez, c'est la capacité de réunir des personnes. Vous avez la possibilité de convoquer des réunions, de mobiliser le personnel, de tenir des assemblées publiques, des séances de « questions et réponses ». Il existe diverses techniques pour ça. À mon avis, c'est un pouvoir sous-utilisé dont on sous-estime l'utilisation. Vous voyez ce que je veux dire : la possibilité de convoquer une réunion et de faire venir des gens, de lancer une discussion sur un sujet ou une conversation, puis d'écouter. Sans doute tout ce dont a parlé l'Aînée Commanda, l'importance d'une écoute respectueuse, de faire en sorte que les différentes voix puissent s'exprimer, nous pouvons peut-être explorer tout ça un peu plus en profondeur. Mais les personnes qui dirigent vraiment donnent le ton, elles créent le style, elles créent la culture organisationnelle, elles mettent en pratique les valeurs, elles créent des attentes qui font que les gens veulent être comme elles et les imiter. Ou, si ce sont vraiment de mauvais dirigeants, les gens apprennent d'eux. Vous savez, « je ne veux pas être comme cette personne, je serai différent quand j'aurai l'occasion de diriger ». Il y a beaucoup de choses que les gens peuvent faire. Il faut y travailler. Vous devez essayer de trouver l'espace et le temps pour ce genre d'écoute et de mobilisation, que ce cercle soit sous forme d'une rencontre en personne ou que ce soit au moyen d'une vidéoconférence sur Zoom. Je pense que ça fait partie du leadership au XXIe siècle.
L'une des compétences qui est également sous-estimée est celle de diriger et de présider une discussion. Quelqu'un doit convoquer la réunion, et généralement une personne va guider la conversation du début à la fin, et faire une sorte de bilan. Beaucoup de gens tiennent ça pour acquis. Il y a beaucoup de réunions mal présidées, très médiocres qui font perdre beaucoup de temps aux personnes présentes ou qui font en sorte que la conversation est toujours dominée par les mêmes personnes. La capacité de présider une réunion et d'en tirer une décision, ou une sorte de consensus sur la suite des événements, peut en fait s'apprendre et s'enseigner. Je pense qu'il y a une sorte de compétence à présider des réunions sur laquelle il faut travailler – ce qui est pertinent pour notre conversation d'aujourd'hui – qui consiste à s'assurer que toutes les personnes autour de cette table ou de ce cercle sont écoutées. Il y a des questions de genre, de culture, de génération. La tendance dans les réunions est que quelques personnes dominent la conversation ou que les gens s'en remettent trop à la personne qui a le pouvoir à la table. Ça vaut la peine de travailler sur la manière de conduire et de présider une conversation qui se rapproche d'une discussion en cercle.
Benoît Trottier : Si je me réfère aux sept enseignements sacrés, on a établi, Aînée Commanda, qu'appliquer ces enseignements pourrait aider les dirigeants de la fonction publique à inspirer d'autres dirigeants. Il y a quelque chose avec l'humilité qui n'est pas nécessairement lié à une position d'autorité. Les gens considèrent l'humilité comme une position de faiblesse. Que diriez-vous de cet enseignement en particulier, notamment du point de vue du leadership?
Claudette Commanda : Eh bien, laissez-moi vous expliquer : Mon grand-père, feu William Commanda, a été chef, le leader élu de notre communauté, pendant environ 25 ans. Puis il s'est retiré de ce rôle pour assumer son rôle héréditaire. Qu'il ait été ce chef politique ou ce chef spirituel, c'était un homme très humble. L'humilité. Il ne s'est jamais, jamais mis en avant. Il a toujours fait passer le peuple en premier. L'humilité n'est pas un signe de faiblesse. C'est en fait un signe de force. Nous avons un mot dans ma langue, notre langue, la langue algonquine : Oguitchidaa. Il vient de la racine Ogui. Ogui signifie « le cœur », et nous utilisons ce mot, Oguitchidaa, pour un chef. C'est un mot approprié pour désigner quelqu'un qui dirige, quelqu'un qui représente le peuple. Parce que vous donnez de votre cœur, vous donnez de votre vie pour le peuple. L'humilité. Vous connaissez vos forces et vos faiblesses, et vous n'avez ni honte ni peur d'admettre vos faiblesses. Nous sommes tous des humains. Nous apprenons tous par les épreuves et les tribulations. L'enseignement de l'humilité en tant que l'un des sept enseignements sacrés, la compréhension ou la signification spirituelle de l'humilité, ce que ça signifie, c'est : « Sachez que vous êtes tous égaux aux autres, y compris la nature, ni plus ni moins ». Chacun d'entre nous est une partie sacrée de la Création. Savoir ça, c'est de l'humilité. Nous y voyons aussi le fait qu'il existe une puissance supérieure, le Créateur. Nous avons notre Terre mère et notre Soleil, et la Lune, et tout ça correspond au « Créateur ». Nous en faisons tous partie. Comme mon grand-père et les Aînés le disaient toujours, l'unique puissance suprême, le pouvoir souverain, c'est le Créateur. En tant qu'êtres humains, nous sommes tous égaux et nous faisons partie de cette Création sacrée.
Pour revenir à l'humilité et à la façon dont nous utilisons cette valeur en tant que leaders, nous ne nous mettons jamais en avant. En fait, vous êtes au service du peuple, vous devez toujours vous assurer que vous prenez soin des gens. Quand nous marchons devant le peuple, ce n'est pas à cause de notre titre, mais parce que nous protégeons le peuple. J'ai vu mon grand-père marcher devant nous, mais c'était parce qu'il avait la responsabilité de protéger le peuple. Ceux d'entre nous qui marchaient avec lui. Alors l'humilité, c'est une force. Absolument. Lorsque vous comprenez le vrai sens de l'humilité, de cette manière philosophique ou spirituelle, les gens comprennent que ce n'est pas un signe de faiblesse, mais plutôt un signe de force. Parce que les vrais leaders, qu'ils soient politiques ou spirituels, quel que soit le type de leader, doivent toujours s'appuyer sur ce fondement de modestie. Et ce fondement d'humilité. Car en effet, c'est de là que vient la force.
Benoît Trottier : M. Wernick, je vous ai entendu insister, à plusieurs reprises, sur le fait que nous étions tous des fonctionnaires. Voulez-vous réagir à ce que vient de dire l'Aînée Commanda?
Michael Wernick : Je suis tout à fait d'accord, et je remercie l'Aînée Commanda pour tout ce qu'elle a dit. Je voudrais juste ajouter quelques réflexions sur le thème de l'humilité. L'un de ses aspects est le style personnel. Lorsque vous êtes en position d'autorité, les gens vous regardent et vous observent en quelque sorte, et ils captent des signaux, que ces signaux soient intentionnels ou non. Je pense qu'il est important d'être plus attentif à ce que l'on projette aux autres à mesure que l'on apprend. Ainsi, votre style, votre accessibilité, votre amabilité, votre civilité, font une grande différence dans la façon dont vous vous comportez. L'autre aspect de la question – et il est lié, bien sûr, à certaines autres valeurs – est que l'humilité consiste à admettre que l'on ne sait pas tout, que l'on n'a pas toutes les réponses, que l'on doit apprendre et que d'autres personnes peuvent nous apprendre des choses.
Les personnes qui accèdent souvent à des postes d'autorité sont le genre de personnes qui ont eu des commentaires positifs pendant toute leur vie. Elles étaient bonnes à l'école, elles avaient de bonnes notes, elles ont obtenu des emplois, elles ont eu des promotions. Elles ont essentiellement, vous savez, atteint le sommet, ce qui est en grande partie un commentaire positif. Cela a tendance à leur donner un excès d'amour-propre. Parfois, ce qu'il faut apprendre en cours de route, c'est que malgré tout ce succès, on ne sait pas tout. Vous n'êtes pas toujours la personne la plus intelligente de la pièce. Vous n'avez pas tout ce qu'il faut pour faire le travail. Le fait d'avoir l'esprit et le cœur ouverts aux autres peut vous apprendre des choses et constitue une part importante d'humilité. Cela devient une force parce que vous pouvez tirer parti des expériences et de la sagesse des autres membres de l'équipe et des discussions que vous avez. C'est une forme de production participative, et vous finissez par prendre de meilleures décisions.
Benoît Trottier : M. Wernick, dans votre expérience de négociation, de travail et de collaboration avec les leaders et les Aînés autochtones, qu'avez-vous appris d'eux?
Michael Wernick : C'est un vaste sujet. J'apprécie la question. J'ai eu la chance de travailler dans le domaine des questions autochtones, comme nous avons tendance à l'abréger, très tôt dans ma carrière, juste au début, et j'ai occupé différents postes dans divers ministères pendant environ 35 ans.
Deux choses :
Ça m'a ouvert les yeux sur un côté et une facette du Canada que jusqu'à récemment, et sans doute encore, trop peu de Canadiens connaissent. On peut grandir dans les grandes villes du Sud du Canada et ne pas vraiment connaître le Canada autochtone, ce que vivent nos frères et nos sœurs des communautés autochtones, comment ils voient les choses, etc. J'ai été exposé très tôt à ce fait, qui est une partie si importante du tissu de notre pays, et ça a influencé ma façon de penser à toutes sortes de questions sur lesquelles j'ai travaillé au fil des ans.
En termes de leadership, pour revenir au sujet d'aujourd'hui, j'ai vu beaucoup de processus politiques, et j'ai vu des interactions entre les membres des Premières Nations et les représentants de la Couronne, le gouvernement dans lequel je travaillais. Et la génération de dirigeants politiques qui a obtenu les protections constitutionnelles en 1982, qui s'est battue pour la première vague de règlements de revendications territoriales et d'ententes sur l'autonomie gouvernementale, cette génération du baby‑boom, comme on l'appellerait, a fait preuve non seulement d'un grand courage, mais aussi de persévérance et de résilience.
Quand je pense aux revers tout au long du parcours – et aux percées qui ont débouché sur des revers, etc. – les leaders autochtones de la sphère politique, qui est le groupe que je connais le mieux depuis longtemps, font preuve d'une patience et d'une persévérance incroyables, ainsi que d'une grande résilience afin de continuer d'aller de l'avant et de travailler fort pour leur communauté et leur peuple, malgré les revers. Ils font très rarement preuve de colère et de mécontentement, et même si ces sentiments sont présents, ils se reprennent et continuent de travailler pour un avenir meilleur. Je pense avoir assimilé inconsciemment, plus que consciemment, au fil des ans, un réel respect pour la persévérance et la résilience, et j'ai continué de le faire malgré certains revers en cours de route.
Benoît Trottier : Pour ce qui est de prévoir l'avenir. Pensez-vous que les leaders autochtones ont quelque chose à nous apprendre, Aînée Commanda?
Claudette Commanda : Oui, je suis sûre que vous avez entendu l'expression « apprentissage continu ». C'est l'une de nos convictions, ainsi que notre façon de comprendre le processus ou les étapes de la vie. Nous apprenons du moment où nous arrivons dans ce monde jusqu'au moment où nous le quittons. Nous acquérons des connaissances par l'expérience. Le savoir crée les compétences, et nos expériences vécues sont vraiment importantes. J'ai certainement appris de ces Aînés avant moi, de ces leaders avant moi aussi. Si je n'avais pas eu la possibilité de vivre cette expérience, je ne serais pas dans la position dans laquelle je me trouve actuellement, à savoir que c'est à mon tour de mettre mes connaissances, mes compétences et mon expérience au service de la jeune génération. La connaissance, c'est le pouvoir. Il s'agit de renforcer l'expertise. Il s'agit d'acquérir de l'expérience. Il s'agit de développer des enseignements. Il s'agit de donner du pouvoir, mais un pouvoir dans le bon sens, par lequel nous avons une responsabilité à partager, à enseigner à nos enfants ou à ceux de la jeune génération. Je vais vous donner un exemple. Comment un enfant apprend-il à faire des choses? Il apprend grâce à des enseignements et à l'expérience pratique. Oui, nous ferons des erreurs, nous ne sommes que des êtres humains.
J'apprécie que M. Wernick ait contribué à l'enseignement sur l'humilité. C'est tellement vrai qu'il est correct de dire « Je ne sais pas comment ». Nous apprenons comment en demandant. Nous apprenons comment en regardant, nous apprenons comment faire par des expériences pratiques. C'est tellement, tellement important. Tout récemment, j'ai emmené un de mes petits-enfants avec moi. Nous nous sommes promenés dans la forêt avec mon petit-fils de cinq ans pour lui apprendre ce que nous faisons au printemps, comment nous faisons cette offrande de tabac dans l'eau. Alors je lui ai appris, et je lui ai donné du tabac. Il a dû mettre le tabac à l'eau. Cinq ans, mais il apprend. Il apprend ceci, et c'est ainsi qu'on pratique l'apprentissage. C'est ainsi qu'on enseigne, et qu'on apprend les uns des autres. C'est tellement important, et ça fait de nous des leaders plus forts lorsque nous apprenons de nos Aînés, lorsque nous apprenons de ces leaders qui nous ont précédés, lorsque nous apprenons ces leçons.
Je sais que j'ai pris un long détour pour répondre à la question. Je vois ça comme la roue médicinale. Il s'agit du processus ou des étapes de la vie. À chaque étape de la vie, on acquiert des enseignements et des compétences, nous avons des rôles et des responsabilités. Lorsque nous en sommes enfin à un stade de notre vie – et nous dirons que c'est la quatrième étape de notre vie, qui est le vieillissement – nous sommes sur cette base, une base plus solide de connaissances. Par conséquent, les idées qui nous ont été transmises par nos Aînés et par ces anciens leaders, ou ces leaders passés, en fait, leurs compétences et leurs connaissances, nous continuons de les porter en nous. Cela nous permet de nous assurer que nous faisons ce qu'il faut pour les personnes que nous servons, pour nos enfants, nos familles, notre nation et pour la société dans son ensemble.
Benoît Trottier : Plusieurs générations, M. Wernick, qui travaillent bien ensemble au sein du gouvernement, est-ce que ça peut représenter des difficultés?
Michael Wernick : Permettez-moi de répondre en deux volets. Si vous voulez bien être patient avec moi. Je veux m'appuyer sur les commentaires de l'Aînée Commanda. Parce que je pense qu'à bien des égards, le respect entre générations doit fonctionner dans les deux sens. Je suis d'accord avec tout ce qu'elle a dit sur le fait d'honorer l'expérience et les possibilités qu'ont les Aînés et les personnes ayant une expérience de la vie de transmettre des choses qui sont précieuses aux jeunes qui arrivent. Mais je pense que l'inverse est également vrai, que les jeunes apportent de l'énergie et du courage, et qu'ils sont généralement les acteurs principaux du changement social. Nous avons cette conversation en juin 2020. Le leadership en matière de changement climatique, qui fait une grande différence, est venu d'une jeune Suédoise, Greta Thunberg. Le leadership sur les questions de contrôle des armes à feu aux États-Unis est venu d'élèves du secondaire. Les jeunes sont à la tête de la vague de protestations qui a commencé autour de l'injustice raciale et du maintien de l'ordre. Alors parfois, ce que nous, les anciens, devons faire, c'est nous écarter du chemin, puis laisser les jeunes mener et les soutenir de toutes les manières possibles à mesure qu'ils avancent.
La chose la plus importante que nous puissions faire est probablement de transmettre des valeurs et des points de vue. Des savoirs spécifiques sont susceptibles de devenir obsolètes et d'évoluer, et nous essayons constamment d'apprendre de nouvelles connaissances techniques, mais nous pouvons transmettre des valeurs. La plupart de vos auditeurs sont trop jeunes pour s'en souvenir, mais il y a une vieille chanson de Crosby, Stills, Nash and Young qui dit : « Teach your children well », apprenez bien à vos enfants. En réalité, il s'agit surtout de la transmission de valeurs. Et ça concerne la fonction publique. Il y a des valeurs fondamentales de la fonction publique et des institutions du secteur public qui se transmettent de génération en génération, et il y a une capacité, je pense aussi, à travailler ensemble dans les lieux de travail, de la génération du baby-boom à la génération Y, et maintenant la génération iPhone, pour apprendre les uns des autres et se respecter. Oui, il est important que les jeunes montrent un peu de respect et d'égard envers les plus âgés et leurs expériences, mais je pense que les plus âgés doivent être sur leurs gardes pour ne pas devenir cyniques et blasés, et être ouverts, et écouter et respecter la contribution que les plus jeunes membres de l'équipe peuvent apporter.
Claudette Commanda : Il faut offrir des possibilités à la jeune génération. Cela ne fait aucun doute. Absolument. Car si une communauté n'offre pas à la jeune génération la possibilité d'apprendre des Aînés, notre savoir culturel stagnera. Je crois fermement à l'inclusion et à la valorisation. Les personnes doivent être incluses. Les personnes doivent être valorisées pour ce qu'elles sont, pour ce qu'elles peuvent offrir. Nous apprécions nos Aînés pour leurs connaissances, leurs expériences vécues, nous les avons placés comme nos experts, comme nos leaders et nous respectons leur orientation. Car ce sont leurs expériences et leurs connaissances, transmises d'une génération à l'autre, qui permettent à la jeune génération d'apprendre et d'acquérir un savoir. Nos Aînés offrent la possibilité aux autres de partager leur opinion et leurs conceptions. Il est vraiment important que la jeune génération soit incluse dans la transmission et l'apprentissage. Je crois fermement que, quel que soit le succès d'un programme ou d'une approche, il faut toujours faire place à l'amélioration. Absolument. Pourquoi? Parce que je vois les choses de cette façon : Il est important de respecter l'expertise. Sans connaissance, il n'y aurait pas d'expérience, et sans expérience, il n'y aurait pas d'espace de compétences, et sans compétences, il n'y aurait pas de succès. Si nous voulons réussir et poursuivre le succès que nos ancêtres ont toujours eu, nous avons la responsabilité de veiller à ce que la jeune génération ait la possibilité de participer à tout processus. Les enseignements sont le fondement; les enseignements, et les rôles et responsabilités. Ce que nous disons, c'est « Vous allez fixer les règles de participation », pour le dire ainsi, car il s'agit d'un processus collectif. Il s'agit d'un processus de mobilisation.
Benoît Trottier : M. Wernick, dans l'initiative Au-delà de 2020, l'un des piliers insiste sur la nécessité de l'inclusion. Comment les dirigeants peuvent-ils apprendre à devenir plus inclusifs?
Michael Wernick : Je suis heureux que vous posiez la question parce que je veux parler un peu de l'inclusion en tant que valeur de la société canadienne. La fonction publique fait partie du pays et de la société qu'elle sert. Environ un Canadien sur cinq travaille pour le secteur public, pour le gouvernement fédéral, provincial, municipal ou un gouvernement autochtone. Nous faisons donc partie de la société, et nous sommes façonnés par la façon dont la société évolue autant que nous influençons la société par ce que nous faisons. Une des choses qui me rendent optimiste – et je veux laisser un certain optimisme aux gens qui écoutent – est que lorsqu'on regarde nos empreintes dans la neige, et qu'on voit d'où on vient, au cours des deux générations que ma carrière représente, on a vu un énorme changement dans la valeur de l'inclusion au sein de la société canadienne.
Si l'on se penche sur la fonction publique que j'ai rejointe et sur celle que j'ai quittée, on constate une énorme évolution dans la façon dont on pense aux femmes et au rôle des femmes dans le leadership. Nous sommes une fonction publique beaucoup, beaucoup plus équilibrée qu'avant entre les sexes. Il y a eu un énorme changement pour les Canadiens de la communauté LGBTQ. Pendant longtemps, la fonction publique a été un lieu de travail ouvertement hostile et discriminatoire; les gens risquaient de perdre leur cote de sécurité et d'être renvoyés. J'ai été fier de prendre part à la présentation d'excuses à ces employés lorsque j'étais greffier. Pour ce qui est de l'attitude envers la santé mentale, la stigmatisation associée à la maladie mentale, nous avons participé à une conversation nationale sur la santé mentale et le bien-être. Et bien sûr, concernant la conversation sous-jacente au sujet d'aujourd'hui, qui est la réconciliation entre les Canadiens autochtones et non autochtones, nous avons fait beaucoup de progrès à ce sujet au cours des 30 à 40 dernières années. Il est évident qu'en ce qui concerne tous ces sujets, il reste beaucoup à faire. Mais nous avons vu une évolution au Canada vers des cercles d'inclusion toujours plus larges et vers l'intégration d'un plus grand nombre de personnes dans la société. Ce qui vous amène à la fonction publique, et aux personnes qui sont en position d'autorité et de leadership. Ces personnes doivent faire ce qu'elles peuvent pour s'assurer que les personnes qui se joignent la fonction publique font partie des équipes qu'elles dirigent et que ces personnes sont respectées et écoutées.
Benoît Trottier : Aînée Commanda, souhaiteriez-vous ajouter quelque chose sur ce sujet en particulier?
Claudette Commanda : J'apprécie vraiment que M. Wernick parle d'inclusion. La vie est en constante évolution. Je pense qu'il est vraiment important qu'il y ait toujours un espace prévu pour l'inclusion de toutes les personnes, indépendamment de la couleur, de la croyance, du titre, de la communauté ou autre, quel que soit le groupe qu'elles représentent. Je reviens à ce en quoi je crois, à savoir l'inclusion, l'intégration et la valorisation. Les personnes doivent être valorisées. Elles doivent être incluses. Nous ne pouvons laisser personne de côté. Quand je regarde les Premières Nations... Nous, dans nos communautés, nous évoluons aussi, pour nous assurer que nous incluons toutes les personnes de tous les horizons. Je reviens à cette question tout à l'heure sur le leadership et l'importance de nos Aînés. Encore une fois, j'apprécie la façon dont nous avons parlé – M. Wernick et moi avons parlé de la jeune génération. Il est tellement vrai que nous avons des rôles et des responsabilités en tant qu'Aînés et en tant que jeune génération. En tant qu'Aînés, nous avons des rôles et des responsabilités pour veiller à transmettre nos connaissances et nos valeurs à la jeune génération. La jeune génération a le rôle et la responsabilité de respecter ça.
En même temps, j'ai entendu mes Aînés dire que nous ne pouvons pas garder nos connaissances pour nous, nous ne pouvons pas garder nos enseignements pour nous, qu'ils sont destinés à être transmis, et que nous devons faire de la place pour la jeune génération. La jeune génération, ce sont les apprenants et, par essence, les futurs leaders. Nous devons veiller à ce qu'ils soient inclus dans tous ces processus ou toutes ces étapes de la vie, afin qu'ils bénéficient des meilleures occasions et des savoirs et de la sagesse dont ils ont besoin. Pour qu'ils puissent prendre la place qui leur revient en tant que leaders. Il n'est pas nécessaire d'avoir un certain âge pour être un leader, ni d'avoir un âge particulier pour être un aîné.
J'apprécie également de voir le changement non seulement au sein du gouvernement, mais aussi dans la société. La façon dont les jeunes façonnent les différentes normes ou valeurs de la société, parce qu'on leur donne cette possibilité, on leur donne de la latitude, on leur donne le temps de faire entendre leur voix. Ils apportent des changements non seulement pour eux-mêmes, leur génération, mais aussi pour la génération future. Cela me fait vraiment plaisir. Nous faisons tous partie du changement. Nous participons tous au changement. C'est une responsabilité que nous avons, quel que soit l'âge que nous avons, vieux comme jeunes. Nous faisons tous partie du changement, et le changement va venir, et nous prions pour que ce soit un bon changement.
Benoît Trottier : Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez accordé, Aînée Commanda et M. Wernick. Ce fut un privilège d'avoir cette conversation avec vous aujourd'hui, et je pense qu'elle inspirera les dirigeants et tous les fonctionnaires.
Claudette Commanda : Merci.
Michael Wernick : Merci de nous avoir invités.
[Musique]
Annie Leblond : Ce balado est une production de l'École de la fonction publique du Canada.
Pour en savoir plus sur l'apprentissage sur les questions autochtones, visitez notre site Web au www.efpc-csps.gc.ca. Vous avez une idée de balado à nous proposer? Écrivez-nous dans la section Contactez-nous du site Internet de l'École.
Ici Annie Leblond, et au nom de l'École, je vous remercie de nous avoir écouté.