Transcription
Transcription : Comment survivre comme cadre, saison 2, épisode 3 : Dire la vérité aux personnes de pouvoir, avec Michel Doiron
Michel Doiron : C'est notre job comme fonctionnaires; c'est ma job d'être certain que mon boss est bien breffé, qu'il comprend le bon, mais qu'il comprend aussi le moins bon.
Annie Therriault : Une partie importante de notre travail de cadre consiste à breffer nos supérieurs, pour qu'ils puissent prendre des décisions éclairées. Mais ce n'est pas toujours facile de « dire la vérité au pouvoir ». Comment nous assurer que cette vérité soit basée sur les faits, et que notre breffage soit complet? Comment partager les mauvaises nouvelles quand on s'inquiète des répercussions sur nous personnellement ou sur notre carrière? Est-il possible de maîtriser cet art?
Annie Therriault : Bonjour, ici Annie Therriault. Bienvenue au balado, Comment survivre en tant que cadre. J'ai eu la chance de côtoyer Michel Doiron, alors qu'il faisait carrière en Atlantique. Michel a travaillé dans plusieurs ministères et assumé plusieurs fonctions comme cadre supérieur, notamment à titre de sous-ministre adjoint au ministère des Anciens Combattants. Michel a pris une pause de son nouveau statut de retraité pour venir nous parler de leadership, dans le contexte de dire la vérité au pouvoir. Venez entendre ce qu'il avait à nous dire pour nous aider à survivre en tant que cadre.
Annie Therriault : Michel Doiron, quel plaisir de vous revoir aujourd'hui avec nous pour parler de votre expérience en tant que EX dans la fonction publique. Merci d'être là aujourd'hui.
Michel Doiron : Merci beaucoup, c'est un grand plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui pour parler de leadership, et de parler de dire la vérité au pouvoir, donc merci de m'avoir.
Annie Therriault : Merci d'être là pour nous parler de ça, parce que justement, je pense que ce n'est pas toujours quelque chose qui est évident quand on est cadre et, si on veut bien survivre, c'est certainement quelque chose qu'il faut maîtriser à un moment donné. Ce n'est pas toujours facile de dire la vérité, fournir nos meilleurs conseils à nos supérieurs, mais en même temps, c'est un petit peu notre job de faire ça. Donc, selon ton expérience, Michel, je me demandais pourquoi c'est important de le faire quand même, même si ce n'est pas nécessairement la chose la plus facile à faire.
Michel Doiron : Comme cadre supérieur, c'est important de savoir les faits, afin de prendre une décision. Puis, tu en prends beaucoup de décisions durant la journée; tu devrais. Puis, il faut que l'information que tu reçois soit de l'information correcte, afin que tu fasses une décision qui est saine, qui est solide. Qui va se tenir. Mais si tu n'as qu'une partie de l'information, ta décision va être basée sur cette partie d'information-là. Elle ne sera peut-être pas aussi solide qu'elle pourrait être ou ne sera pas complète; il manquerait des points importants qui pourraient avoir des conséquences néfastes, soit pour des clients ou des programmes, ou l'administration du programme. Malheureusement, il y a beaucoup de gens qui pensent que donner des mauvaises nouvelles ou exposer une idée au même titre qu'une autre idée, ça limite leur carrière ou c'est une chose qui est dangereuse à faire, excusez le terme. Ça ne devrait pas. C'est notre job comme fonctionnaires; c'est ma job d'être certain que mon boss est bien breffé, qu'il comprend le bon, mais qu'il comprend aussi le moins bon. À la fin de journée, la personne va faire la décision; c'est correct, ça. Mais il faut que les gens arrêtent de penser que ça affecterait leur carrière. C'est ta job. J'aime bien mieux être celui qui dit à mon sous-ministre, que mon sous-ministre le lise dans le Globe and Mail ou l'Acadie Nouvelle le lendemain matin. Ça non plus, ce n'est pas bon. Il faut changer le « mindset » de nos executives, à tous les niveaux.
Annie Therriault : Mais tu faisais ça comment, toi, justement, d'ouvrir la porte à ce breffage-là? Parce que, comme tu disais des fois, on ne veut pas attendre les mauvaises nouvelles. Tu faisais comment pour créer un environnement, justement, où les gens pouvaient se sentir à l'aise? Les plus jeunes EXs, comment tu faisais pour qu'ils se sentent à l'aise, justement, de te donner l'heure juste?
Michel Doiron : C'est certain qu'il faut connaître son équipe. Il faut connaître son boss. Il faut connaître les gens qui entourent le boss, parce qu'il faut connaître l'environnement, mais c'est des conversations à avoir lors de « bilat ». Moi, si je trouve que ce n'est pas correct, je vais le dire : « As-tu une préférence ou avez-vous une préférence? Tu sais, veux-tu que je te prenne de côté ou que l'on ait juste une petite équipe et qu'on en discute? Que je soulève la question avec le chef de cabinet? ». Dans tous les cas, trouvez le mécanisme. C'est important, mais la personne ne dit rien; ils ont peur pour leur carrière, ils ont tous peur de leur boss, parce qu'il y a du monde pour qui c'est pas toujours facile de donner de mauvaises nouvelles. Puis là, il y a une erreur qui se produit. Puis là, tout d'un coup, il y a du monde autour de la table qui commence à aborder les individus pour savoir : « pourquoi tu ne l'as pas dit? ». Ce qui était peut-être un petit problème au début devient maintenant un gros problème. C'est pour ça que j'ai toujours dit à mes gestionnaires qui travaillaient pour moi : « Moi, j'en veux pas de surprise. » Un de mes anciens boss me disait : « les surprises, c'est pour l'ennemi, ce n'est pas pour tes amis ». De l'autre côté, je crois aussi que c'est un côté de nos valeurs. C'est important; c'est l'honnêteté. L'honnêteté de soi. Si tu sais l'information, tu as une responsabilité comme fonctionnaire de donner un avis qui est juste, qui est correct, qui est songé. C'est notre responsabilité comme fonctionnaire. Moi, j'ai été obligé de donner de très mauvaises nouvelles à des sous-ministres, à des ministres. Puis, même après 30 ans de carrière, ce n'est pas toujours un bon « feeling », rentrer dans l'office d'un ministre ou d'un sous-ministre. Là, j'ai été obligé de dire, « Monsieur le Ministre, ça ne marche pas ». Mais je me suis rendu compte comme sous-ministre adjoint senior, que ça ne nuit pas à ta carrière si tu sais comment le faire; si tu le fais avec responsabilité, puis que tu crées tes réseaux, puis que les gens savent que tu es de bonne foi, tu n'es là pas pour essayer de saccager l'initiative; tu es là de bonne foi.
Annie Therriault : Moi, j'étais dans une situation à un moment donné, où est-ce que j'entendais ma sous-ministre parler devant le monde, puis je me disais, « oh my god, il lui manque un breffage sur la région. Elle doit absolument savoir ceci. » Et j'étais vraiment convaincue que c'était important qu'elle ait cette information-là, mais ces gens-là ont tout un entourage qui sert à filtrer aussi les choses; comment est-ce qu'on se rend jusqu'aux oreilles de la bonne personne?
Michel Doiron : Ça, c'est très important. C'était cela, mon point, un peu plus tôt : de connaître les joueurs autour de la table. Parce qu'il est certain qu'il y a des gens qui entourent et qui ont de bonnes intentions, mais des fois des agendas différents. Puis connaître qui a fait ses devoirs, qui ne fait pas ses devoirs, puis se lier, je ne dirais pas d'amitié parce que ce n'est pas de l'amitié, mais c'est d'avoir une relation professionnelle avec les individus, puis surtout les individus qui ont tendance à essayer de donner l'heure juste. L'approche ou la directive vont souvent découler du boss. Il y a du monde qui ne veulent pas de mauvaises nouvelles. Ils ne veulent pas entendre, ils ne veulent pas savoir, ils ne veulent pas breffer là-dessus. Là, il faut vraiment trouver une façon de faire en sorte que les nouvelles mauvaises se rendent à l'individu. Puis là, il faut que tu trouves la bonne personne dans l'entourage. Dans ton exemple, ce n'est pas tout le temps facile, parce que là tu vas froisser, réellement froisser du monde. Puis ça, c'est la seule façon de faire, d'après moi. J'ai déjà été obligé d'aller voir un sous-ministre après une rencontre, puis dire, « On est-tu correct là? ».
Annie Therriault : Ouais [riant].
Michel Doiron : Parce que ça va brasser comme pas à peu après. J'étais DGA dans le temps, puis c'était correct, mais on a eu une bonne conversation là, faut aller dire : « On est-tu correct? ». Mais des fois, tu n'as pas le choix. D'autres fois, si ce n'est pas dans le moment, c'est très important immédiatement après de prendre la personne de côté et dire, « Hé, tu sais, je ne voulais pas rien dire, mais tantôt là, c'était incorrect, ça ». Tu le prends de côté. Des fois, ils savent. Des fois, c'est intentionnel. Moi, j'ai déjà vu des ministres faire des politiques par « speech ». On avait déjà breffé sur quelque chose, ce n'était pas correct, c'était un peu dangereux. Puis la personne se lève au speech plus tard de cette journée-là, après le breffage, puis à l'encontre de ce qu'il était convenu de donner. Bon, O.K. Ça c'est une réalité, ça arrive. Mais moi, des fois, comme tu parlais, il faut savoir c'est qui, faire sûr de mettre les choses au clair après. Essayer de déterminer, c'est quoi qui s'est passé? Il est certain qu'il n'y a pas personne qui aime se faire corriger, moi non plus, mais c'est important que les breffages se fassent avant ou s'il ne se font pas, que l'heure juste soit donnée.
Annie Therriault : À la lumière de ta vaste expérience, tu as été dans toutes sortes de situations, est-ce qu'il y a un moment où est-ce que tu as fait, « ok là, je viens d'apprendre toute une leçon. »? Ou quelque chose que tu aurais fait différemment, si c'était à refaire? Qu'est-ce qu'on peut apprendre de toute ta vaste expérience aujourd'hui?
Michel Doiron : En vieillissant, j'ai appris à mâcher mes mots un petit peu. Je suis peut-être un peu moins direct. Je pense à plus tôt dans ma carrière, j'ai tout le temps connu quelqu'un qui disait, pas mal —
Annie Therriault : Oui [riant].
Michel Doiron : Mais j'ai appris à mâcher mes mots un peu. Puis dire, sais-tu, c'est vraiment nécessaire que je dise ça? Quand j'étais à Transports, moi j'analysais beaucoup après une rencontre. Je me souviens, on avait une conversation à la table de gestion supérieure de Transports. Puis, à la fin de la journée, je pense que j'étais rendu à Moncton par train quand j'ai compris comment on s'est rendu à la décision. Parce que je la trouvais erronée, cette décision, je ne la comprenais pas. J'avais été très fort à la table de gestion, puis en prenant du recul et en y pensant, j'étais mal. Parce que j'ai basé ma décision sur ma perception des choses.
Annie Therriault : Hum.
Michel Doiron : Pas la perception de la sous-ministre. Donc, en vieillissant, j'ai dit : O.K., essaie de comprendre d'autres points de vue un petit peu plus. Donne le temps à la personne ou demande à la personne : « moi, je ne comprends pas qu'est-ce que c'est, je ne comprends pas pourquoi, peux-tu m'expliquer mieux, pour que je puisse t'aider à accomplir ce que tu essaies d'accomplir? ». Au lieu de dire : « c'est fou ton idée, on ne va pas là. » O.K., ça, ça ne marche pas tout le temps, peux-tu m'expliquer pourquoi, puis des fois, cette fois-là, j'avais appris une leçon, parce que quand je retournais dans la région, je me suis rendu compte que moi, j'avais basé ma décision sur peut-être très peu de faits, mais pas tous les faits.
Annie Therriault : O.K.
Michel Doiron : Et une perception que moi, j'avais des circonstances. J'ai été chanceux; j'avais une bonne boss. Puis c'est pas cette fois-là où j'ai demandé si on était correct. J'ai été la voir par après, puis je lui ai dit : « J'ai réalisé quelque chose. ». Je pense que c'est important, d'essayer de comprendre le côté de l'autre.
Annie Therriault : Exactement. Bien écoute, merci beaucoup, Michel, d'avoir partagé toute ta sagesse avec nous aujourd'hui. Donc je retiens vraiment de ce que tu nous as dit : l'importance de bien breffer, avec un synopsis solide basé sur les faits, comprendre aussi le point de vue de l'autre, quand on le fait, pas juste notre perception, mais de voir ce qui est dit autour. Connaître les joueurs, être au courant de l'entourage, l'environnement. Beaucoup de transparence, honnêteté, humilité. Donc, on part avec ça aujourd'hui. Merci d'avoir partagé avec nous ton expérience.
Michel Doiron : C'est un grand plaisir pour moi, n'importe quand.
Annie Therriault : Merci. Merci d'avoir été à l'écoute. Nous espérons que notre entretien avec Michel Doiron vous a inspiré et que vous vous sentez maintenant plus confiants de dire la vérité au pouvoir. Nous vous invitons à poursuivre la conversation au sein de votre réseau. Faites connaître notre balado. Vous connaissez un cadre qui a une histoire à partager ou vous souhaitez vous-même participer comme invité? Communiquez avec nous. Alors, portez-vous bien et on vous souhaite de beaux breffages bien préparés et aussi que vos messages soient bien reçus.