Combler les lacunes dans les données sur le genre, un octet à la fois
Les données sont souvent saluées comme le phare de la connaissance et du progrès. Pourtant, sous la surface, un profond déséquilibre persiste : des lacunes dans les données sur le genre qui faussent silencieusement notre compréhension de la société. Imaginez un casse-tête auquel il manque des pièces essentielles et dont l'image est alors incomplète et trompeuse. C'est précisément ce que font les lacunes dans les données sur le genre; elles déforment notre vision des disparités fondées sur le genre et entravent le chemin vers une véritable égalité.
Que sont les lacunes dans les données sur le genre?
Les lacunes dans les données sur le genre renvoient au manque de données adéquates et précises sur les femmes et sur les personnes affichant diverses variables du genre, ainsi que sur leurs expériences, leurs besoins et leurs contributions à la société. Cela découle en grande partie des biais cognitifs et de la discrimination dans les processus de collecte, d'analyse et d'interprétation des données.
Puisque les données proviennent principalement des hommes, bon nombre des solutions créées pour résoudre des problèmes sont fondées sur des réalités masculines. Par conséquent, ce sont les corps, les préférences et les choix de vie typiques des hommes qui alimentent les données que nous utilisons pour prendre des décisions importantes.
Quel est le problème?
Sans données provenant de groupes sous-représentés, tout est conçu pour les hommes, qu'il s'agisse des équipements de sécurité, de la conception urbaine ou d'innovations médicales. Et selon Caroline Criado Perez, auteure du livre Invisible Women: Exposing Data Bias in a World Designed for Men (Femmes invisibles : comment le manque de données sur les femmes dessine un monde fait pour les hommes), les conséquences pourraient être graves.
Les lacunes dans les données sur le genre peuvent constituer une question de vie ou de mort pour les femmes, notamment dans la recherche médicale, où les femmes sont souvent exclues des essais cliniques et où les symptômes d'une crise cardiaque chez les femmes ne sont pas reconnus. [TRADUCTION]
De nombreuses études ont démontré les conséquences dévastatrices des lacunes dans les données sur le genre et les raisons pour lesquelles il est urgent d'y remédier. Voici quelques exemples.
- Les systèmes de sécurité des véhicules sont souvent conçus et testés en fonction des types de corps masculins, ce qui pose des risques importants pour les femmes, qui sont ainsi 17 % plus susceptibles de mourir et 47 % plus susceptibles de subir une blessure grave dans un accident de voiture que les hommes. (Source 1 – en anglais seulement)
- Les femmes qui se font opérer par un homme sont 15 % plus susceptibles d'obtenir un mauvais résultat, et 32 % plus susceptibles de décéder, de souffrir de complications ou d'être à nouveau hospitalisées que si elles se font opérer par une femme. En contrepartie, lorsque l'opération est menée par une chirurgienne, les patients de sexe masculin et féminin connaissent les mêmes résultats. « Les lacunes dans les données pourraient [...] expliquer ces résultats, car les manuels médicaux illustrent principalement les problèmes de santé avec des représentations de corps masculins blancs. Les produits médicaux et les innovations entraînent souvent un plus grand nombre d'effets secondaires négatifs chez les femmes, et les scientifiques de sexe masculin sont moins susceptibles d'intégrer des analyses de genre et de sexe dans leurs recherches. » [TRADUCTION] (Source 2 – en anglais seulement)
- Les thermostats dans les bureaux sont généralement réglés à une température qui favorise le rendement cognitif des hommes, car la politique concernant la régulation de la température repose sur l'énergie métabolique des hommes. Cela pourrait perpétuer davantage les inégalités sur le lieu de travail en entravant la capacité des femmes à fournir un bon rendement et donc à recevoir des promotions, des augmentations de salaire et des primes. (Source 3 – en anglais seulement)
Les lacunes dans les données sur le genre et le manque de données sur les tendances rendent également difficile le suivi des progrès chez les groupes exclus, ce qui alimente la pénurie de données et permet donc aux lacunes statistiques de persister.
Notre capacité à créer des politiques, des programmes et des services utiles peut être compromise lorsque les expériences et les perceptions de certains groupes sont exclues.
Si l'on suppose que la perspective masculine est la norme et que la perspective féminine est « l'autre », les institutions qui se basent sur cette hypothèse, les processus décisionnels employés par les dirigeant·es et les choix politiques qui en résultent en souffriront. [TRADUCTION]
La voie qu'emprunte le gouvernement du Canada vers le progrès
Dans le but de promouvoir l'égalité entre les genres et d'atténuer les risques liés aux lacunes dans les données sur le genre, chaque ministère et organisme fédéral au Canada est soumis au processus analytique connu sous le nom d'analyse comparative entre les sexes plus (ACS Plus). L'ACS Plus sert à évaluer l'incidence des politiques, des programmes et des initiatives du gouvernement sur divers groupes de femmes, d'hommes et de personnes d'orientations sexuelles, d'identités de genre et d'expressions diverses. Cela signifie que tous les organismes fédéraux doivent effectuer des évaluations de l'ACS Plus tout au long des principales phases de l'élaboration de projets nouveaux et en cours, de la planification initiale à l'évaluation.
Autrement dit, tous les projets dirigés par le gouvernement fédéral doivent non seulement être fondés sur des données relatives au genre, mais aussi faire l'objet d'une évaluation tenant compte de l'intersectionnalité. Par conséquent, que ce soit intentionnel ou non, l'ACS Plus a fait de la réduction des lacunes dans les données sur le genre un pilier du succès à l'échelle du gouvernement permettant de réduire les résultats négatifs.
Statistique Canada joue un rôle important en appuyant la mise en œuvre de l'ACS Plus et l'utilisation systématique de données relatives au genre dans tous les secteurs en fournissant aux décideurs et aux décideuses ainsi qu'à la population canadienne des statistiques importantes et pertinentes.
Par exemple, l'organisme a publié de nouvelles variables du genre et du sexe à la naissance et de nouvelles classifications en 2018 afin d'être plus inclusif et de tenir compte de la diversité de genres au Canada. Depuis, des questions liées au sexe à la naissance et au genre ont été ajoutées aux programmes de statistiques sociales et incluses dans le Recensement de 2021, rendant les données du recensement sur les personnes transgenres et non binaires disponibles pour la toute première fois en avril 2022.
Statistique Canada a également mis en œuvre le Plan d'action sur les données désagrégées (PADD) dans son budget de 2021 pour contribuer à combler les lacunes en matière de données et de connaissances. Le PADD vise à rendre la collecte de données plus représentative et à accroître la disponibilité de statistiques sur diverses populations, en particulier les groupes sous-représentés. Cela se traduit par une augmentation de la taille des échantillons, l'ajout de nouvelles variables aux enquêtes existantes et la création de nouvelles enquêtes pour recueillir des renseignements permettant de mieux désagréger les données sur des questions liées au genre et à la race.
De plus, le Canada a pris des mesures pour améliorer l'accès aux données et aux ressources analytiques existantes en établissant le Carrefour des statistiques sur le genre, la diversité et l'inclusion, qui « permet aux utilisateurs de données de trouver plus facilement des données désagrégées et intersectionnelles, des produits analytiques et des connaissances reliées ».
Bien que ces initiatives rendent des données relatives au genre accessibles au grand public, la pratique systématique consistant à utiliser et à recueillir des données sur le sexe et sur le genre aux fins de conception ou de recherche, en particulier en matière de santé et de sécurité, doit être intégrée à une politique canadienne plus large. La société ne devrait pas continuer à classer les femmes et les personnes affichant diverses variables du genre dans la catégorie « autres » parce que ces données sont facultatives ou pour des raisons de commodité. L'inclusion doit être une norme et non un choix.
Ce que vous pouvez faire
À une époque marquée par une importance croissante accordée à la prise de décisions fondée sur les données, les lacunes dans les données sur le genre représentent une difficulté persistante qui entrave notre capacité à lutter efficacement contre les inégalités fondées sur le genre. En tant que gardiennes et gardiens de l'information et agentes et agents de changement, nous jouons un rôle essentiel en vue de combler ces lacunes et de favoriser une société inclusive. À cette fin, il est essentiel de prendre des mesures concrètes qui privilégient la collecte, l'analyse et l'utilisation de données désagrégées selon le genre. Des mesures qui, en d'autres termes, aident à combler les lacunes dans les données sur le genre.
L'une des étapes primordiales à entamer consiste à plaider en faveur de méthodologies de collecte de données tenant compte des genres et à les mettre en œuvre. Pour ce faire, il faut reconnaître les diverses expériences des personnes selon leur genre en veillant à ce que les données soient non seulement recueillies, mais également désagrégées selon le sexe et d'autres éléments pertinents. Une telle approche nuancée permettrait une meilleure représentation des difficultés uniques auxquelles se butent les personnes de différents genres, permettant, entre autres, aux responsables des politiques d'adapter leurs interventions pour répondre à des besoins particuliers et aux conceptrices et concepteurs de créer des produits qui s'adressent à tout le monde.
Nous pouvons également investir du temps dans des programmes de formation sur l'analyse comparative entre les sexes et sur l'importance d'adopter une approche qui tient compte des genres dans le cadre de notre travail, en particulier en ce qui concerne la gestion des données. Les fonctionnaires du gouvernement fédéral ont accès à une multitude de ressources d'apprentissage gratuites, y compris les cours Introduction à l'analyse comparative entre les sexes plus (ACS Plus) (INC101) et Conception inclusive : appliquer les normes numériques du GC et l'analyse comparative entre les sexes plus (DDN223). La page de Femmes et Égalité des genres Canada sur les services et les renseignements concernant l'ACS Plus est quant à elle accessible au public.
Nous détenons toutes et tous la clé pour combler les lacunes dans les données sur le genre. Qu'il s'agisse de mettre en œuvre des méthodologies de collecte de données relatives au genre ou de communiquer des résultats avec les autres, ces efforts sont essentiels pour ouvrir la voie à une société plus équitable et mieux informée. En relevant le défi et en travaillant activement à une compréhension globale de la dynamique des genres, nous pouvons contribuer de manière significative à la levée des obstacles et à la promotion d'un changement positif.
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