Transcription
Transcription : Margaret MacMillan, la géopolitique et les enseignements du passé
[Le logo de l'EFPC apparaît à l'écran.]
[Alex Dalziel apparaît dans l'appel vidéo.]
Alex Dalziel, de l'École de la fonction publique du Canada : Bonjour. Je m'appelle Alex Dalziel et je suis directeur du Programme d'apprentissage sur la géopolitique et la sécurité nationale à l'École de la fonction publique du Canada. Bienvenue au troisième et dernier événement de notre première série sur la géopolitique. Nous sommes ravis d'avoir aujourd'hui l'occasion de vous présenter Margaret MacMillan, historienne de renommée internationale. Cela fera suite à nos séances précédentes où nous avons examiné l'évolution de l'environnement géopolitique dans lequel se trouve le Canada. Ensuite, nous avons examiné de plus près la façon dont le Canada pourrait s'adapter. Donc, vous assisterez à un événement spécial aujourd'hui.
Mais avant d'entamer la séance, j'ai quelques points à régler pour améliorer la qualité de l'événement. J'aimerais aujourd'hui commencer par souligner que le territoire sur lequel nous nous trouvons, la ville d'Ottawa, est située sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin Anichinabé. Je comprends que des gens de partout au Canada et d'autres parties du monde sont présents aujourd'hui. Je vous encourage à réfléchir aux gardiens traditionnels et historiques des terres où vous vous trouvez. Pour une expérience optimale, veuillez désactiver votre RPV. Si vous préférez entendre la séance en français, nous sommes heureux de vous offrir des services dans les deux langues officielles. Je vous invite à vous connecter à l'interprétation en français. Nous offrons également le sous-titrage en temps réel par l'entremise des services CART. Profitez-en si cela peut vous être utile. Tout au long de l'événement, nous vous encourageons à réfléchir de façon critique à ce que vous entendez et à poser des questions en cliquant sur l'icône qui ressemble à une main levée. Nous surveillons cette boîte de réception et, tout au long de l'événement, nous soumettrons ces questions à notre animatrice, Jill Sinclair. Sur ce, Jill, je vous cède la parole.
[Deux nouvelles fenêtres vidéo s'ajoutent à celle d'Alex. Jill Sinclair apparaît dans la fenêtre vidéo dans le bas, au centre, et Margaret MacMillan apparaît dans la fenêtre vidéo dans le coin supérieur droit.]
Jill Sinclair, de l'École de la fonction publique du Canada : Merci beaucoup, Alex. Eh bien, je suis ravie d'être ici aujourd'hui, et je ne pourrais être plus honorée et ravie que de partager l'écran avec Margaret MacMillan. Comme Alex l'a dit, nous allons assister à un événement spécial. Margaret prononcera quelques commentaires, pendant environ 20 ou 25 minutes. Nous ne voulons pas la contraindre parce qu'elle a tellement de choses à nous dire, mais je vous encourage vraiment, même pendant que Margaret parle, à formuler vos commentaires, vos questions ou vos observations dans la fenêtre de clavardage. Nous irons constamment les lire. Nous voulons vraiment en faire une séance interactive. Je pense que vous connaissez tous Margaret MacMillan, c'est pourquoi vous vous êtes inscrits à cette séance. Comme Alex l'a dit, Margaret n'est pas seulement historienne et érudite, mais également autrice et commentatrice. Et j'ajouterais à cela, une voix de raison et de sagesse enracinée dans l'histoire, mais fortement tournée vers l'avenir. Sur ce, Margaret, j'aimerais vous céder la parole.
Margaret MacMillan, de l'Université de Toronto : Merci beaucoup, Jill, et merci, Alex. C'est un véritable plaisir d'être avec vous, même virtuellement. J'espère que vous, à Ottawa, résistez au siège de votre ville et que nous aurons des histoires de guerre à raconter lorsque ce sera terminé. Comme je l'ai dit, je suis désolée de ne pas pouvoir être là parce que je pense que c'est toujours agréable de pouvoir parler aux gens en personne. J'adore parler d'histoire, pas seulement parce que j'aime cela, mais parce que c'est un sujet important, selon moi. Donc, ce que je souhaite faire aujourd'hui, c'est de parler un peu des raisons pour lesquelles je pense que l'histoire est importante, comment celle-ci peut nous aider à comprendre ce qui se passe aujourd'hui, et parler un peu de ce qui se passe aujourd'hui. C'est bien connu, les historiens ne sont pas bons pour prévoir l'avenir, mais je pourrais même m'aventurer à dire quelques mots sur ce qui, selon moi, est susceptible de se produire.
Tout d'abord, pourquoi l'histoire est-elle importante? Pour plusieurs raisons, selon moi, et nous le savons tous instinctivement. Nous savons que plus nous en savons sur une question, un endroit ou une personne, plus nous avons de connaissances, mieux nous pouvons aborder cette question, cet endroit ou cette personne. Donc, l'histoire, je pense, est importante, à la fois dans nos relations personnelles, mais aussi pour comprendre les autres personnes, les autres pays et les autres groupes. Je crois qu'il est impossible de comprendre les demandes que le président Poutine fait aujourd'hui et la position qu'il adopte sans comprendre une partie de l'histoire russe, sans comprendre comment il voit la Russie sur la scène mondiale et combien de Russes l'appuient. Je crois que nous devons comprendre que la Russie a une vision du monde. Tout comme il existe une perspective canadienne sur le monde.
L'histoire nous aide également à comprendre le contexte dans lequel les choses se produisent. Elle nous aide à regarder au-delà de ce qui se passe présentement et à poser des questions. Quels sont les problèmes économiques qui influencent peut-être la politique étrangère de la Russie en ce moment? Quels pourraient être les problèmes démographiques? Quelle est l'importance, par exemple, du déclin de la population russe? Cela affecte-t-il la capacité de la Russie à affirmer sa présence? Cela affecte-t-il les décideurs politiques en Russie? Et donc, ce que fait l'histoire, selon moi, c'est ouvrir nos esprits à des possibilités, nous aider à poser des questions. Et si nous sommes incapables de poser des questions, nous ne pourrons bien sûr même pas commencer à chercher des solutions à certains des problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Ce que l'histoire peut également faire, et je pense que cela prend de plus en plus d'importance, c'est qu'elle peut être utilisée pour remettre en question les histoires falsifiées. Et il existe un grand nombre d'histoires falsifiées ou profondément partiales. Je pense que nous assistons à une utilisation croissante de l'histoire, peut-être parce que d'autres sources d'autorité, qu'il s'agisse de la religion, de nos dirigeants politiques, des traditions, sont peut-être moins fiables de nos jours. Et je crois que nous avons tendance à regarder le passé et à croire qu'une forme de réponse s'y cache, que le passé fait foi de tout, en quelque sorte. Combien de fois avez-vous entendu des gens dire : « Je veux être du bon côté de l'histoire », comme si l'histoire était une sorte de juge, de décideur ultime de ce qui est bien et de ce qui est mal.
Ainsi, nous assistons à une dépendance croissante à l'égard de l'histoire, d'après moi, mais souvent cette histoire, comme je l'ai dit, est fausse ou biaisée. Par exemple, nous voyons l'histoire être utilisée pour revendiquer diverses sortes de choses. Des revendications territoriales. « L'Ukraine... », a dit Poutine, et il l'a répété à plusieurs reprises, « ... fait partie de la Russie. A toujours fait partie de la Russie. N'est pas séparée de la Russie. » Nous devons connaître suffisamment l'histoire de l'Ukraine pour pouvoir dire : « Eh bien, un instant. Il y a d'autres façons de voir l'Ukraine. Et cette histoire que Poutine et ses partisans mettent de l'avant n'est peut-être pas l'unique histoire de l'Ukraine. »
La Chine revendique Taïwan en s'appuyant sur l'histoire. Elle revendique la mer de Chine méridionale en fonction de l'histoire. Je crois que nous devons être en mesure de contester ces revendications. Nous devons également nous méfier de la façon dont l'histoire est utilisée pour promouvoir le nationalisme, un type de nationalisme qui implique souvent la haine des autres. Et je crois que les gouvernements des pays autoritaires prennent souvent l'histoire très au sérieux, car ils y voient un outil ou un moyen de manipuler l'opinion publique et de promouvoir une certaine vision du pays et, bien sûr, de leurs dirigeants. En Hongrie, par exemple, Viktor Orban a introduit un nouveau programme national d'enseignement hongrois fortement axé sur les grandes victoires hongroises du passé et qui ne mentionne pratiquement pas les défaites ou les erreurs hongroises. Il s'agit d'une vision de l'histoire qui est utilisée, espère-t-il, pour essayer de créer une vision hongroise du monde et un soutien pour lui et ses politiques.
Il devient de plus en plus important de comprendre la manière dont l'histoire est utilisée et d'être capable de remettre cela en question. Je crois que nous nous tournons également vers l'histoire pour essayer de trouver des parallèles avec les situations actuelles. Lorsque nous sommes confrontés à des situations fluides et en constante évolution, ce qui est actuellement le cas dans de nombreuses régions du monde et dans de nombreux cas, nous cherchons des moyens d'y réfléchir. Et l'une des façons dont nous essayons de réfléchir aux situations difficiles est de nous tourner vers le passé. Nous cherchons des analogies. Ce qui se passe en Ukraine aujourd'hui, par exemple, je continue à mentionner l'Ukraine parce que je sais qu'elle est très présente dans nos esprits en ce moment, est-ce que ce qui se passe avec l'Ukraine est d'une manière ou d'une autre comparable à ce qui se passait en 1938 quand Hitler faisait des demandes à la Tchécoslovaquie, exigeant des territoires, exigeant que l'Allemagne et la région des Sudètes soient réunis, comme il le disait. En fait, la région n'avait jamais appartenu à l'Allemagne, mais il voulait la redonner, comme il le disait, à l'Allemagne. Y a-t-il un parallèle? Et s'il y a un parallèle, quelle leçon pouvons-nous en tirer?
Les analogies sont des choses délicates parce que nous pouvons nous tromper très souvent. Mais elles peuvent être des moyens très puissants de réfléchir au présent. Nous nous tournons vers le passé, et l'analogie de l'apaisement, qui est bien sûr un terme ayant été véritablement utilisé pour la première fois dans les années 1930, a eu une influence considérable sur les décideurs jusqu'à aujourd'hui. Vous remarquerez à quelle fréquence l'analogie de l'apaisement est utilisée dans les commentaires au Parlement, par exemple, ou dans les médias. Risquons-nous d'apaiser un dictateur et de le rendre plus fort, ce qui entraînerait encore plus de problèmes? Comme je l'ai dit, nous devons utiliser ces analogies avec prudence.
Mal utilisées, elles peuvent aussi nous attirer des ennuis. Dans les années 1950, le premier ministre Anthony Eden pensait que Nasser ressemblait aux dictateurs auxquels il avait eu affaire en tant que ministre des Affaires étrangères dans les années 1930. Il croyait que Nasser, le président égyptien, était un autre Mussolini ou un autre Hitler, ce qui l'a conduit aux désastreux événements de Suez, l'aventure de Suez, qui a été un véritable coup dur pour la position de la Grande-Bretagne dans le monde et a eu des conséquences à long terme pour les Britanniques au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde en développement. Analogies : nous les utiliserons, nous devons les utiliser, mais comme je l'ai dit, nous devons les utiliser avec précaution.
L'histoire peut également nous aider à comprendre ce qui pourrait être différent et ce qui ne l'est pas vraiment. Dans quelle mesure l'époque à laquelle nous vivons est-elle différente? Et c'est délicat, car, là encore, nous avons tendance à accorder trop d'importance à ce qui est nouveau. Parfois, je pense que nous devons nous rappeler que nous avons déjà connu des situations similaires. Et nous pouvons être en mesure d'en tirer, non pas des plans précis, mais des leçons et des avertissements utiles. Et donc, par exemple, en regardant notre époque, je crois que nous pouvons voir que nous sommes dans une période de transition au niveau international. Cela s'est déjà produit par le passé. Et nous pouvons regarder les périodes avant 1914, par exemple, et essayer de comprendre où les gens ont pu se tromper, où ils ont pu faire quelque chose de sensé. Quelle est l'importance des facteurs nationaux pour forcer les dirigeants à faire certaines choses?
Nous l'avons vu dans le passé. Et dans quelle mesure les dirigeants utilisent-ils l'opinion de leurs citoyens? Nous devons examiner les types de dirigeants que nous avons. Et encore une fois, je crois que le fait de regarder le passé peut nous aider. Pour ma part, je suis d'avis que, bien sûr, les grands facteurs de l'histoire comptent, les forces objectives, l'économie, la démographie, les ressources, la géographie, les institutions, les idées, toutes ces choses façonnent la politique étrangère des États. Mais selon moi, ce qui peut aussi jouer un rôle à certains moments, c'est la personne qui est au pouvoir. Et bien sûr, plus l'État est autoritaire, plus la personne au pouvoir est importante, car elle peut exercer un très grand pouvoir. Nous devons constamment essayer de comprendre non seulement le contexte et ce avec quoi les dirigeants gèrent, mais nous devons également essayer de comprendre la psychologie des dirigeants, en particulier ceux dont le pouvoir est très grand.
Encore une fois, à notre époque, qui est, selon moi, délicate, et je pense que nous sommes en transition, une transition mondiale, et de nouveaux problèmes surgissent tout le temps. Je crois que nous devons également tirer les leçons du passé. Nous devons nous méfier de la politique de l'abîme. Je pense que ce que nous voyons en Ukraine est un type très dangereux de politique de l'abîme. Et ce que l'histoire me rappelle toujours, c'est que les accidents arrivent. Et quand les gens sont au bord du gouffre, ils se trouvent dans une position où il peut être très difficile de faire marche arrière. Et les questions de fierté, de prestige, je veux dire, ces choses sont importantes. Dans les relations internationales, les émotions ont autant d'importance que toute autre chose.
Alors, que diriez-vous? Et vous en savez probablement plus que moi, car vous êtes spécialisés dans tant de choses différentes. Qu'y a-t-il de différent aujourd'hui? Je dirais que nous voyons certaines choses de manière très similaire, la rivalité entre grandes puissances, par exemple. Mais ce que nous voyons qui est différent, selon moi, c'est la nature globale des défis, bien plus même qu'il n'y en avait dans le monde globalisé d'avant 1914. La pandémie en est un très bon exemple. Le changement climatique, bien sûr. Et les mouvements de populations à grande échelle. C'est un problème qui, désormais, est véritablement international et qui continuera de l'être.
Nous n'avons pas encore pris la mesure de l'impact d'Internet. Ce qu'il fait à la formation et aux mouvements de l'opinion publique, ce qu'il fait aux types de leadership que nous avons. Je pense que nous commençons également à comprendre les dangers et les avantages potentiels de l'intelligence artificielle. Il y a eu une excellente série de conférences sur la BBC, « The Reith Lectures » (Les conférences Reith), sur l'intelligence artificielle et l'humanité et ce que cela signifie pour notre avenir et pour la guerre. Parce que de plus en plus, des systèmes d'armes autoguidées et des systèmes d'armes autoguidées automatisées seront utilisés. Il y a énormément de recherches en cours et Jill en sait beaucoup plus que moi. Mais l'utilisation de l'intelligence artificielle dans les guerres est quelque chose qui nous confronte tous à de sérieuses questions. Comment la contrôler? Comment arrêter les systèmes autoguidés une fois qu'ils sont mis en marche? Comment intégrer des contraintes éthiques? Comment intégrer les règles de la guerre? Je veux dire, ce sont toutes des discussions, que nous devons avoir, d'après moi.
Mais comme je l'ai dit, il y a aussi des similitudes avec le passé. La rivalité entre les États-Unis et la Chine est le genre de rivalité que nous avons déjà vue. Deux pays, qui pensent tous les deux être des modèles pour le reste du monde, qui sont tous les deux convaincus de leur propre rectitude morale, qui sont tous les deux de grandes puissances, qui ont tous les deux l'ambition de jouer, sinon un rôle mondial, du moins un rôle régional. Je dirais même que la Chine se voit de plus en plus jouer un rôle mondial. Comment se comportent ces pays l'un envers l'autre?
Comme vous le savez sans doute, il existe une théorie, dont j'ai toujours du mal à prononcer le nom grec, le piège de Thucydide, qui a été promue par un certain nombre de personnes, dont Graham Allison, dans un livre et des articles très intéressants. Le piège de Thucydide soutient que lorsque vous avez une puissance montante et une puissance déclinante, une guerre devient presque inévitable. Je dirais que ce n'est pas aussi simple que cela. L'argument commence par une phrase de Thucydide selon laquelle Sparte craignait la montée en puissance d'Athènes, et la guerre a donc éclaté. C'est une phrase parmi une très longue série d'écrits. Je crois que si vous commencez à examiner cette situation, il est plutôt difficile de voir quelle était la puissance montante et quelle était la puissance déclinante, parce que les deux étaient en hausse d'une certaine manière et les deux étaient en déclin d'une autre manière. Et cela soulève toutes sortes de questions sur ce qu'est réellement le pouvoir.
Nous pouvons également nous tourner vers le passé et constater qu'il y a eu des cas où des pays ont très bien géré la transition du pouvoir. Les Britanniques et les Américains ont géré la transition du pouvoir entre leurs deux pays. Dans les années 1890, il a été sérieusement question d'une guerre liée aux problèmes à la frontière du Venezuela et des gens plus calmes à Washington et à Londres ont dit, en gros, « C'est absurde ». Ils en sont venus à une entente selon laquelle les États-Unis seraient la puissance dominante dans l'hémisphère occidental. Et que les Britanniques, bien qu'ils continuent à investir massivement, n'y joueraient plus un rôle stratégique. Selon moi, cette transition fut très bien gérée. Je dirais que les Britanniques et les Allemands, la Grande-Bretagne étant, peut-être, la puissance en déclin, et l'Allemagne, la puissance montante, bien qu'encore une fois, ce ne soit pas tout à fait clair, géraient également leur transition en 1914. En fait, il n'aurait pas été nécessaire d'entrer en guerre en 1914 si les choses s'étaient déroulées un peu différemment. Et il y avait des gens des deux côtés, en Grande-Bretagne et en Allemagne, qui disaient : « Nous devons travailler ensemble. » L'Allemagne, la plus grande puissance terrestre, la Grande-Bretagne, la plus grande puissance navale, c'était un jumelage évident. Chaque pays était le plus important partenaire commercial de l'autre.
Donc, je pense que nous sommes confrontés à des questions auxquelles nous avons été confrontés dans le passé, en plus, bien sûr, de ces nouvelles questions. Nous sommes confrontés, comme ce fut le cas dans le passé, à l'effritement des institutions internationales. Selon moi, nous avons moins confiance en bon nombre de ces institutions. Je crois que nous les tenons pour acquises, ce qui est très dangereux. En tant que génération qui se souvient pourquoi nous voulions l'Organisation des Nations Unies, pourquoi nous voulions les organisations de Bretton Woods, je suis d'avis que cette génération a largement disparu de la scène. Ma génération, qui est arrivée à l'âge adulte après la Seconde Guerre mondiale, comprenait encore. Comme la Seconde Guerre mondiale était très présente dans la mémoire de nos parents, je pense que nous comprenions encore l'importance de ces institutions. Mais avec le temps, les gens oublient à quel point ces institutions sont importantes. Et nous avons tendance à sous-estimer leur importance. Nous avons tendance à les dévaloriser.
Donc, je crois que nous devons nous méfier de ce que nous pensons, peu importe l'époque, car ce que nous pensons être normal peut ne pas l'être. Et nous devons nous inquiéter, je pense, de la façon dont les crises peuvent se développer. Les crises surviennent souvent, selon moi, sans que nous nous y attendions. La pandémie de COVID, nous aurions dû nous y attendre, et certainement les gens qui étaient dans les cercles médicaux mettaient en garde contre la possibilité d'une pandémie. Mais nous avons eu tendance à ne pas la prendre au sérieux en tant que pays. Nous avons eu tendance, collectivement, à ne pas la prendre au sérieux. Nos préparatifs étaient partiels. Nous n'avons pas vraiment réfléchi à ce dont nous pourrions avoir besoin en cas de pandémie grave. Et cela se reflète dans la manière dont nous avons réagi, parfois efficacement, parfois non. Selon moi, dans l'ensemble, nous avons réussi à réagir, bien que nous puissions tous penser à des façons dont nous n'avons pas si bien réagi.
En tirerons-nous des leçons? C'est toujours une possibilité, bien sûr. Nous pouvons apprendre des crises. Nous avons créé les diverses organisations internationales qui nous ont bien servi après la Seconde Guerre mondiale, parce que nous ne voulions pas répéter cette Seconde Guerre mondiale. Et c'était important, d'après moi. Nous avons appris. Nous commençons à apprendre douloureusement et trop lentement comment faire face aux changements climatiques. Mais parfois, lorsqu'une crise est terminée, nous oublions. Et je pense que le danger avec la pandémie, par exemple, est que nous soyons si heureux qu'elle soit terminée ou qu'elle se soit calmée, que nous ne soyons pas prêts collectivement à prendre les mesures nécessaires pour prévenir la prochaine. Il est presque certain qu'il y en aura une prochaine.
Alors, où en sommes-nous actuellement? Je crois que nous assistons, comme je l'ai dit, à une rivalité entre grandes puissances. Pas seulement entre les États-Unis et la Chine, bien que ce soit probablement la plus inquiétante, mais aussi entre la Chine et l'Inde, ces deux pays n'ayant toujours pas résolu certains de leurs litiges frontaliers. Nous devrions tous nous en inquiéter. Il y a eu des conflits autour des frontières communes entre l'Inde et la Chine, pas encore aussi graves, mais le potentiel est là. Nous avons eu tendance à supposer que les grandes guerres entre États ne se reproduiront plus. Et je ne suis pas convaincue que nous puissions être aussi confiants. Je veux dire, nous assistons à une course aux armements considérable en ce moment. Nous voyons des plans être faits pour des guerres éventuelles. Et bien sûr, les militaires font des plans, c'est leur travail et ils devraient faire des plans. Mais le danger est toujours que la planification se transforme en supposition.
Et donc, si vous commencez à planifier une guerre possible avec un ennemi possible, le danger est psychologiquement, je crois, que vous commenciez à supposer que cette guerre risque fort de se produire. J'ai été frappée par une thèse de doctorat que j'ai examinée au Royaume-Uni sur la rivalité navale américano-japonaise dans le Pacifique. Pendant la Première Guerre mondiale, ces deux marines ont commencé à penser qu'elles pourraient un jour s'affronter pour la domination du Pacifique. Conséquemment, une large part de leurs achats et de leur planification est allée dans le sens de la préparation à cet éventuel conflit. Par contre, ce n'est pas le seul facteur qui a contribué à la guerre entre les États-Unis et le Japon, mais il a contribué à mettre les deux pays sur une voie où des personnes influentes ont senti qu'une guerre entre le Japon et les États-Unis allait probablement se produire.
Et lorsque les États-Unis et la Chine parlent de la préparation en vue d'une éventuelle guerre entre leurs deux pays, que des personnes affirment dans des groupes de réflexion, comme c'est le cas à la fois en Chine et aux États-Unis, qu'une guerre va probablement se produire, qu'elle est susceptible de se produire, je pense que l'on s'aventure en territoire dangereux. Vous supposez quelque chose et, par conséquent, vous commencez à interpréter ce que l'autre partie fait à la lumière de ce que vous supposez. Et vous commencez également à vous préparer à quelque chose qui, selon vous, pourrait arriver. Cela ne veut pas dire que l'un ou l'autre pays souhaite la guerre, mais je pense que le fait de se concentrer sur l'autre comme ennemi potentiel comporte des dangers.
Donc, je pense que nous voyons toujours la possibilité d'une guerre d'État à État. Et comme je l'ai dit, un accident. Pensez à ce qui se passe dans la mer de Chine méridionale en ce moment, où la marine américaine est présente, à la fois sur l'eau, sous l'eau et dans les airs. Et bien sûr, une importante présence navale chinoise. Il risque d'y avoir des accidents. C'est venu près. Et il est survenu quelque chose l'année dernière où, si je me souviens bien, un navire américain et un navire chinois sont passés très, très près l'un de l'autre, dangereusement. Et nous pouvons tous nous demander ce qui se passerait si un avion était abattu, si un bâtiment devait être coulé et si l'opinion nationaliste des deux pays commençait à faire pression sur les dirigeants. La Chine est un état autoritaire, mais ils ont promu une éducation patriotique depuis des générations. Cela a contribué à créer une nouvelle génération de Chinois hautement nationalistes. Rien de mal à cela, sauf qu'il s'agit d'un type de nationalisme qui considère que le prestige de la Chine est lié au fait d'être une grande puissance. Et cela permet, même dans un régime autoritaire, de faire pression sur les gouvernements.
Je pense que nous allons également assister à une poursuite des guerres hybrides. Des guerres qui combinent la guerre sur Internet, le déni de service à d'autres pays, mais qui utilisent aussi des armes réelles. Je pense que nous verrons également, comme nous le voyons dans le monde entier, des conflits de faible intensité, et je dis faible intensité uniquement en ce qui concerne les armes utilisées, pas en ce qui concerne les dommages causés. Des conflits de faible niveau, souvent des conflits civils dans des États en déroute. Je ne vois aucune chance que certains de ces conflits prennent fin de sitôt. Je dirais que le Yémen, par exemple, ne risque pas de devenir un pays pacifique de sitôt. Je pense que nous assisterons à des guerres dans le monde entier. Nous espérons éviter les guerres d'État à État parce qu'une telle guerre comporte un potentiel de désastre. Alors, quelle est la place du Canada dans tout cela? Je vais m'arrêter là. Nous sommes confrontés à un certain nombre de défis de taille. Les médias l'ont peut-être exagéré, mais il me semble qu'il y a un certain degré de désunion au sein du pays en ce moment.
Il y a toujours eu des tensions entre le gouvernement fédéral et les provinces, et des tensions entre les provinces elles-mêmes, mais je crains que nous ne perdions de vue tout objectif ou point commun. Nous n'avons peut-être pas besoin d'un objectif commun, mais d'un certain sentiment que nous habitons le même pays et que nous avons certaines choses en commun.
Et nous sommes également confrontés à des menaces très sérieuses provenant de l'extérieur. Au sud, c'est peut-être exagéré, mais des gens raisonnables parlent maintenant du potentiel de guerre civile aux États-Unis. J'aimerais penser que c'est alarmiste, mais je crois que nous devons nous inquiéter de ce qui se passe aux États-Unis. Nous devons nous inquiéter de ce qui se passe dans la politique américaine, nous devons nous inquiéter de la polarisation de l'opinion politique américaine, de ce qui semble être la polarisation d'une grande partie de la société américaine et du simple nombre d'armes en circulation. Ce sont probablement les populistes les plus lourdement armés du monde, à l'exception peut-être de l'Afghanistan ou de certaines républiques d'Asie centrale, et c'est très inquiétant, selon moi.
Et bien sûr, nous devons nous inquiéter du fait que nous sommes un petit peuple vivant sur un très grand territoire, et qu'une grande partie de ce territoire présente un grand intérêt pour d'autres puissances. Nous devons nous inquiéter de ce qui se passe dans le Nord. Les changements climatiques vont bien sûr y contribuer, car le Nord devient plus accessible. Et comme la recherche de minéraux, d'accès et d'influence se poursuit, je pense que le Canada va devoir faire face à une pression considérable de la part de puissances, de la Russie et de la Chine, en particulier, qui se considèrent comme des puissances arctiques.
Et bien sûr, nous ne sommes pas très enthousiastes à l'idée de dépenser de l'argent sur des menaces, de dépenser de l'argent sur la défense. Nous avons tendance à supposer que nous pouvons nous débrouiller, que nous sommes membres de l'OTAN et de NORAD, que nous n'avons pas besoin de dépenser autant, que les États-Unis nous protégeront toujours. Nous devons nous garder d'être trop complaisants et nous devons essayer de réfléchir de manière constructive à certains de ces problèmes.
Enfin, je dirais que ce que nous devons faire, ce que les fonctionnaires doivent faire et ce que les gens comme moi doivent faire, c'est d'essayer d'améliorer notre capacité à penser au monde de manière constructive. Et je m'inquiète du fait qu'en partie à cause des pressions économiques, des journaux et la CBC/Radio-Canada sont dans l'obligation de réduire les bureaux à l'étranger, ce qui fait en sorte que nous recevons moins d'interprétation directe de ce qui se passe à l'étranger de la part des médias d'information. Et je m'inquiète aussi beaucoup de ce qui se passe dans nos universités. Selon moi, nous perdons notre capacité à étudier et à comprendre des parties du monde et des problèmes très importants. Je parlais hier à des collègues de l'Université de Toronto, et je crois qu'il n'y a plus personne qui s'occupe de politique étrangère russe, et il n'y a pas de cours, à ma connaissance, en politique étrangère canadienne. Et cela me semble très, très inquiétant, car c'est à l'université que nous formons les personnes qui vont pouvoir nous aider à comprendre le monde. C'est donc sur cette note plutôt déprimante que je vais m'arrêter. Merci.
Jill Sinclair :Je ne dirais pas déprimante, Margaret. Je dirais convaincante. Chaque mot que vous avez prononcé était fascinant. Merci beaucoup. Je veux dire, un balayage massif, de notre passé à l'époque actuelle, pour nous mettre dans un bon espace pour réfléchir à notre façon d'aborder ces questions. Les questions entrent rapidement, ce qui est merveilleux. Je vais m'inspirer de toutes celles-ci, mais j'aimerais d'abord vous parler de la complaisance, et j'aimerais insister un peu sur ce point. Vous avez parlé du Canada, des hypothèses canadiennes à l'égard du monde. Pensez-vous qu'il y a une complaisance, une simplicité, une naïveté, ou simplement la gentillesse et l'espoir des Canadiens?
Qu'est-ce qui pousse les Canadiens à penser au monde de la manière dont nous avons tendance à le faire en ce moment? Et puis je vais commencer à répondre à certaines des excellentes questions que j'ai reçues des gens ici.
Margaret MacMillan : Je crois que c'est en partie dû à notre histoire, car nous avons toujours fait partie de plus grandes organisations, et nous avons grandi au sein de l'Empire britannique. Et lorsque l'Empire britannique a commencé à s'écrouler, nous avons rejoint de bon gré les organisations internationales. Nous avons toujours été une puissance multilatérale. Nous avons toujours été une puissance qui croit au multilatéralisme. Nous avons toujours vécu à côté des États-Unis, la plus grande puissance du monde au XXe siècle, qui a vécu sa part de problèmes, nous le savons. Nous passons beaucoup de temps à réfléchir à notre relation avec les États-Unis et à la nature de celle-ci, mais, en tant que voisins des États-Unis, nous avons été en partie protégés par la puissance de ce pays. Et donc, nous avons réussi à certains moments, pas toujours, parce que je pense que les Canadiens ont beaucoup regardé le monde. Nous sommes parfois parvenus à penser que quelqu'un d'autre s'en chargerait ou que nous étions suffisamment en sécurité. D'après moi, cela s'émousse un peu maintenant. Nous devons réfléchir davantage notre manière de nous défendre, car nous ne pouvons pas supposer que les autres vont nécessairement le faire pour nous. Et les dépenses en matière de défense, comme vous le savez mieux que moi, ne sont jamais populaires auprès du public parce qu'elles sont perçues comme quelque chose qui n'est pas nécessaire, mais je les considère comme une sorte d'assurance et quelque chose dont nous avons besoin.
Nous nous sommes tournés vers l'intérieur parce que nous avions des problèmes très réels à gérer. Et pendant la majeure partie de ma vie adulte, la relation entre le Québec et le reste du Canada, et notre constitution, ont été des enjeux majeurs. Donc, je pense que nous avons été préoccupés par nos propres problèmes à l'interne, mais le monde ne nous laisse pas tranquilles.
Jill Sinclair :Merci, Margaret. Le monde ne nous laisse pas tranquilles, c'est vrai. Je vais m'inspirer de certaines des questions, de très bonnes questions, et des commentaires qui sont formulés en ce moment. J'aimerais commencer par le lien avec l'histoire.
L'une des questions est la suivante : le manque de liens de la génération actuelle avec la Seconde Guerre mondiale est-il la principale raison de, comme le dit notre interlocuteur, « la dévalorisation des institutions multilatérales et des organisations internationales »? Et ceci est lié à la remarque que vous avez fait sur la façon dont l'expérience de la Seconde Guerre mondiale a été viscérale et sur le fait de s'appuyer sur l'expérience de la Première Guerre mondiale pour produire toutes ces institutions qui font partie de la charte des Nations Unies, et le droit des conflits armés, et tout ce que nous avons appris à connaître et à aimer dans notre ordre international fondé sur des règles. Pensez-vous qu'à mesure que les générations s'en éloignent, nous avons oublié leur origine et leur importance? Et que faire face au passage du temps et à la nécessité de garder la mémoire vive sans avoir à revivre l'expérience?
Margaret MacMillan : Je sais, c'est une question difficile. Le passage du temps est important, car les générations suivantes ne ressentent pas autant que moi la Seconde Guerre mondiale. Mon père, qui était dans la marine canadienne, m'a raconté des histoires, donc c'est quelque chose qui est arrivé à quelqu'un que je connaissais. Et mes deux grands-pères ont participé à la Première Guerre mondiale. Eux aussi m'ont aussi raconté des histoires. Et cela ne se produit plus aujourd'hui. Nous ne voulons pas effrayer les jeunes, mais ce que nous devons faire, c'est leur donner un sens de l'histoire et leur donner un sens de la place du Canada dans le monde.
C'est pourquoi je m'inquiète du fait que les universités n'ont pas de personnes qui enseignent ce qui se passe sur la scène internationale et qui n'expliquent pas ce que sont les autres pays et les autres civilisations, parce que nous devons comprendre que le Canada existe dans un monde, et c'est un monde qui, selon moi, devient de plus en plus turbulent, et que nous ne pouvons pas continuer à ignorer ce qui se passe à l'extérieur de nos frontières. Je pense que l'éducation publique est importante, que la CBC/Radio-Canada est très importante, mais elle a été systématiquement sous-financée pendant des années, et elle n'est plus en mesure de diffuser le genre de documentaires qu'elle diffusait autrefois, qui aidaient les Canadiens à en apprendre à propos d'eux-mêmes et du monde.
Jill Sinclair :Merci, Margaret. Poursuivons un peu dans la même veine. Nous avons reçu une question très intéressante ici, soit, « Croyez-vous que l'affaiblissement des institutions internationales et des mécanismes de puissance discrète est également inévitable avec le temps? » Est-ce que ces compétences s'atrophient un peu à cause, encore une fois, de la complaisance, ou parce que nous nous sentions à l'aise ou que nous faisions des suppositions, et ici je ne parle pas du Canada, mais globalement, que nous ne verrions pas de manifestation de puissance d'État à État?
Margaret MacMillan : Je crois que oui. Vous vous souvenez probablement que dans les années 1990, on parlait beaucoup de la disparition de l'État-nation. Le monde est tellement international, l'État n'a plus d'importance, et toutes ces grandes entreprises ont simplement contourné l'État. Je pense que nous réalisons en fait que le pouvoir de l'État compte véritablement. Et toutes ces grandes entreprises commencent à réaliser, toutes les entreprises technologiques commencent à réaliser que le pouvoir de l'État est quelque chose avec lequel elles doivent composer et qui peut réellement affecter leurs affaires. La manière dont la Chine a traité et limité les entreprises technologiques étrangères en est un exemple très intéressant, je crois. Donc, oui, nous devons comprendre que l'État-nation est toujours très important, et nous devons continuer à nous en souvenir. La puissance discrète est importante, selon moi. Elle doit être combinée avec la puissance coercitive, mais il est toujours si facile de réduire les choses, de réduire l'aide étrangère. Les gouvernements ont tendance à le faire. Le gouvernement britannique vient de réduire son budget d'aide étrangère. Il a réduit le financement du BBC World Service, qui est probablement l'un des meilleurs atouts dont il dispose pour promouvoir les idées et rejoindre les gens dans le monde entier. Elle jouit d'une grande confiance. Il a réduit le financement du British Council (Conseil britannique).
Le gouvernement canadien avait un programme de parrainage des études canadiennes à l'étranger dont l'objectif était d'encourager les Canadiens à étudier dans d'autres pays, mais aussi d'amener des universitaires étrangers et d'autres personnes à étudier et à travailler au Canada, afin qu'ils comprennent ce qu'était le Canada, mais ce programme est suspendu. Il n'était pas très dispendieux, mais en fait, ce programme permettait des échanges très utiles entre les citoyens de différents pays et c'était un moyen de promouvoir la compréhension du Canada dans d'autres parties du monde. Je veux dire qu'il y avait un groupe d'études canadiennes à l'Université d'Édimbourg, par exemple, qui était très important pour expliquer aux Britanniques, et aussi pour conseiller les Britanniques parce que nous avons géré des choses qu'ils essaient de gérer en ce moment. Ils doivent gérer le transfert des responsabilités et des différences régionales. Ils sont confrontés au séparatisme. Le Canada a beaucoup d'expérience dans ces domaines et peut aider les Britanniques à y réfléchir, mais rien de cela ne se produit pour le moment.
Jill Sinclair :Vous parlez beaucoup de la nécessité de comprendre et de saisir les différentes perspectives. Et j'aimerais vous demander, vous avez mentionné Internet, l'ère numérique. J'aimerais vous demander si vous pensez que c'est l'une des plus grandes différences dans votre... qu'est-ce qui est pareil, où est la continuité et où est le changement? Nous entendons beaucoup parler de l'Internet des objets, mais il me semble que nous avons un Internet de la politique, qui est vraiment le moteur du changement, mais je m'en réjouis. Comment comprendre dans ce monde de multiples contributions, à la seconde près?
[La fenêtre vidéo de Margaret revient. Elle remplit l'écran à mesure qu'elle parle.]
Margaret MacMillan : Nous sommes submergés d'informations, n'est-ce pas? Le danger est que, bien sûr, nous choisissons l'information qui peut s'inscrire dans un gazouillis. Un nombre limité de caractères, ou les gros titres qui tendent à attirer votre attention, mais qui ne vous permettent pas nécessairement de mieux comprendre. Et nous savons de plus en plus que, en grande partie à cause des algorithmes qui sont utilisés sur un certain nombre de sites, un certain nombre de fournisseurs sur Internet tels que Twitter et tous ces médias sociaux tels que Twitter, les algorithmes ont tendance à vous pousser dans la direction de déclarations de plus en plus extrêmes parce que ce sont les déclarations extrêmes qui font réagir. C'est dangereux, et cela permet, bien sûr... Il y a toujours eu des théoriciens du complot dans le monde. C'est un trait humain, nous aimons les théories du complot. Si nous ne pouvons pas expliquer quelque chose, nous cherchons une conspiration, et ça a toujours été le cas. Nous avons toujours eu des gens qui avaient des opinions très sombres ou qui ont comploté pour renverser des systèmes. Ce qui est davantage possible maintenant, c'est qu'ils entrent en contact les uns avec les autres. Autrefois, les personnes qui ont assassiné l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo se sont radicalisées en lisant des livres, mais cela prenait plus de temps à l'époque, et elles n'étaient pas en communication directe avec d'autres radicaux dans le monde. C'est désormais possible, et les gens se radicalisent. Des gens se réunissent en groupes, souvent à des fins néfastes. La pédophilie, par exemple, qui est, je pense, une préoccupation très réelle, est maintenant facilitée par Internet et permet à des personnes partageant les mêmes idées d'entrer en contact les unes avec les autres et d'avoir le sentiment d'être normales.
Donc, nous vivons dans un monde différent. Nous devenons plus sophistiqués à ce sujet, et je pense que les jeunes apprennent progressivement qu'il ne faut pas croire tout ce que l'on voit sur Internet, que tout n'est pas digne de confiance. Donc, nous développons, nous commençons également à développer des moyens de faire face à certaines des choses les plus flagrantes qui se passent sur Internet.
Jill Sinclair :Margaret, toute cette question, vous l'avez mentionné dès le début, nous devons comprendre la complexité, nous devons être capables de remettre en question les histoires falsifiées. Et il me semble que la nouvelle histoire créée au moyen d'Internet est quelque chose que, comme vous le dites, nous commençons peut-être à contester. C'est une pensée un peu encourageante.
J'ai maintenant un certain nombre de questions, et je vais, je pense, vous ramener sur le sujet des crises. Commençons par la COVID, parce qu'avant que l'Ukraine et la Russie n'apparaissent sur notre écran, tout tournait autour de la COVID. Quelles leçons pouvons-nous tirer de cela? J'aimerais répondre à une question de quelqu'un qui dit que, je suis d'accord, nous sommes souvent mal préparés aux crises, et cela inclut des choses comme la COVID, et nous ne prenons pas toujours les avertissements des experts très au sérieux. Cependant, cette personne se demande s'il est vraiment possible de se préparer adéquatement à tous les scénarios négatifs prévus par les experts dans des centaines de domaines différents. Comment faire face à tout cela?
Margaret MacMillan : C'est une bonne question. Comment faire le tri? Il y a certaines choses, je dirais. Nous ne pouvons pas nous protéger contre tout, mais les changements climatiques sont en train de se produire. Il y a toujours des gens qui nient ce phénomène, mais les changements climatiques sont bel et bien là, ce qui signifie que nous vivrons davantage de phénomènes météorologiques extrêmes. Donc, les pays qui sont proches de la mer ou des rivières, ou les villes proches des rivières ou des mers, doivent réfléchir à la façon de gérer cela. Les Néerlandais le font depuis des siècles, bien sûr, mais les villes de New York et Miami vont devoir y réfléchir sérieusement, car c'est déjà le cas. Quand l'eau salée remonte dans les jardins des habitants de Miami, il se passe déjà quelque chose. Je pense qu'il faut toujours évaluer la gravité et l'impact potentiel des défis, mais certains sont si urgents que nous pouvons voir qu'il faut les aborder.
Et je pense qu'en matière de pandémies, nous avons évité le pire en ce qui concerne le SRAS et le SRMO. Ceux-ci ne se sont pas transformés en une véritable pandémie, mais ils sont nés, pour autant que nous le sachions, de l'interaction croissante des êtres humains avec les animaux et d'autres espèces, et cela va se reproduire parce que nous exerçons une pression, en tant qu'espèce, sur des zones qui, jusqu'à présent, n'étaient pas habitées par des humains. Et la transmission de maladies des bêtes aux humains, des oiseaux aux humains, est quelque chose que nous savons qui se produit, et qui va se reproduire.
Nous devons examiner les leçons que nous avons tirées de cette pandémie. Mettre de côté d'énormes quantités d'équipements de protection individuelle n'est probablement pas ce qu'il faut faire, et le gouvernement britannique en jette actuellement pour des milliards de livres sterling. Mais ce que vous devez faire, c'est vous assurer que vous avez les instituts de recherche, que vous financez les instituts. Sans l'Oxford Institute, par exemple, qui a développé le vaccin d'AstraZeneca, qui travaille sur les maladies COVID depuis des décennies maintenant, et qui élabore des moyens de trouver et de développer de nouveaux vaccins, nous n'aurions pas pu l'obtenir aussi rapidement. Nous pouvons faire des choses comme nous assurer que nous avons la capacité de recherche. Ce que des pays comme le Canada pourraient bien vouloir faire, ce n'est pas seulement la capacité de recherche, mais aussi examiner toute la question de la chaîne d'approvisionnement et se demander s'il y a certaines choses que nous devrions vraiment être en mesure de produire à l'intérieur de nos propres frontières, parce que sinon nous allons être dépendants de la production ailleurs. Et comme nous l'avons vu pendant la COVID, cela peut effectivement nous causer des problèmes. Il y a des choses que nous pouvons faire. Bien sûr, nous ne pouvons pas nous préparer à toutes les éventualités. Nous ne devrions probablement pas nous préparer à ce que des astéroïdes frappent la terre en ce moment, mais nous devrions nous préparer à une autre pandémie et nous devrions nous préparer aux changements climatiques.
Jill Sinclair :Mon Dieu, je viens tout juste de regarder le film « Déni cosmique », mon Dieu, 90 minutes gaspillées. Mais non, il y a beaucoup de choses réelles qui vont nous frapper avant les astéroïdes, on suppose. Nous avons beaucoup de bonnes questions qui nous ramènent à l'histoire, Margaret, alors je vais essayer de regrouper certaines d'entre elles pour vous. Et aussi, nous allons parler des crises actuelles. L'une d'entre elles concerne Athènes contre Sparte, la Grande-Bretagne et ses alliés contre l'Allemagne, Eden contre Nasser. Je viens de terminer la lecture du livre « Britain Alone », que j'ai beaucoup apprécié et que je recommande à tous ceux qui ont envie d'un bon récit historique. Et ils poursuivent en disant, maintenant que les États-Unis et leurs partenaires sont en concurrence avec la Chine et la Russie, que dit l'histoire à propos de la concurrence entre les démocraties et les États autoritaires, et quel système a l'avantage?
Margaret MacMillan : Oui. Je ne suis pas convaincue qu'il y ait une réponse claire et nette à cette question, même si j'aimerais qu'il y en ait une. Les démocraties ont certains avantages à long terme sur les autocraties, d'après moi. Les autocraties peuvent se mobiliser plus rapidement; elles peuvent créer des économies de guerre plus rapidement, comme Staline l'a fait en Union soviétique. Elles peuvent imposer des contrôles stricts à leur population. Mais à long terme, je pense que les démocraties peuvent se maintenir... Si leur peuple est persuadé que cela en vaut la peine, elles peuvent soutenir une lutte. L'autocratie peut faire beaucoup, mais une participation volontaire des populations, comme celle des Britanniques, des Canadiens et des Américains pendant la Seconde Guerre mondiale, peut montrer la force des démocraties.
Il faut souvent beaucoup de temps aux démocraties pour arriver au point où elles font réellement quelque chose, mais lorsqu'elles le font avec le soutien de leurs populations, elles peuvent être très, très efficaces, selon moi. C'est une forme de gouvernement exaspérante. Elle conduit souvent à un grand nombre d'efforts gaspillés, nous prenons souvent de nombreux faux départs, en faisant participer les gens et en travaillant avec le soutien de la population, les démocraties peuvent réaliser beaucoup de choses. Et je dirais que l'une des choses qui préoccupent Poutine est l'attrait de la démocratie. Il utilise des arguments historiques pour affirmer que l'Ukraine devrait faire partie de la Russie, mais il est également très préoccupé par le fait que le modèle de démocratie, aussi imparfait soit-il, à sa porte, n'est pas quelque chose qu'il veut que le peuple russe voie. Il a également été secoué par les récentes émeutes et manifestations au Kazakhstan, qui peuvent avoir eu un élément prodémocratique. Je pense que nous n'en savons pas encore assez.
Et je pense que le président Xi Jinping est profondément préoccupé par l'idée qu'il devrait permettre la liberté d'expression. C'est l'une des raisons pour lesquelles je pense que les Chinois ont réprimé si fortement Hong Kong. Malgré tout ce qu'ils avaient dit qu'ils ne feraient pas, ils ont maintenant réprimé Hong Kong et continuent de le faire, c'est à cause de l'effet des manifestations et de l'exemple. Et il se peut que le peuple chinois ne veuille jamais le genre de démocratie qu'il voit en Occident, mais il se peut que ce que le Parti communiste craigne en Chine, ce soit toute allusion à des formes alternatives de gouvernement ou toute allusion au fait que le peuple devrait choisir le parti qui le dirige. Il faudra voir. Les démocraties, cela dépend de ce à quoi elles ont affaire, et elles ne le font pas toujours de manière efficace, mais je crois que cela continuera à être une forme de gouvernement qui, lorsqu'elle fonctionne, fonctionne bien.
Jill Sinclair :Une autre pensée encourageante. Je prends note de celles-ci, Margaret. Mais puis-je poser une question complémentaire? Cela concerne la résilience, la résilience de la démocratie. Parce que vous dites qu'à long terme, les démocraties ont plus de chances de réussir, et cela dépend dans une certaine mesure de la résilience de la société. Prévoyez-vous des défis à cet égard? Je pense, par exemple, à ce que Poutine a dit lorsque nous avons parlé de sanctions extrêmes envers la Russie, « Eh bien, rappelez-vous Stalingrad. »
Margaret MacMillan : Eh bien, ce pour quoi le peuple russe s'est battu pendant la Seconde Guerre mondiale, la preuve en est qu'il ne se battait pas pour le Parti communiste, et qu'il ne se battait pas pour Staline, il se battait pour la Russie, et il se battait pour ses familles, et il se battait pour sa patrie. Selon moi, c'est ce qui a vraiment permis aux Russes de survivre à la Seconde Guerre mondiale. Ils vivaient dans un État très autoritaire, mais s'ils ne l'avaient pas soutenu, je ne pense pas que cet effort de guerre aurait été possible. Alors même que les Allemands envahissaient le pays en 1941 et que les dirigeants étaient en plein désarroi ou essayassent de trouver une solution, à Moscou, un certain nombre de Russes sur le chemin de l'avancée allemande prenaient eux-mêmes les armes et s'organisaient en groupes. Donc, je crois que ce que vous avez eu là était un véritable effort populaire soutenu par le peuple russe.
Les démocraties fortes peuvent faire face à des défis comme la guerre. La Grande‑Bretagne, lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, la France, lors de la Première Guerre mondiale, et bien sûr pas lors de la Seconde Guerre mondiale, ont dû faire face à la guerre, et la population a soutenu cette guerre. Il y a eu des désaccords tout au long de la guerre, on a suggéré que le gouvernement devrait démissionner, et parfois le gouvernement a démissionné. On a suggéré que Churchill devait être remplacé. Mais dans l'ensemble, le public britannique a continué à soutenir l'effort de guerre pendant les deux guerres mondiales, tout comme le public canadien.
Si une démocratie est persuadée, si les gens sont persuadés que la cause est juste, et si la démocratie est forte. Toutes les démocraties ne sont pas aussi fortes que les autres, et parfois nous constatons que les démocraties ne peuvent pas supporter le défi des grandes crises et qu'elles deviennent autoritaires.
Jill Sinclair :Margaret, pour poursuivre, la Russie, et maintenant la crise actuelle que nous traversons du côté de l'Ukraine, j'ai quelques questions à vous poser. La première, toujours de la part de nos participants, pourriez-vous commenter un peu plus la situation, la Russie, l'Ukraine, qui s'apparente peut-être plus à 1914 qu'à 1938, dans le sens qu'il s'agissait à cette époque d'un conflit régional dans les Balkans, qui a éclaté en raison des ultimatums des grandes puissances et du positionnement des grandes puissances et des structures d'alliance et tout le reste. Pensez-vous que nous sommes dans un espace où le risque d'erreur de calcul est quelque chose que nous devrions considérer?
Margaret MacMillan : Oui, nous devrions nous inquiéter des erreurs de calcul. Je pense que Poutine... Je ne comprends pas très bien pourquoi le président Poutine a décidé de le faire à ce moment-ci, mais il s'est mis dans une position où s'il recule, qu'est-ce que cela signifie pour son autorité et son prestige? Mais s'il va de l'avant, peut-il être sûr qu'il ne rencontrera pas de résistance de la part des Ukrainiens eux-mêmes, voire d'autres puissances? Je dirais que c'est peu probable.
Le président Biden a été clair, il ne veut pas d'une guerre pour l'Ukraine. Mais si Poutine décide d'envoyer ses troupes en Ukraine, il rencontrera la résistance des Ukrainiens. Il sera capable de causer d'énormes dégâts en bombardant Kiev, ou ailleurs, mais il se heurtera, d'après moi, à une opposition déterminée. Et que se passera-t-il quand le nombre de Soviétiques... Désolé, je pense toujours à... Quand le nombre de soldats russes, le nombre de morts commencera à augmenter. Je crois qu'il doit avoir à l'esprit ce qui est arrivé à l'Union soviétique en Afghanistan et comment cela a vraiment contribué à saper les derniers vestiges de l'autorité soviétique dans les années 1980.
Il fait grand cas, et il est sur le point de se rendre à Pékin, du soutien de la Chine. Mais du point de vue de la Russie, cette relation me semble très délicate. La Chine est plus grande, à la fois économiquement, démographiquement et militairement. La Russie, comme nous le savons, a un sérieux problème démographique et il est particulièrement aigu si l'on pense aux impératifs géopolitiques à l'est. Tous ces territoires que la Russie a pris au XIXe siècle sont sous‑peuplés, et il y a énormément de Chinois qui vivent juste au sud de la frontière. Et les Chinois n'ont pas oublié que certains de ces territoires étaient traditionnellement les leurs. Donc, je crois que la Chine ne sera pas un grand frère amical. La Chine soutiendra la Russie quand ce sera dans son propre intérêt. Mais la Russie, si elle devait se jeter dans les bras de la Chine, elle se mettrait à la merci d'une puissance beaucoup plus grande, qui se comportera comme les grandes puissances le font toujours, soit de la manière qui lui convient.
Mais ce qui m'inquiète maintenant, c'est que Poutine s'est mis dans cette position. Et que va-t-il faire ensuite? Je veux dire, s'il peut y avoir une entente négociée pour sauver la face, alors j'espère vraiment que ce sera le cas. Mais je suis d'avis qu'il est possible que l'Occident doive concéder que l'Ukraine ne deviendra probablement pas membre de l'OTAN.
L'OTAN n'a fait aucun geste pour intégrer l'Ukraine et personne n'en parle beaucoup ou n'en parlait beaucoup. Mais si Poutine insiste sur des promesses ouvertes, alors cela peut être difficile. Mais la négociation et la diplomatie doivent avoir un rôle à jouer ici, car sinon nous courons vraiment le risque d'un conflit majeur, qui causera une énorme misère, pas seulement en Ukraine, mais qui déstabilisera sérieusement les pays autour de l'Ukraine, la Pologne, par exemple. Nous sommes confrontés à une situation très grave. Donc, nous devons espérer que la négociation et la diplomatie puissent trouver un moyen de sortir de cette situation.
Jill Sinclair :Margaret, j'aimerais poursuivre sur cette lancée, car comme vous le disiez, comment pouvons-nous trouver une issue à cette crise particulière? Nous avons une question de nos participants à savoir si l'OTAN fait partie du problème ou de la solution. J'aimerais que vous y répondiez.
Mais avant d'en arriver là, Poutine a essentiellement demandé – par écrit – des sphères d'influence. Et j'aimerais vous ramener à votre référence à l'apaisement, car je pense que le véritable défi semble être, comment trouver un moyen de répondre aux véritables préoccupations de la Russie sans tomber dans l'apaisement et donner à une grande puissance un droit de regard sur la vie des autres puissances? Je ne sais pas si d'autres ont lu les documents russes qu'ils ont envoyés à l'OTAN et aux États-Unis. Mais pour ceux d'entre vous qui sont intéressés, ils sont fascinants.
Et je dois dire que lorsque je les ai lus, Margaret, la seule chose qui me semblait manquer à la liste de souhaits de Poutine est : « Et nous voulons démilitariser le Canada neutre ». Mais peut-être pensent-ils qu'ils l'ont déjà fait de toute façon. Mais que pensez-vous de cette pente glissante de l'apaisement et de tout cela? Est-ce que des choses comme les sanctions peuvent être dissuasives ou est-ce qu'elles commencent à faire monter la température des sanctions proactives avant les conflits?
Margaret MacMillan : Eh bien, en ce qui concerne les sanctions, cela dépend si vous les prenez au sérieux ou non et je ne pense pas que nous les ayons prises au sérieux. La Grande-Bretagne a maintenant un véritable problème avec l'argent des oligarques. D'énormes quantités d'argent russe ont afflué en Grande-Bretagne. Le système bancaire britannique est appelé la « blanchisserie ». Toutes sortes de propriétés sont maintenant détenues au Royaume-Uni, y compris des clubs de foot, mais aussi des biens immobiliers très chers détenus par de l'argent d'origine très douteuse, provenant de Russie. D'une certaine manière, si nous voulons être sérieux au sujet des sanctions, nous devrions vraiment faire quelque chose à ce sujet. Mais le gouvernement britannique vient d'abandonner un projet de loi qui aurait poussé à une plus grande transparence sur les propriétaires des biens. Donc, il n'est clairement pas concerné par... Il va probablement juste aller faire une autre fête. Je n'y crois pas trop.
Donc, les sanctions pourraient être efficaces si elles touchent vraiment les gens autour de Poutine et la propre famille de Poutine qui, de toute évidence, ont investi beaucoup d'argent à l'étranger. Et les amis de Poutine qui ont investi d'énormes sommes d'argent, qu'ils ont probablement obtenues de... qu'ils détiennent pour Poutine lui-même.
En ce qui concerne l'apaisement, si nous l'appelons apaisement, nous pensons que c'est une mauvaise chose parce que nous regardons les années 1930 et nous disons, ils ont essayé d'apaiser les dictateurs et ils ont eu tort. Si nous l'appelons une tentative de trouver un compromis et de répondre aux préoccupations d'un pays, alors je pense que nous le voyons sous un jour différent. J'ai toujours pensé que l'endiguement, la politique menée pendant la guerre froide, était en fait... fortement teinté d'apaisement. L'Occident disait essentiellement qu'il y avait un empire soviétique en Europe de l'Est, et que nous n'allions pas essayer de le faire reculer malgré les beaux discours. Et lorsque les Soviétiques ont utilisé les chars pour écraser les peuples en Hongrie, en Pologne, en Tchécoslovaquie, l'Occident n'a rien fait. Et je dirais que c'est de l'apaisement. Mais c'est comme ça qu'on l'appelle. Maintenant, si vous essayez de répondre aux préoccupations légitimes de la Russie, qui veut une Ukraine amicale à ses frontières, tout comme les États-Unis veulent un Canada amical à leurs frontières, alors il faut trouver un moyen de répondre à ces préoccupations, et non pas de la manière dont Poutine le fait en ce moment.
Si nous prenons l'exemple de la Finlande, la Finlande est une démocratie très réussie, une démocratie très vigoureuse, mais elle a suivi une politique de neutralité, ce qui a été rassurant d'abord pour l'Union soviétique et ensuite pour la Russie. L'idée de sphères d'influence, je crois que nous devons l'accepter. C'est un fait qui a toujours existé dans l'histoire, tout comme l'empire a existé pendant une grande partie de l'histoire. Maintenant, vous aurez de grandes puissances qui voudront s'assurer que leurs frontières sont sûres. Une fois encore, nous devons nous rappeler à quel point les frontières de la Russie ont été peu sûres pendant une grande partie de son histoire. Pensez à l'invasion de la Première Guerre mondiale, à l'invasion de la Seconde Guerre mondiale, aux invasions napoléoniennes, aux invasions mongoles. Vous devez comprendre que la Russie est profondément insécurisée et préoccupée par la sécurité. Et donc, pour que la Russie veuille au moins un pays neutre à ses frontières, si elle pouvait accepter l'Ukraine comme la Finlande, je pense que cela pourrait être un moyen de s'en sortir.
Mais il se peut qu'elle ne l'accepte pas parce que, comme je l'ai dit, l'Ukraine a un effet de démonstration. Si les Russes peuvent voir une Ukraine où la presse est libre, où le débat est libre, où la démocratie se développe, alors ils pourraient bien vouloir la même chose en Russie. Et la cote de popularité de Poutine, d'après ce que nous savons, est en baisse. Il se peut donc qu'il ait le sentiment que sa propre position est incertaine. Et toutes ces choses se rejoignent, je pense.
Jill Sinclair :En effet, et comme vous le savez, je passe un peu de temps sur l'Ukraine et avec l'Ukraine, mais l'Ukraine en tant que démocratie prospère, florissante et dynamique, pensez-vous que c'est peut-être plus la menace que la menace de l'OTAN? Et cette question que nous posent nos participants, est-ce que vous voyez l'OTAN comme étant davantage le problème ou la solution?
Margaret MacMillan : Je soupçonne que c'est la menace d'une Ukraine prospère et florissante qui perturbe vraiment Poutine, mais qui sait? Je ne considère pas l'OTAN comme le problème, même si je pense que l'expansion de l'OTAN n'était pas judicieuse et qu'il est facile de dire rétrospectivement que nous aurions dû y réfléchir davantage. Mais dans les années 1990, tout semblait ouvert, l'Union soviétique était finie et la Russie allait apparemment coopérer avec l'Ouest.
Aucune promesse n'a été faite, selon moi. Poutine prétend qu'il y a eu une promesse faite quant à un élargissement de l'OTAN vers l'est par le président Bush père et Baker en 1990, et c'est de la foutaise. Aucune promesse de ce type n'a été faite. Mais je crois que l'OTAN aurait pu être plus prudente dans son élargissement, car si vous vous étendez, vous devez être sûr que vous pouvez réellement défendre les pays dans lesquels vous vous étendez. Et si vous incluez les pays baltes, qu'allez-vous faire pour les soutenir? Et je ne suis pas certaine que cela... nécessairement... je veux dire, vous en savez plus que moi, Jill, mais je ne suis pas convaincue que l'on n'y ait suffisamment réfléchi dans les années 1990, mais cela est chose du passé.
Pour l'instant, je ne vois pas l'OTAN comme un problème. L'OTAN n'est vraiment qu'une petite partie du problème, qui est la relation entre la Russie et ses voisins, et entre la Russie et l'Occident. C'est sur cette relation que nous devons nous concentrer. Et il n'y a pas que l'OTAN, il y a aussi l'Union européenne. Je veux dire, Poutine déteste l'Union européenne. Il la voit comme une menace. Il aimerait la détruire autant qu'il le peut. Il fait de son mieux pour la perturber. Comment faire face à cela? Il y a donc toute une série de problèmes, mais le problème immédiat auquel nous devons penser est l'Ukraine et comment éviter que cela ne devienne une catastrophe, en particulier pour les Ukrainiens.
Jill Sinclair :Absolument. Margaret, en parlant des intentions, de catastrophes et tout cela, nous avons une question qui revient sur l'enjeu des États-Unis et de la Chine. Vous avez parlé des tensions, vous avez parlé de la mer de Chine méridionale. Notre interlocuteur demande si vous croyez qu'un conflit, une confrontation, entre les États-Unis et la Chine est inévitable, y compris non seulement dans la région immédiate de l'Asie-Pacifique, mais aussi en Afrique et même en Amérique latine. Et j'ajouterais ici que nous connaissons la concurrence pour les ressources, les minéraux des terres rares, ce genre de choses. Pensez-vous qu'il s'agit là d'une autre source de tension qui pourrait amener les relations difficiles et conflictuelles entre la Chine et les États-Unis dans d'autres parties du monde?
Margaret MacMillan : Oh, je crois que c'est déjà le cas. Dans les îles du Pacifique, c'est déjà le cas. Et je pense que c'est une concurrence pour les ressources, sans aucun doute. Les États-Unis et d'autres pays ont toujours fait valoir qu'il y avait des moyens de partager les ressources. Que nous n'avons pas besoin d'être en concurrence pour elles. Mais malheureusement, actuellement, la concurrence est là, et la crainte que si vous ne les obtenez pas, quelqu'un d'autre le fera.
Il y a une concurrence pour l'influence. Selon moi, ce qui est intéressant à propos des mouvements chinois vers des endroits comme l'Afrique et l'Amérique latine, c'est qu'ils commencent maintenant à faire face à des réactions négatives. Ils commencent à être critiqués par la population locale qui dit : « Vous ne créez pas d'emplois. En fait, vous ne faites que soudoyer les gens. Vous faites venir votre propre main-d'œuvre, vous faites venir vos propres gens. » Il y a aussi des critiques selon lesquelles ils subornent les gouvernements en leur offrant des prêts et en utilisant ensuite ce qu'ils appellent la diplomatie de la dette, en mettant les gouvernements, comme ils l'ont fait avec le Sri Lanka, dans une position où ils n'ont pas d'autre choix que d'accepter de vendre des actifs tels que des ports aux Chinois.
Et ce que je trouve intéressant, c'est qu'il commence à y avoir de la résistance. Le Baloutchistan est très intéressant, au Pakistan. Ils ont construit cette voie ferrée jusqu'au port de Gwadar. Et les Chinois continuent de dire qu'ils n'installeront pas de forces de sécurité. Nous voulons juste commercer à travers le Pakistan jusqu'à l'océan Indien. Si vous construisez un chemin de fer dans l'une des régions les plus dangereuses du monde, vous allez devoir mettre en place des forces de sécurité, et c'est ce qu'ils ont fait. Les Chinois constatent que l'initiative « Une ceinture, une route » n'est pas aussi facile qu'ils le pensaient, d'après moi. Si je ne m'abuse, ils ont en fait retiré certains de leurs investissements.
Jill Sinclair :Oui. Je pense qu'ils n'ont peut-être pas... Ils n'étaient pas préparés à la complexité de toutes ces relations après avoir été si singuliers et si centrés sur eux-mêmes pendant si longtemps. C'est donc un sujet à surveiller.
J'aimerais aussi revenir sur une référence que vous avez faite au leadership et aux leaders. Parce que je pense que lorsque certaines personnes regardent autour d'elles, moi y compris, je dis, « Hum-hum, où sont les leaders? » Ce qui est intéressant, en quelque sorte... que le pouvoir des dirigeants autocratiques par rapport aux défis que les dirigeants dans les démocraties ont lorsque vient le temps de faire quoi que ce soit, juste à cause de la diffusion de l'information, de l'Internet, du numérique, pouvez-vous juste parler du leadership et où sont nos leaders aujourd'hui?
Margaret MacMillan : Eh bien, il y a différents types de leadership, n'est-ce pas? C'est-à-dire qu'il y a le leadership constitutionnel où les dirigeants travaillent dans certaines limites et doivent traiter avec d'autres institutions ou d'autres dirigeants dans leur propre société. Et puis il y a les sociétés plus autocratiques où le dirigeant, en théorie, a un plus grand pouvoir. Mais bien sûr, même dans les sociétés autocratiques, les dirigeants doivent faire face aux réalités de ce dont ils sont responsables. Ils doivent s'assurer qu'ils ont l'autorité nécessaire pour faire ce qu'ils veulent faire. Et ils doivent tenir compte d'une manière ou d'une autre de ce que veut le public, même s'ils peuvent souvent ignorer l'opinion publique.
Ce que je trouve inquiétant, c'est que nous semblons développer cette marque de dirigeants populistes qui jouent sur les sentiments nationaux, qui eux-mêmes illustrent souvent – je dois dire que ce sont principalement des hommes, et ils semblent illustrer un type de masculinité. Ils me rappellent un peu, je pense au président Duterte qui avait l'habitude de faire partie des raids armés pour montrer quel homme fort il était, ou Chavez au Venezuela, le président Trump aux États-Unis. Ils semblaient souligner qu'ils étaient ces hommes audacieux, un peu comme Mussolini en Italie, je dois dire, même si, bien sûr, les circonstances sont très différentes. Il était toujours en train d'enlever sa chemise et d'aller rentrer la récolte et de rouler en moto ou de conduire des bateaux à moteur très rapidement. Et je pense que ce type de leadership peut être très dangereux parce qu'il peut donner une voix aux ressentiments. Et chaque société a ses ressentiments, comme il se doit, mais la voix qu'elle donne est souvent trompeuse. Elle promet une solution très simple, « Je vais arranger les choses ». Boris Johnson le fait aussi dans sa déclaration au parlement, « Je vais arranger les choses », une déclaration peu convaincante. Mais il existe selon moi un type de leadership qui est amplifié par Internet et par les relations publiques, par l'attention du public. La politique est devenue un genre de divertissement. Les gens apprécient les dirigeants divertissants, mais les dangers, je crois, sont très visibles.
En ce moment, avons-nous de grands dirigeants? On pense toujours que notre époque est pire que le passé, et on regarde en arrière et on se dit « Oh, ils avaient de grands leaders ». Je pense que nous avons de très bons leaders, parfois ce sont eux qui ne font pas autant de bruit. D'après moi, ce qui est difficile aujourd'hui, c'est que dans les pays démocratiques, les inhibitions ou les barrières qui empêchent d'entrer en politique sont grandes. L'examen incessant de la presse, la façon dont votre famille est attaquée, la façon dont les manifestants se rendent à votre domicile, il me semble que c'est un prix très élevé à payer pour entrer en politique et, dans certains pays, bien sûr, la quantité d'argent dont vous avez besoin. Pas tellement au Canada, et au Royaume-Uni, où il y a des limites sur le montant que vous pouvez dépenser pour les élections, mais si vous regardez les montants d'argent que les sénateurs américains et même les membres du Congrès doivent recueillir, c'est absolument stupéfiant. Cela signifie que vous êtes constamment en train de recueillir des fonds. Et bien sûr, vous avez aussi des dettes. Je ne veux pas dire dans un sens corrompu, mais vous devez des faveurs à ceux qui vous soutiennent. La simple quantité d'argent nécessaire, je suis d'avis que c'est mauvais. Mais j'ai parlé à des gens, des jeunes, des étudiants, qui feraient de merveilleux politiciens, et ils m'ont dit : « Je ne veux pas le faire. Je ne veux pas le faire à ma famille. Je ne veux tout simplement pas payer ce coût. » C'est quelque chose dont nous devrions vraiment nous inquiéter.
Jill Sinclair :Eh bien, en parlant de leaders, nous avons une question ici pour commenter la position de l'Allemagne dans le conflit entre l'Ukraine et la Russie. Et bien sûr, l'un des grands dirigeants occidentaux, Angela Merkel, a finalement quitté la scène. Alors, pourriez-vous nous parler un peu de l'Allemagne? Vous avez mentionné l'Union européenne, l'Allemagne en est la force motrice, la force économique motrice, avec la France, les auteurs intellectuels de celle-ci. Qu'en est-il de l'Allemagne dans ce conflit particulier, Ukraine-Russie, et de l'Allemagne en général? Je pense que parce qu'en tant que Canadiens, je pense qu'il est bon pour nous de penser un peu à l'Union européenne, et pas seulement de penser le long du pilier des États-Unis comme notre point de référence.
Margaret MacMillan : Eh bien, ce qui est ironique, n'est-ce pas, c'est que nous avions l'habitude de craindre une Allemagne trop forte au cœur de l'Europe, et nous avons créé ou aidé à créer, et les Allemands l'ont fait eux-mêmes, bien sûr, une Allemagne qui n'était pas trop forte, qui s'est fondamentalement éloignée de ses traditions militaires. Des traditions militaires prussiennes, du moins. Une Allemagne qui est dévouée à la paix, une Allemagne démocratique, une Allemagne qui ne veut pas prendre une position de leader, et maintenant nous souhaitons qu'elle le fasse. Je crois que c'est un dilemme.
Même si j'admirais Angela Merkel, je dirais qu'elle a fait certaines choses qui n'étaient pas forcément bonnes. Elle a trop souvent retardé la prise de décisions. Elle ne voulait pas d'une politique étrangère agressive. Je comprends cela, mais à certains moments, l'Allemagne aurait pu prendre davantage position. Elle a arrêté tout investissement dans le développement de l'énergie nucléaire, et l'Allemagne en paie le prix aujourd'hui, parce qu'elle est dépendante du pétrole et du gaz venant de Russie. Elle a permis la construction du Nord Stream. Il y a eu des avertissements clairs. Je crois que les États-Unis avaient raison de prévenir que cela rendrait l'Allemagne plus dépendante ou la mettrait à la merci de la Russie, qui pourrait alors fermer les robinets ou non. Poutine s'en est servi. Il l'a certainement fait avec l'Ukraine. Il a utilisé la menace de – il a augmenté les prix; il a réduit la production comme moyen de pression.
Tout ce qu'elle a fait n'a pas profité à l'Allemagne ou à l'Europe. Il est trop tôt pour juger le nouveau gouvernement, d'après moi. Il tâtonne encore et nous essayons encore de comprendre ce que signifie ce gouvernement de coalition. Mais il me semble que l'Allemagne est passée, ces dernières semaines, d'une position où elle ne voulait rien faire de particulièrement dramatique dans la crise ukrainienne, à une position où elle soutient davantage ses partenaires de l'OTAN, et j'espère qu'elle le fera. Je ne sais pas si cela a changé, Jill, et vous le savez peut-être, mais je crois que la seule contribution que l'Allemagne était prête à apporter à l'Ukraine il y a quelques semaines était un hôpital de campagne. Mais je crois qu'elle envisage maintenant de fournir de l'équipement militaire et de fournir davantage de soutien. Nous devrons attendre. Comme je l'ai dit, il est ironique que nous aspirions à ce qu'une Allemagne forte prenne la tête de l'Europe.
Jill Sinclair :Oui. Et vos commentaires aussi, Margaret, me rappellent que la géopolitique... Vous avez parlé de ce qui continue et de ce qui a changé en ce qui concerne la dynamique actuelle. La géopolitique est revenue avec férocité. Les gens pensaient qu'elle avait disparu parce que l'Allemagne est proche de la Russie. Ils ont une riche tradition d'Ostpolitik à l'époque soviétique. Et puis ils se sont engagés dans cette relation et cette dépendance énergétique. Et vous avez parlé de l'importance de tous ces autres facteurs, si l'énergie... Et ce n'est pas seulement un problème, c'est beaucoup, beaucoup de problèmes.
Nous avons une bonne question ici, qui est très vaste. Et elle est la suivante : pensez-vous que depuis la pandémie, les États se sont repliés sur eux-mêmes et sont devenus plus nationalistes? Quel est, selon vous, l'impact de la pandémie sur cette dynamique?
Margaret MacMillan : Eh bien, la nature humaine étant ce qu'elle est, nous ne pouvons nous préoccuper que de tant de choses à la fois. La pandémie nous a obligés à nous tourner vers nous-mêmes, vers nos familles, vers nos amis, mais aussi vers nos propres sociétés. Nous nous sommes concentrés sur ce que nous devions faire, sur ce que nous faisions bien, sur ce que nous ne faisions pas bien, nous avons tous des opinions. J'ai remarqué qu'aujourd'hui, lorsque je rencontre un ami ou un membre de ma famille, il faut généralement cinq minutes de conversation pour en venir à la pandémie. Avant, on commençait par la météo, mais maintenant la pandémie est évoquée presque à chaque fois – je dirais que dans toutes les conversations que j'ai ces jours-ci, elle est quelque part là-dedans. Et donc, je crois que, oui, nous nous sommes concentrés sur nous-mêmes. Nous nous sommes inquiétés des choses que nous devions gérer. Et pendant ce temps, bien sûr, la planète continue de tourner. Et c'est ce que l'on constate aujourd'hui, selon moi, avec la tension croissante entre la Russie et l'Ukraine, sans aucun doute.
Jill Sinclair :Donc, j'aimerais revenir au Canada. Il nous reste environ 20 minutes, pas tout à fait. J'ai ici un certain nombre de questions qui concernent le Canada, et je vais les regrouper quelque peu. L'une d'entre elles concerne le fait que de plus en plus de personnes plaident, et vous l'avez mentionné dans vos commentaires, pour que le Canada prenne un peu plus au sérieux les dépenses militaires, les dépenses de défense, qu'il augmente sa capacité militaire. Cela semble aller à l'encontre, selon notre interlocuteur, d'une vision de la militarisation comme quelque chose d'un peu indésirable ou contraire à l'approche naturelle du Canada. Que pensez-vous du renforcement de la défense et de la capacité militaire du Canada, de la capacité d'offrir un pouvoir ferme pour souligner le pouvoir discret, que pensez-vous de cela?
Margaret MacMillan : Eh bien, vous pouvez avoir une puissance militaire sans être militariste. Les sociétés qui sont militaristes valorisent les valeurs militaires dans la vie civile. Et je ne pense pas que nous ayons jamais été vraiment comme cela. J'ai eu des désaccords avec d'autres historiens qui disaient : « Eh bien, nous avons eu un peu de cela avant la Première Guerre mondiale ». Dans l'ensemble, nous avons toujours compris la différence entre être un civil et être dans l'armée. Et nous n'avons jamais élevé l'armée, comme l'ont fait d'autres sociétés que l'on pourrait qualifier de militaristes, au rang d'arbitre suprême du destin du pays ou de la meilleure partie du pays, ce qui était le cas, par exemple, de l'armée allemande avant la Première Guerre mondiale. Nous devrions penser à dépenser davantage pour la préparation militaire. Nous devons le faire en alliance avec d'autres, nous devons y réfléchir très sérieusement. Je ne me souviens plus du dernier examen de la défense, mais je crois que nous devons réfléchir très sérieusement à nos défis particuliers et à ce que nous devons faire pour les relever.
Nous devons avoir une hiérarchie de ce que nous gérons. Il se peut que nous n'ayons pas besoin de certains types d'équipements. Il se peut que nous n'ayons pas besoin, je ne sais pas, je dis simplement, que nous n'ayons pas besoin d'avions de chasse autant que de brise-glace. Il y aura des choix à faire. Il faut examiner très sérieusement le monde dans lequel le Canada vit, les défis à venir. Nous n'y arriverons peut-être pas, mais nous devons essayer d'y réfléchir. Ensuite, nous devons essayer de réfléchir à ce que nous pouvons faire et comprendre ce que nous ne pouvons pas faire. Il y a certaines choses que nous ne pouvons pas faire non plus. Lorsque vous pensez au temps que prend l'approvisionnement, nous devons réfléchir au moins 20 ans à l'avance à ce dont nous aurons besoin, au genre de choses dont nous aurons besoin et au genre de compétences et de capacités dont nous aurons besoin.
Nous aurons besoin d'une capacité encore plus grande pour faire face à la cyberguerre. C'est un nouveau domaine qui s'ouvre. Nous assistons en permanence à des tentatives de corruption des systèmes, de leur désactivation. Il y a eu une attaque, où était-ce? Au Parlement ukrainien, je crois, l'autre jour, et nous savons d'où elle venait probablement. Il y a eu des tentatives de démanteler, je n'utilise pas la bonne terminologie, des systèmes dans les pays baltes. Donc, nous devons essayer de déterminer ce dont nous avons besoin. Le gouvernement doit prendre l'initiative dans ce domaine parce que nous n'allons pas y penser en tant que citoyen. Le gouvernement peut jouer un rôle éducatif important. Il doit expliquer aux gens pourquoi il fait certaines choses.
En Grande-Bretagne, avant la Seconde Guerre mondiale, et cela se passait aussi au Canada, aux États-Unis et en France, les gouvernements commençaient à expliquer à leurs citoyens que le monde était dangereux, qu'il y avait des dictateurs agressifs et qu'ils allaient devoir dépenser plus d'argent. C'est ce que faisait Roosevelt dans ses célèbres discussions au coin du feu. Nous ne pouvons pas partir du principe que nous vivons dans un monde sûr. C'est là que le vrai leadership entre en jeu, selon moi. Vous n'effrayez pas les gens. Vous dites simplement, « Écoutez, nous pensons que nous avons de vrais problèmes ici et voici ce que nous proposons de faire. »
Jill Sinclair :Eh bien, vous parlez du sens stratégique du Canada et de certaines hypothèses et peut-être d'un manque de sensibilisation des Canadiens à la complexité et aux défis de l'environnement international. Parce que ce n'est pas quelque chose dont les Canadiens parlent beaucoup. Il y a quelques années, nous avons eu un examen de la défense intitulé « Protection, Sécurité, Engagement ». Mais ce que nous n'avons pas eu depuis une éternité, c'est une approche en matière de sécurité nationale qui expose ces défis de très haut niveau dont vous avez parlé, Margaret, et ce qui est important pour le Canada, où allons-nous investir et quelles sont nos priorités. Et certainement, dans la communauté des experts en sécurité nationale, c'est quelque chose que les gens déplorent beaucoup, le fait de ne pas vraiment savoir où se situe le Canada.
Le gouvernement britannique, comme vous le savez très bien, a publié un examen intégré qui a tenté de tout examiner. Mais je pense que certaines des questions que je vois de la part des gens demandent toutes si nous sommes mieux ou moins bien préparés à naviguer dans l'ère actuelle de perturbations géopolitiques que nous l'étions, par exemple, avant la Seconde Guerre mondiale, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ou même, je dirais, il y a trois décennies? Quel est votre sentiment? Sommes-nous ajustés à l'objectif, comme le diraient les militaires?
Margaret MacMillan : Mon sentiment est que nous sommes moins préparés. Il y a un certain nombre de raisons à cela, dont certaines que j'ai déjà mentionnées. Je pense à l'affaiblissement de la CBC/Radio-Canada, au sous-financement systématique, parce que les sources d'information, les sources d'information fiables, sont très importantes et il est très important d'avoir une correspondance étrangère. Ce qui se passe dans les universités est inquiétant parce que je pense que nous perdons la capacité de former les experts de l'avenir dans certains cas. Ce qui me semble également inquiétant, c'est la façon dont le ministère des Affaires étrangères, Affaires mondiales Canada comme on l'appelle maintenant, a été traité. Encore une fois, il a été sous-financé. Trop souvent, les dirigeants politiques l'ont ignoré ou n'ont pas eu de respect pour ce ministère. Je crois que nous avons besoin de diplomates chevronnés qui connaissent très bien leurs dossiers.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, nous disposions d'une capacité extraordinaire, tant dans le domaine militaire que dans celui des affaires extérieures, pour faire face au monde, pour affronter le monde. Je ne dis pas que nous n'avons pas encore de très bonnes personnes, mais je suis d'avis qu'il faut fournir les encouragements, les ressources et le leadership dont nos institutions importantes ont besoin. Je ne crois pas que nous soyons aussi bien préparés, très franchement, pour un certain nombre de raisons.
Jill Sinclair :Il nous reste peu de temps, mais je veux revenir sur quelques thèmes avant de vous poser un genre de question récapitulative. Vous avez parlé de guerre hybride, de l'évolution de la nature de la guerre et des conflits. Vous venez de parler des compétences dont nous avons besoin. Ces défis concernent-ils les compétences traditionnelles, comme celles des militaires ou des diplomates? Sommes-nous encore prisonniers de notre expérience, peut-être trop du passé, et donc incapables de nous préparer à l'avenir? Pouvez-vous nous en parler?
Margaret MacMillan : Oui, il est probablement injuste pour les militaires et les diplomates de dire qu'ils sont prisonniers du passé. Ce qui me frappe, c'est que les militaires, en tout cas ceux avec lesquels j'ai eu affaire, et j'ai eu l'occasion de parler à des officiers lors de séminaires, sont extrêmement conscients de la nécessité de comprendre le monde qui les entoure et extrêmement désireux de s'adapter. Ils s'occupent d'une question très importante, soit la guerre. Probablement l'un des défis les plus importants auxquels les êtres humains sont confrontés, et je pense qu'ils sont très pratiques à ce sujet. J'ai toujours trouvé que les militaires sont en fait plus ouverts à la réflexion sur ce que nous devrions faire. La même chose est souvent vraie pour les diplomates, d'après moi. Nous avons tendance à penser que les diplomates sont des gens qui ne font que négocier, que faire de la diplomatie. Ce que font les diplomates, c'est fournir, lorsqu'ils ont une connaissance approfondie d'un endroit, lorsqu'ils ont été affectés à un pays, qu'ils en comprennent la langue, ils fournissent des connaissances que vous ne pouvez pas obtenir si vous visitez simplement un endroit pendant deux semaines.
Je pense, moi-même, que l'une des choses malheureuses qui est arrivée à la diplomatie internationale est la passion que les dirigeants ont pour les sommets, car cela les éloigne des problèmes internes. Ils y vont, tout le monde en fait tout un plat, ils sont importants, ils parlent à d'autres dirigeants, ils se font prendre en photo. Ce qui est beaucoup plus important, selon moi, c'est le type de diplomatie soutenue que les diplomates chevronnés peuvent pratiquer. Je sais qu'il y a parfois des réunions de haut niveau qui peuvent être très importantes, mais si souvent, lorsque vous regardez les différentes réunions du G7 et autres, elles sont devenues des formules, et il y a très peu de véritables conversations. C'est quelque chose que, comme je l'ai dit, les dirigeants aiment. Je ne suis pas certaine que le reste d'entre nous en profite beaucoup.
Jill Sinclair :Ayant vécu un bon nombre de sommets, je crois que nous devrions avoir une conversation entière à ce sujet. Je ne pourrais pas être plus d'accord avec vous. Mais pour en revenir aux nouveaux défis, j'aimerais vous demander ce que vous pensez du rôle de l'industrie et du secteur privé. Car nous voyons les Amazon, les Apple et les Google agir comme s'ils étaient des États-nations à bien des égards. Voyez-vous un partenariat ici? Voyez-vous un défi? Quelle est leur place dans ce nouvel ordre mondial?
Margaret MacMillan : Eh bien, la place que j'aimerais leur voir occuper est de payer les impôts qu'ils devraient payer, pour commencer. Ils ont réussi à les éviter. Je soupçonne qu'Amazon au Royaume-Uni ou au Canada paie probablement moins d'impôts que moi chaque année. J'exagère sans doute, mais ils ont réussi à délocaliser des choses, ils ont tous ces dispositions intraentreprises.
Elles doivent aussi examiner sérieusement la façon dont elles traitent leurs employés. Nous découvrons de plus en plus de choses sur les conditions de travail des employés d'Amazon et cette histoire est plutôt sombre. Cela doit se faire au niveau international, mais je crois que ces grandes entreprises doivent être réglementées. Les fournisseurs d'Internet ne peuvent plus continuer à dire, comme Mark Zuckerberg aime le faire, « Nous sommes juste là pour aider les gens à entrer en contact les uns avec les autres. » Je crois que c'est de la foutaise et très dangereux. Je pense qu'il doit y avoir, et je pense qu'il y a un mouvement pour cela.
Les Chinois ont bien sûr pris des mesures unilatérales, mais il y a aussi un mouvement international pour mettre sous contrôle les grands fournisseurs d'Internet, pour les soumettre à des normes, à des réglementations, et aussi pour les taxer correctement, pour commencer à éliminer les échappatoires, les paradis fiscaux. Et encore une fois, je crois que les Britanniques sont fautifs dans cette affaire. Ils ont permis que l'évasion fiscale se poursuive à une échelle énorme et ils n'ont pas vraiment traité des endroits comme les Îles Vierges, Jersey et Guernesey aussi complètement qu'ils auraient dû le faire. Donc, selon moi, ces entreprises doivent faire partie d'un système international afin qu'elles contribuent réellement aux sociétés dans lesquelles elles réalisent des profits aussi énormes. Nous devons en faire plus. Je suis pour l'imposition des personnes très riches. Je trouve que le fossé qui se creuse entre les personnes ultras riches et le reste des gens est absolument terrifiant parce qu'il mènera – il mène déjà – à l'instabilité sociale et politique. Il mène au ressentiment. Souvent, il alimente la politique du ressentiment. C'est absolument compréhensible.
Jill Sinclair :Margaret, deux questions alors que la fin de cette séance approche. La première, pour revenir à quelque chose dont vous avez parlé dans vos commentaires d'ouverture, et c'était un peu au sujet du système international. Le Canada s'appuie sur le système international fondé sur des règles pour tout ce qu'il fait, du commerce aux relations de sécurité, en passant par la réglementation des produits de santé, tout. Que pensez-vous de la santé et de la robustesse de cet ordre international fondé sur des règles actuellement? Et avez-vous quelques idées sur ce que nous pourrions faire pour le consolider si vous pensez qu'il est menacé?
Margaret MacMillan : Eh bien, je crois qu'il est remis en question. L'une des règles de l'ordre international est qu'un territoire ne doit pas être saisi par la force par un autre pays. Nous voyons cette règle être violée. Les États-Unis reconnaissent la possession du plateau du Golan par Israël, ce qui me semble être une violation. Mais, bien plus grave encore, Poutine s'est emparé de la Crimée et a été très peu puni pour cela. Évidemment, lorsque ce genre de choses se produit, cela en encourage d'autres. Depuis 1945, il est généralement admis que la communauté internationale ne respecte ni ne reconnaît la prise de territoire par la force d'un pays par un autre. Je crois que cela est en train de s'effondrer. Comme je l'ai dit, les exemples encourageront les autres à faire de même, et cela m'inquiète. Nous sommes également confrontés à un véritable défi entre les pays qui considèrent l'ordre international comme une sorte d'anarchie dans laquelle les États essaient simplement de maximiser leur pouvoir par tous les moyens possible et celles qui le considèrent comme une sorte de communauté internationale.
Nous devons essayer et – mon point de vue est que puisque nous bénéficions tous d'un ordre international fondé sur des règles, revenir à un système anarchique où chacun ne pense qu'à soi est, je pense, très dangereux. Nous savons où cela peut mener. Ce que nous devons faire, c'est essayer d'améliorer et de faire respecter ce système. Je crois que des pays comme le Canada peuvent jouer un rôle très important. Je ne dis pas que le Canada n'a aucun pouvoir. Je pense qu'avec d'autres pays partageant les mêmes idées, les puissances scandinaves, par exemple, avec l'Australie, avec la Nouvelle-Zélande, le Canada peut jouer un rôle très important en essayant de consolider le système international, en essayant de renforcer les règles et en essayant de traiter avec ceux qui défient et enfreignent les règles. Donc, nous avons un rôle à jouer. À mon avis, c'est un rôle que nous devons jouer de concert avec d'autres puissances partageant les mêmes idées.
Jill Sinclair :Le Canada fait partie de ce système, n'est-ce pas? Un membre intégré du système. Oui. Vous m'amenez à mes deux dernières questions et réflexions. L'avant-dernière vise simplement à vous faire réfléchir un peu sur les valeurs et les intérêts dans la sphère canadienne, parce que nous parlons souvent du Canada comme d'un pays fondé sur des valeurs, pas par opposition, mais où se situent les intérêts, et cette question a été suscitée par un commentaire que quelqu'un a fait sur la possibilité que nous ne voyons pas clairement l'Ukraine non plus. C'est une démocratie fragile avec des éléments d'extrême droite. Parlons un peu de notre formation. Nous sentons-nous à l'aise? Serions-nous heureux de savoir que nous soutenons des forces qui ne partagent peut-être pas entièrement nos intérêts et nos valeurs? Donc, j'aimerais que vous ne parliez pas tellement de l'Ukraine, mais plutôt des valeurs et des intérêts du Canada et des fonctionnaires, nous tous qui sommes des fonctionnaires, que devons-nous penser de tout cela?
Margaret MacMillan : Eh bien, c'est toujours un défi de savoir comment les équilibrer. Les valeurs sont importantes pour les Canadiens et nous avons fait ce que nous pouvions pour promouvoir les valeurs canadiennes dans le monde. La tolérance, par exemple, le respect de la démocratie, le respect des voix de ceux qui vivent dans une société en particulier. Tout cela est très canadien et je crois que c'est bien. Mais nous avons également des intérêts et les deux ne vont pas toujours de pair. Nous devons essayer de nous en sortir. Nous devons nous occuper de nous-mêmes. Et si cela signifie qu'il faut parfois accepter, par exemple, certaines choses que les États-Unis font et que nous n'approuvons pas toujours, alors il faut le faire. Tous les premiers ministres canadiens savaient que, quoi que le Canada pense de certaines politiques des États-Unis, nous devons rester en bons termes avec eux. Nous pourrions dire qu'à certains égards, nous ne sommes peut-être pas toujours fidèles à nos valeurs, car il arrive que les États-Unis fassent des choses que nous n'approuvons pas.
Nous pensons aussi à nos intérêts. Et les deux, comme je l'ai dit, ne sont pas toujours compatibles. Il y aura toujours de la tension et c'est normal. Nous devons en parler et comprendre que nous ne pouvons pas toujours avoir le monde tel que nous le voulons, que nous devons parfois traiter avec des pays dont nous désapprouvons fortement les valeurs. Mais nous traitons avec eux afin de promouvoir les intérêts canadiens et peut-être un jour les valeurs canadiennes. Nous vivons donc dans un monde imparfait et je ne pense pas que nous puissions avoir une politique étrangère axée sur des intérêts ou des valeurs purs. Le monde est un endroit complexe, il est rempli de personnes et d'institutions difficiles et désagréables, mais aussi de bonnes personnes. Nous devons simplement l'accepter et faire ce que nous pouvons.
C'est la responsabilité de tout gouvernement de protéger le Canada et les citoyens canadiens. C'est important, selon moi. Nous avons aussi une obligation. Nous sommes un pays extrêmement chanceux, l'un des pays les plus chanceux du monde. D'une certaine manière, nous avons l'obligation d'essayer de rendre le monde meilleur. Je sais que cela semble assez pieux, mais je suis d'avis que c'est important. Nous avons été énormément privilégiés de vivre dans ce pays. Nous continuons à parler de nos défauts, ce qui est très canadien. Nous nous regardons d'un œil critique, comme il se doit. Mais je pense que, dans l'ensemble, nous essayons d'être une société décente. C'est important et nous sommes un exemple important pour les autres pays. Nous pouvons également encourager ce genre de choses que nous considérons comme contribuant à la construction de sociétés saines dans d'autres endroits.
Et il est vrai que l'Ukraine est une démocratie fragile, mais elle a le potentiel de devenir quelque chose de plus qu'une démocratie fragile. Et oui, il y a des éléments de droite en Ukraine. Après avoir vu certains camionneurs à Ottawa, je ne suis pas sûre que nous soyons exempts d'éléments de droite non plus.
Nous devrions également respecter, je pense juste à l'Ukraine, nous devrions respecter le droit des Ukrainiens à choisir le type de système sous lequel ils veulent vivre et leur propre gouvernement. Il me semble que Poutine parle de l'histoire. Ce qui est plus important pour moi, c'est le droit des Ukrainiens à l'autodétermination. Qu'ils soient de droite ou de gauche, veulent-ils ou non vivre sous la domination ou l'influence de la Russie? Et la preuve semble être qu'ils ne le veulent certainement pas.
Jill Sinclair :Margaret, c'est vraiment la dernière question que je vous pose. Il nous reste environ trois minutes, et vous venez de nous donner un extraordinaire tour d'horizon, un tour de force, d'histoire et de pratique et de réalité actuelle. Vous avez parlé des Canadiens qui veulent faire du monde un endroit meilleur. Eh bien, vous avez ici un groupe de participants que vous ne pouvez pas voir, mais en ligne, je pense que plusieurs centaines de personnes sont engagées, passionnées, des fonctionnaires canadiens, qui se joignent au gouvernement pour rendre le monde meilleur et le Canada meilleur pour les Canadiens. Alors, en réfléchissant à tout ce dont vous venez de parler, à la complexité, au besoin de perspectives, à la nécessité de comprendre le contexte, à l'importance de l'histoire, non pas pour la revivre ou pour être littéral dans ce qu'elle peut nous apprendre, mais pour en tirer des leçons. Auriez-vous deux idées que vous aimeriez partager avec nous tous avant de partir, en ce qui concerne les leçons les plus susceptibles d'être appliquées? Que devrions-nous emporter et que pouvons-nous emporter avec nous dans notre travail?
Margaret MacMillan : Eh bien, permettez-moi de dire quelque chose de spécifique sur le service public, parce que je crois que l'un des grands développements du XIXe siècle était le service public, la notion de service public. Le terme même, selon moi, de fonctionnaires, de services publics est important. Cette idée que vous pouvez avoir un service public dévoué et impartial est très importante. C'est quelque chose que nous devrions défendre énormément parce que je crois que cela aide à fournir le cadre dans lequel d'autres choses peuvent se produire. Cela établit également une norme. Il rassure les gens sur le fait qu'ils ne vivent pas dans une société où les relations comptent et où la corruption compte. Souvent, lors des révolutions de couleur dans différents pays contre des régimes autoritaires, les gens dans la rue disent : « La vie est tellement injuste. Vous ne pouvez pas trouver un emploi sans relations. Si vous connaissez quelqu'un, vous réussissez. Les pots-de-vin sont importants. » Nous ne voulons pas vivre dans une société comme celle-là. Selon moi, c'est là que le service public joue un rôle extrêmement important.
Ce à quoi nous devrions penser, nous tous, et pas seulement les fonctionnaires, c'est à la manière dont nous nous informons. Nous sommes tentés de dire : « Oh, le monde est tellement horrible. Je ne veux tout simplement pas y penser. » Nous comprenons tous cette tentation, mais si nous devons y penser, si ce n'est pas seulement pour notre propre bien, je crois que c'est pour le bien de ceux que nous aimons, y compris nos familles. Nous devons nous engager à essayer de comprendre ce qui se passe. Et si nécessaire, nous devons nous impliquer. Nous appartenons probablement tous à une sorte d'association de bénévoles ou autre, et c'est une partie importante de la force de la société, que nous prenions le temps de nous engager, d'apprendre, de nous impliquer. Cela signifie également, espérons-le, que nous sommes moins susceptibles d'être bernés par des dirigeants qui disent des bêtises.
Jill Sinclair :C'est une façon merveilleuse de... Je ne peux pas dire de terminer cette séance, car c'est une conversation qui devrait se poursuivre éternellement. Mais pour conclure la séance d'aujourd'hui en vous disant merci beaucoup, beaucoup. Vous nous avez encouragés à lire, à réfléchir, à relever des défis, à accepter la complexité et à comprendre le passé. Vous avez introduit une telle humanité dans tout ce dont vous avez parlé, Margaret, ce qui est tellement, tellement important de nos jours. Je veux juste vous remercier au nom de tous et un certain nombre de commentaires que j'ai lus dans le clavardage vous remercient pour cette excellente séance. Je veux donc me faire l'écho de ces remerciements. Vous nous avez donné un aperçu merveilleux de tant de choses. J'encourage, c'est une publicité non payée, j'encourage vraiment tout le monde à lire les livres de Margaret, dont War, et toutes les autres choses sur lesquelles vous avez écrit, et vos articles. C'est le moment de mieux comprendre, comme vous le dites, prenez le temps, ralentissez, réfléchissez. Merci de nous avoir consacré votre temps aujourd'hui, Margaret, ce fut un honneur et un plaisir absolus.
Margaret MacMillan : Oui, je peux en dire autant. Et merci beaucoup. Merci à vos collègues qui ont géré le tout, et merci à vous tous qui avez patiemment été avec nous en ligne. Merci.
Jill Sinclair :Merci.
Margaret MacMillan : Merci.
[L'appel vidéo s'efface au profit du logo de l'EFPC.]
[Le logo du Gouvernement du Canada apparaît et s'efface en noir.]