Transcription
Transcription : Comment survivre comme cadre, saison 1, épisode 3 : Comment diriger une équipe avec calme et authenticité, avec Valerie Gideon, Ph.D.
Valerie Gideon : L'opportunité de contribuer au futur du pays, sachant que mes deux filles sont aussi membres des Premières Nations. Quand elles auront mon âge, je suis convaincue que le travail qu'on fait présentement va assurer un meilleur avenir pour elles, leurs enfants et leurs petits-enfants.
Julie Blais Comeau : Vous aimez votre travail de cadre, mais celui-ci apporte son lot de défis. Vous tentez de maintenir un équilibre entre votre travail et votre vie personnelle. Bonjour, ici Julie Blais Comeau. Bienvenue à Comment survivre comme cadre. Je reçois Valerie Gideon, Ph. D., membre de la Nation Mi'kmaq de Gesgapegiag. Elle est sous-ministre adjointe principale à la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits de Services aux Autochtones Canada. Mme Gideon partagera son expérience et ses meilleures pratiques pour diriger une équipe avec calme et authenticité.
Bonjour Madame Gideon. Vous êtes une femme tellement occupée ces jours-ci, avec la pandémie de COVID-19. Nous sommes au sein de ce mouvement antiraciste et, de plus, nous sommes au début du Mois national de l'histoire autochtone. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Est-ce que vous pourriez nous dire quel est le plus grand défi quand on est cadre dans la fonction publique du Canada?
Valerie Gideon : Je pense qu'un des plus grands défis, c'est qu'il y a beaucoup d'attentes envers nous. On doit avoir beaucoup de différents types de compétences. Certaines politiques sont très complexes. On doit travailler avec le côté politique, mais garder une position très neutre. Ça prend des capacités de communication interne et externe très fortes. Que ce soit la négociation avec des partenaires, les agences centrales, nos gestionnaires et, bien sûr, nos propres employés. On doit avoir une approche très respectueuse et inclusive. On travaille avec des générations d'employés qui sont très différentes, mais on a aussi beaucoup de jeunes fonctionnaires, et leurs attentes sont très différentes. Ils s'attendent à avancer très rapidement dans leur carrière. Quand on travaille dans le secteur privé, c'est plus spécialisé. En général, la clientèle est moins diverse. Alors, je dirais qu'être cadre dans la fonction publique, c'est souvent plus complexe comme travail.
Julie Blais Comeau : Ça semble très complexe. Justement, ces jeunes qui arrivent dans la fonction publique et qui veulent gravir les échelons rapidement, qu'est-ce que vous leur diriez?
Valerie Gideon : Ça prend du temps pour développer ses réseaux. Le réseautage, c'est la façon de survivre au sein de la fonction publique. On dépend beaucoup de nos collègues. On dépend beaucoup de nos collaborations interministérielles. Si les jeunes avancent trop rapidement, il leur sera impossible de développer toutes les compétences et le réseau nécessaires pour que leurs carrières soient soutenables. Ça me fait toujours peur quand je vois des jeunes qui avancent très rapidement, mais après, ce que je remarque, c'est qu'ils restent au même niveau pendant plusieurs années, parce qu'il leur manque une diversité d'expérience.
Julie Blais Comeau : Concernant cette diversité d'expérience : vous êtes une femme avec un héritage autochtone. Vous êtes une femme qui a évolué, avant, au sein des Premières Nations. Maintenant, tournons-nous, parlons ensemble. Adressez-vous à une jeune femme autochtone qui a en elle cette mission de servir, d'aider et qui envisage de travailler pour la fonction publique du Canada.
Valerie Gideon : C'est intéressant comme question, parce que j'offre du mentorat à plusieurs jeunes femmes autochtones. Justement, l'une d'entre elles rêve de devenir la première greffière autochtone au sein de la fonction publique.
Puis, ce que je conseille, c'est vraiment de prendre du temps pour essayer d'avoir une perspective à travers les différente facettes de l'expérience. Par exemple, « Travaille en communauté, ou travaille pour un organisme à but non lucratif qui travaille pour le même dossier auquel tu veux contribuer durant ta carrière. Quand tu entres dans la fonction publique, travaille du côté opérationnel et du côté de l'analyse des politiques. Essaie différents aspects du dossier pour que, quand tu vas avoir un poste de leadership, tu vas vraiment pouvoir comprendre les différentes perspectives. Tu vas avoir la capacité d'avoir une empathie que tu peux seulement avoir si tu l'as appris de ton expérience. Puis, en plus, tu vas avoir beaucoup de crédibilité, en comparaison avec tes pairs. Tu vas avoir une expérience qui va être beaucoup plus enrichie que si tu travailles sur un seul aspect ou dans une seule organisation dans ce dossier. »
Julie Blais Comeau : Alors, pouvoir voir les deux côtés de la médaille. Vous nous parlez aussi de la communication comme étant nécessaire, autant avec les jeunes qu'avec ceux et celles qui s'en vont à la retraite : pouvoir communiquer avec la diversité. Est-ce que la communication, c'est quelque chose qui se cultive, qui s'apprend au fil du temps? Comment peut-on peut développer ces habiletés?
Valerie Gideon : Absolument, ça s'apprend, mais la façon dont vous communiquez reflète vraiment de votre habileté à comprendre votre auditoire. L'auditoire peut être constitué d'employés, de représentants syndicaux... ça peut aussi être le bureau du ministre ou les dirigeants des communautés. C'est seulement à travers l'expérience qu'on peut gagner de la confiance à tous ces niveaux.
Il faut prendre des risques. Il faut prendre une chance.
Je travaillais avec une infirmière autochtone. Je l'ai invitée à participer, avec moi, à une assemblée générale qui était diffusée en direct par 150 stations de radio autochtones et par le réseau télévisé pour les populations autochtones. Elle ne le savait pas, quand elle avait accepté mon invitation. Quand elle l'a réalisé, c'est sûr qu'elle a eu une nervosité et qu'elle a dit : « Oh, mon Dieu...je ne sais pas... »
Elle a été fantastique. Maintenant qu'elle a eu cette expérience, elle a confiance en elle. Elle va pouvoir continuer sa carrière avec plus d'ambition, parce qu'elle voit qu'elle peut communiquer en public.
Julie Blais Comeau : Puis, vous mentionnez aussi de s'adapter à son public, mais on peut rester aussi fidèle à soi-même. Vous-même, vous y êtes arrivée : une femme qui est devenue cadre. Nous sommes choyés, au Canada, c'est de mieux en mieux. Il y a de plus en plus de femmes. Des femmes autochtones cadres au Canada, il n'y en a pas beaucoup. Alors, comment arrivez-vous à maintenir votre identité et à être authentique, à travers tout ça?
Valerie Gideon : Je pense que l'authenticité, ça vient du cœur. Donc, qu'est-ce qui vous motive de jour en jour? Si vous êtes motivé par votre propre ambition, c'est presque impossible de rester authentique, mais aussi, il faut vraiment s'assurer que c'est correct de s'adapter aux modes de communication et à l'information qu'on donne aux gens. Nous ne sommes pas des robots. D'une autre manière, c'est certain qu'il faut s'assurer de garder le message intact. L'honnêteté, comme vous dites, l'authenticité, l'empathie... la capacité d'écoute est aussi incroyablement importante. Il y a un Chef qui m'a appris une très bonne leçon. C'est un discours qu'il donne souvent sur la différence entre un fonctionnaire et un bureaucrate. Le bureaucrate va arriver et essentiellement donner la solution à tous les problèmes. Il va présenter ce qu'il pense, sans même avoir considéré son auditoire. Un fonctionnaire, c'est vraiment quelqu'un qui est d'abord à l'écoute. Ensuite, une fois qu'il a investi dans cette capacité d'écoute, il va communiquer pour valider ce que les gens ont dit, mais aussi pour pouvoir y ajouter de la valeur. On n'est pas là comme fonctionnaire pour exprimer sa propre opinion.
Julie Blais Comeau : Si je comprends bien, il faut avoir la vocation, il faut que ce soit une mission, d'être fonctionnaire et de devenir cadre. Tout au long de votre carrière, il faut vraiment voir à long terme.
Valerie Gideon : Il faut absolument croire à la mission de la fonction publique. C'est certain qu'il faut être prêt au lourd fardeau de travail et à la diversité des compétences. On est aussi beaucoup évalué sur le rendement. On manque de ressources, en général. On manque d'infrastructures et de capacité au sein de la fonction publique pour tout faire ce que le gouvernement nous demande de faire.
Donc, c'est la mission qui nous motive de jour en jour. Si on n'était pas là, énormément de familles à travers les pays qui dépendent de nos services seraient beaucoup plus vulnérables.
Julie Blais Comeau : Oui, c'est vrai.
Puis, en même temps, vous êtes aussi maman. On en a discuté un peu plus tôt cette semaine : vous avez des enfants, vous êtes une amie, vous avez différents rôles... comment arrivez-vous à maintenir un équilibre?
Valerie Gideon : Il y a eu beaucoup plus, au cours des dernières années, de reconnaissance de l'importance de l'équilibre personnel et professionnel. Je disais toujours au personnel, quand je travaillais dans les bureaux, que je quittais à 16 h 30, à moins qu'il y ait vraiment une urgence; qu'on me demande d'aller sur la colline, ou quelque chose comme ça.
Pour moi, déjeuner et souper avec ma famille, c'est quelque chose que je ne serais jamais prête à sacrifier. Ces moments sont très importants pour moi, mais quand on prend ces décisions et qu'on a cette discipline personnelle, ça nous aide dans notre travail, parce qu'on est plus motivé. On a plus d'énergie, on est plus apte à bien s'organiser et faire plusieurs tâches. On utilise notre temps plus efficacement, parce qu'on a ces engagements dans notre vie personnelle, que l'on met en valeur. Ça nous aide. Il y a des gens qui pensent « Si je fais ça, mon travail va en souffrir. » Pas du tout. Votre travail va s'améliorer.
Julie Blais Comeau : Qu'est-ce que vous appréciez le plus de votre rôle, de votre poste?
Valerie Gideon : Je pense que c'est la possibilité de travailler autant avec les partenaires externes, les communautés autochtones, les aînés et les jeunes. C'est vraiment un privilège.
Travailler avec des populations inuites, pour moi, ça a été un apprentissage extraordinaire.
Toutes ces choses-là, pouvoir voir la richesse du pays, ses défis... mais aussi avoir l'opportunité de contribuer au futur du pays, sachant que mes deux filles sont aussi membres des Premières Nations. Quand elles auront mon âge, je suis convaincue que le travail qu'on fait présentement va assurer un meilleur avenir pour elles, leurs enfants et leurs petits-enfants.
Julie Blais Comeau : Je crois, madame Gideon, qu'on vous doit un grand merci, à vous et aux autres membres des communautés autochtones. J'ai eu le privilège, à quelques occasions, d'être sur des réserves, et ce que j'ai vu était beau. J'ai vu des jeunes qui se retournaient vers les sages, vers les personnes aînées. En ce moment, plus que jamais, je crois qu'on a des leçons à apprendre, alors merci beaucoup.
Valerie Gideon: Merci beaucoup.
Julie Blais Comeau : Merci d'avoir été à l'écoute.
Nous espérons que vous respirez déjà mieux et que vous avez noté quelques astuces pour prendre soin de vous, tout en dirigeant votre équipe avec calme et intégrité.
Nous vous invitons à poursuivre la conversation et à partager ce balado.
Vous connaissez un cadre qui ferait un bon invité ou encore mieux, vous souhaitez vous-même participer? Communiquez avec nous.
Prenez le temps de respirer, de vous ressourcer, ainsi que de vous honorer dans tous vos rôles.