Transcription
Transcription : Louis Ranger
Description de l'EFPC : Série SM à la retraite – Louis Ranger
[00:00:00 La vidéo s'ouvre sur un montage des vues de l'édifice de l'EFPC et de l'équipement de l'équipe pour l'entrevue. Louis Ranger prend place dans une salle historique. Une musique inspirante est diffusée tout au long. Texte à l'écran : Réflexions sur le leadership des sous-ministres, avec Louis Ranger.]
[00:00:20 Texte à l'écran : Louis Ranger s'est joint à la fonction publique du Canada en 1974 et a pris sa retraite en 2009 en tant que sous-ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités. Il était responsable d'un portefeuille qui comprenait deux ministères, 16 sociétés d'État et plus de 40 organisations à gouvernance partagée.]
[00:00:32 Texte à l'écran : Il possède une expérience vaste et variée de l'élaboration de politiques, de la conception et de la mise en œuvre de programmes, de la négociation intersectorielle, de la gouvernance organisationnelle et de la gestion de grandes organisations dont les activités s'étendent d'un océan à l'autre.]
[00:00:45 Louis Ranger apparaît en plein écran. Texte superposé à l'écran : Où; êtes-vous né?]
Louis Ranger : Je suis né dans l'Est de l'Ontario, dans un petit village appelé St. Eugène, qui était à quelques kilomètres de Rigaud, de la frontière du Québec, sur une ferme familiale.
[00:01:03 Texte superposé à l'écran : Comment s'est passée votre enfance?]
Louis Ranger : J'ai eu une enfance merveilleuse jusqu'à l'âge de huit ans,
[00:01:16 Photo du père de M. Ranger et de deux de ses enfants. L'un d'entre eux est mis en évidence pour indiquer Louis Ranger.]
Louis Ranger : lorsque mon père est tombé très malade, puis il est décédé lorsque j'avais neuf ans.
[00:01:24 Louis Ranger apparaît en plein écran.]
Louis Ranger : Je suppose que je ne me rendais pas compte de ce qui m'arrivait à ce moment-là, mais c'était vraiment un tournant. C'est probablement ce qui a tracé la voie de mon destin.
Ma mère était beaucoup plus jeune que mon père. Elle était dans la mi-trentaine, elle avait quatre enfants, et ma plus jeune sœur portait encore des couches. Elle était dépassée et a décidé que mon frère aîné, qui était un peu plus âgé que moi, deviendrait prêtre.
Elle l'a donc envoyé dans une école privée d'Ottawa, le Séminaire des mineurs d'Ottawa. Donc, à l'âge de neuf ou dix ans, j'étais devenu l'homme de la famille, et mère avait vraiment besoin d'aide. Quand je regarde en arrière, c'est assez étonnant. À l'âge de 10, 11 et 12 ans, je gérais essentiellement la ferme familiale. Aujourd'hui, j'ai l'impression d'être devenu adulte à l'âge de 12 ans.
À l'époque, ma mère m'a dit : « Louis, tu vas rester avec moi. Tu iras à l'école secondaire de Vankleek Hill, la ville voisine, et tu vas gérer la ferme, que je te donnerai ». Et j'y ai réfléchi. C'était une décision difficile à prendre à l'âge de 12 ans. J'ai répondu : « Non, je préfère devenir prêtre », parce que je voulais faire des études. Je ne l'ai pas exprimé de cette façon, mais je suppose que c'était un tournant et que ma mère respectait entièrement ma décision.
Donc, à l'âge de 12 ou 13 ans, je suis parti de chez moi et je suis entré au Séminaire des mineurs d'Ottawa, ce qui représente une transformation totale : avant, j'étais un peu seul sur une ferme, maintenant j'avais rejoint un collège qui compte 300 garçons, je vivais et je dormais dans des dortoirs, je mangeais dans des cafétérias et je pratiquais des sports d'équipe.
[00:03:47 Texte superposé à l'écran : Où; êtes-vous allé à l'université?]
Louis Ranger : Il était naturel d'aller à l'Université d'Ottawa.
[00:03:56 Image de l'extérieur de l'Université d'Ottawa.]
Louis Ranger : Encore une fois, avec le recul, j'y ai reçu une éducation fantastique.
[00:40:03 Louis Ranger apparaît en plein écran.]
Louis Ranger : Je voulais simplement étudier quelque chose de très pratique, l'économie me semblait donc la bonne matière, mais c'était pendant la guerre du Vietnam.
[00:03:47 Texte superposé à l'écran : La guerre du Vietnam a commencé le 1er novembre 1955 et s'est terminée par la chute de Saigon le 30 avril 1975.]
Louis Ranger : Il y avait donc plein de conscrits réfractaires, de Princeton, du MIT et de Harvard,
[00:03:47 Texte superposé à l'écran : Tout au long de la guerre, divers pays, dont les États-Unis, la France, la Chine, l'Union soviétique, le Cambodge, le Laos et d'autres encore, y ont participé.]
Louis Ranger : qui venaient au Canada par avion et qui devenaient enseignants et professeurs à l'Université d'Ottawa. J'ai donc de bons souvenirs de ces années parce que j'ai eu la chance d'avoir des professeurs de très haut calibre, ce que je ne savais pas à l'époque.
[00:04:42 Image de l'extérieur de l'Université de Montréal.]
Louis Ranger : C'est quand j'ai fréquenté l'Université de Montréal plus tard que j'ai réalisé que
[00:04:46 Louis Ranger apparaît en plein écran.]
Louis Ranger : j'avais une assez bonne base.
[00:04:48 Texte superposé à l'écran : Pourquoi avez-vous choisi l'Université de Montréal?]
Louis Ranger : Pour ma maîtrise. Je suis allé à l'Université de Montréal en raison de l'aéroport de Mirabel, donc l'inauguration a été un événement important – et je fais des liens avec d'autres événements.
[00:05:04 Texte superposé à l'écran : L'aéroport international Montréal-Mirabel devait devenir le principal aéroport international de l'Est du Canada. Inauguré en 1975, il avait la plus grande superficie d'aéroport au monde.]
Louis Ranger : C'était une très grosse affaire. Nous ne semblons pas apprécier qu'au début des années 1960, Montréal était la troisième ou la quatrième agglomération en importance au Canada et aux États-Unis, certainement dans la partie Nord, après New York, Chicago, peut-être Los Angeles, puis c'était Montréal, à mi-chemin entre l'Europe et un grand marché américain. Quelqu'un a décidé que nous devrions avoir un énorme aéroport à Montréal. C'était une grosse affaire.
La personne qui avait trouvé la justification pour Mirabel était un professeur de l'Université de Montréal du nom de Benjamin Higgins, et je voulais suivre ses cours. C'était le principal moteur. Je voulais également valider ma formation à l'Université d'Ottawa en allant dans une autre université. L'Université de Montréal a été très facile.
[00:06:06 Texte superposé à l'écran : Quel a été votre premier poste au sein du gouvernement du Canada?]
Louis Ranger : C'était en 1973 ou en 1974, et Ottawa avait désespérément besoin de francophones. J'avais une maîtrise en économie des transports, ce qui était très rare à l'époque. J'ai écrit la première thèse de maîtrise d'un nouveau centre de recherche à l'Université de Montréal. Il recrutait sur place à Montréal. Je me suis présenté et j'ai dit aux membres du personnel qui j'étais, et ils m'ont fait une offre. Ils m'ont proposé une grosse somme d'argent, environ 10 000 $ par an. J'ai négocié 10 500 $. Je leur en étais très reconnaissant.
Puis, je me suis joint à la Commission canadienne des transports. À l'époque,
[00:07:03 Texte superposé à l'écran : Louis s'est joint à la Commission canadienne des transports en 1974 en tant qu'économiste subalterne.]
Louis Ranger : c'était l'endroit où; être, et non Transports Canada.
[00:07:10 Texte superposé à l'écran : Il a ensuite travaillé en Afrique de l'Ouest en tant que conseiller en transport entre 1978 et 1980.]
Louis Ranger : C'est une longue histoire, mais essentiellement, toute l'élaboration des politiques se faisait à la Commission canadienne des transports, qui était indépendante du gouvernement. Il y avait là un énorme groupe de recherche composé d'environ 70 ou 80 chercheurs et de tout le personnel de soutien, avec de bons budgets, travaillant avec un réseau d'universités qui faisaient aussi de la recherche dans le domaine des transports. C'était énorme. C'est à ce moment-là que j'ai pris connaissance de la première étude : le train à grande vitesse dans le corridor Windsor-Québec.
[00:07:47 Texte superposé à l'écran : Quel a été votre premier poste à Transports Canada?]
Louis Ranger : Mon premier poste?
[00:07:53 Texte superposé à l'écran : Il s'est joint à Transports Canada en 1981 en tant qu'analyste principal du transport urbain.]
Louis Ranger : J'ai passé de nombreuses années à m'occuper des services ferroviaires voyageurs de VIA Rail,
[00:08:01 Image d'un panneau de VIA Rail Canada. Texte superposé à l'écran : Il est ensuite devenu directeur du programme de subventions de VIA Rail, de 1983 à 1987.]
Louis Ranger : et ce pendant de nombreuses années, puis une opportunité s'est présentée :
[00:08:06 Image d'un train de VIA Rail, puis de nouveau Louis Ranger en plein écran. Texte superposé à l'écran : VIA Rail Canada Inc. a pour mandat d'exploiter les services ferroviaires voyageurs nationaux au nom du gouvernement du Canada, d'offrir des services ferroviaires interurbains et d'assurer des services de transport ferroviaire aux collectivités régionales et éloignées.]
Louis Ranger : modifier radicalement la façon dont les services ferroviaires voyageurs étaient offerts. Ce n'est pas moi qui l'ai demandé, mais il y a eu un premier exercice de révision des programmes où; le Ministère devait couper 300 millions de dollars. La sous-ministre de l'époque a décidé que les services seraient fournis à partir d'un seul endroit, et qu'il s'agirait du transport ferroviaire de passagers.
J'étais au bon endroit, au bon moment, et la bonne personne, je suppose, parce que je connaissais ma matière. Avec une très petite équipe, nous avons conçu toutes sortes de scénarios pour couper le budget de moitié; VIA Rail recevait plus de 600 millions de dollars par année, et c'était une véritable hémorragie. Sur une période de six à neuf mois, avec une très petite équipe, composée de trois ou quatre membres, nous avons élaboré différents scénarios et nous sommes arrivés à 300 millions de dollars.
[00:09:11 Texte superposé à l'écran : Comment êtes-vous devenu sous-ministre adjoint?]
Louis Ranger : L'histoire est la suivante.
[00:09:18 Texte superposé à l'écran : Il a été directeur général de la Direction générale des études économiques en 1988 et 1989.]
Louis Ranger : Le système a estimé que j'étais arrivé à
[00:09:25 Texte superposé à l'écran : Il est ensuite devenu directeur général de la politique et des programmes aériens de 1990 à 1994.]
Louis Ranger : une étape de ma vie où; je devais me diversifier, et j'ai été envoyé au BCP. J'ai été invité à m'y rendre. Il y a eu un échange.
[00:09:32 Image du bureau du premier ministre et de l'édifice du Conseil privé. Texte superposé à l'écran : Ce qui l'a amené à occuper le poste de directeur des opérations du Bureau du Conseil privé en 1995 et 1996.]
Louis Ranger : J'étais encore un DG de niveau EX3.
[00:09:40 Louis Ranger apparaît en plein écran.]
Louis Ranger : Je suis donc devenu directeur des opérations, une sorte d'équilibriste pour un comité de cabinet, pendant deux ans. C'était passionnant parce que j'ai pu valider ce que j'avais appris à la dure sur le fonctionnement du système. Je me suis rendu compte que je connaissais le fonctionnement du système, mais je devais le valider de l'intérieur.
C'était très passionnant, mais en même temps très frustrant, car ce n'était pas ma tasse de thé de parcourir dix documents du Cabinet chaque semaine; d'informer le président du comité, puis de tout déballer et de recommencer à zéro le lundi suivant avec une autre série de dix sujets. Cela a certainement élargi mon horizon, mais je n'ai pas trouvé cela très gratifiant en termes d'accomplissement. Oui, nous avons pris une décision, mais je pense que j'ai fait du bon travail.
Puis, un poste de SMA (Politiques) était offert à Transports Canada.
[00:10:43 Texte superposé à l'écran : Il est ensuite devenu sous-ministre adjoint (Politiques) à Transports Canada de 1996 à 2001.]
Louis Ranger : De plus, la greffière à l'époque était Jocelyne Bourgon. Elle ne pouvait pas croire que je voulais retourner au ministère des Transports et que c'était une grosse erreur. J'ai dit : « Je veux devenir SMA ». Et elle a dit : « Louis, tu deviendras un SMA ». Accordez-vous une pause. J'ai répondu que je respectais cela, mais que j'allais quand même participer au concours. J'ai gagné et je suis retourné au ministère des Transports.
[00:11:20 Texte superposé à l'écran : Comment êtes-vous devenu sous-ministre adjoint?]
Louis Ranger : Mon expérience, que j'aimerais partager avec les autres, parce qu'on ne peut pas être victime de ses propres ambitions. Je me souviens d'avoir reçu un appel, toujours un vendredi après-midi, où; l'on m'a dit : « Louis, nous envisageons de vous nommer ministre associé dans un autre ministère ». Voulez-vous y réfléchir? J'ai accepté la proposition, car – je suis économiste, et c'était logique d'aller dans cet autre ministère – on m'a dit : « D'accord, vous pouvez partager la nouvelle avec votre femme, mais personne d'autre, parce que si une rumeur circule, vous n'obtiendrez certainement pas le poste ». J'ai répondu par l'affirmative.
J'ai donc ouvert une bouteille de vin avec ma femme ce soir-là, et c'était tout. Mais je n'ai jamais reçu d'appel. J'ai attendu pendant 18 mois avant de recevoir l'appel suivant. Et après 18 mois, quelques semaines plus tard, une autre personne a été nommée à ce poste de ministre associé. Je pense qu'il faut accepter que quelque chose se soit probablement passé ce week-end-là et qu'il y avait un meilleur candidat pour ce poste.
Et c'est ainsi – on ne peut pas contrôler cela.
[00:12:39 Texte superposé à l'écran : Comment êtes-vous devenu sous-ministre?]
Louis Ranger : Je crois toujours que j'étais la bonne personne au bon endroit et au bon moment, et c'est la raison pour laquelle je me sens si chanceux. Lorsque j'étais ministre associé, le 11 septembre a marqué un tournant important.
[00:12:59 Texte superposé à l'écran : Les attentats du 11 septembre, communément appelés 9/11, sont quatre attaques terroristes suicides islamistes coordonnées menées par Al-Qaïda contre les États-Unis le 11 septembre 2001.]
Louis Ranger : Pour une rare fois, j'étais seul avec le ministre dans une salle de réunion quand c'est arrivé et j'ai joué un rôle très important le 11 septembre et dans les jours et les mois qui ont suivi. Puis, la sous-ministre Margaret Bloodworth a été nommée au ministère de la Défense. Et j'ai toujours supposé qu'on m'a demandé d'intervenir parce que je savais quel était le travail à accomplir.
[00:13:32 Texte superposé à l'écran : Il est devenu sous-ministre des Transports en 2002.]
Louis Ranger : J'étais totalement stupéfait quand c'est arrivé
[00:13:39 Texte superposé à l'écran : Il a ensuite assumé son dernier rôle dans la fonction publique en tant que sous-ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités de 2006 à 2009.]
Louis Ranger : parce que c'est assez inhabituel.
[00:13:41 Image superposée d'un communiqué de presse, daté du 7 février 2006, annonçant les changements apportés par le premier ministre Stephen Harper aux échelons supérieurs de la fonction publique.]
Louis Ranger : Soyons francs, il est inhabituel que quelqu'un d'un même ministère arrive jusqu'au bout. Et j'ai été sous-ministre pendant assez longtemps, j'ai fait le plus long mandat au cours des 50 dernières années, et je détiens toujours le record du plus long mandat de sous-ministre des Transports.
[00:14:00 Texte superposé à l'écran : Quel a été le plus grand jour de votre carrière dans la fonction publique?]
Louis Ranger : Le 11 septembre. C'était un beau mardi. J'étais devant le Palais des congrès, à Montréal.
[00:14:14 Image superposée du Palais des Congrès.]
Louis Ranger : Il y avait une grande conférence à Montréal qui comptait environ 2 000 gestionnaires d'aéroports de toute l'Amérique du Nord, ce qui est ironique.
[00:14:24 Louis Ranger apparaît en plein écran.]
Louis Ranger : J'attendais que le ministre arrive parce qu'il allait prononcer un discours vers 8 h 30. Il est arrivé. Je lui ai dit : « Bonjour, Monsieur le Ministre ». Il m'a répondu : « Excellent discours, Louis. Il est parfait ». Je lui ai dit : « Permettez-moi de vous présenter les organisateurs ». Nous sommes entrés dans cet immense auditorium, qui était très sombre et dont la scène était très haute. Et le ministre était à l'aise et bien installé. Il m'a demandé d'être au premier rang, mais la scène était assez haute (au moins deux mètres de haut).
Et j'étais assis là dans l'obscurité. Le ministre a commencé à prononcer un beau discours, il faisait des blagues, et 2 000 personnes l'écoutaient. Puis, j'ai senti une présence à côté de moi. J'étais seul au premier rang et c'est l'un des organisateurs qui m'a dit : « Louis, un avion a frappé une tour de bureaux. Je ne sais pas quoi faire. Je vous laisse gérer la situation ». Le ministre prononçait son discours et j'ai dit : un avion a fait quoi? Il était déjà parti.
Je ne savais pas quoi faire. La première chose qui m'est venue à l'esprit, c'est qu'il arrive parfois qu'un petit avion frappe un immeuble et que le pilote meure, mais cela arrive.
La première chose que je me suis dite, c'est : « Vais-je interrompre le discours? » Je n'avais aucune idée de l'ampleur de cet accident et je ne savais pas non plus où; il avait eu lieu. Je me suis demandé si j'allais me ridiculiser en arrêtant le ministre et en interrompant cet excellent discours. Puis, j'ai regardé dans la salle, et j'ai vu qu'au fond, les gens se levaient déjà et partaient, ce qui signifie qu'il se passait quelque chose d'important.
Et je ne pouvais rejoindre le ministre à cause de cette barrière physique. J'ai écrit au recto de mon discours : « Monsieur le Ministre, un avion a frappé une tour. Mettez fin à votre discours. Ne parlez pas aux journalistes, parlez à Louis ». J'ai remis le message à l'animateur sur la scène, et il l'a apporté au ministre. À ce moment-là, j'avais réussi à me déplacer, à passer par la sécurité et à rejoindre le ministre.
Mais il quittait déjà la salle, et il y avait une énorme foule de journalistes de Montréal qui l'interrogeaient déjà sur ce qui s'était passé. Bien sûr, les ministres ne ratent jamais l'occasion de parler aux journalistes. Il a commencé à dire : « Eh bien, nous ne le savons pas encore, mais s'il s'agit d'une attaque terroriste… » et à ce moment-là que vous voyez à l'écran un bras qui tourne autour de l'épaule du ministre et qui le retire de l'écran. C'était moi, parce que je ne voulais pas que mon ministre s'expose et dise des choses qu'il pourrait regretter.
[00:14:14 Images superposées des explosions des tours jumelles du World Trade Center le 11 septembre.]
Louis Ranger : En gros, nous savions alors qu'il s'agissait de la première tour du World Trade Center. Pendant que nous nous éloignions du Palais des Congrès, quelqu'un a crié qu'un autre avion avait frappé la tour Sud.
[00:17:57 Louis Ranger apparaît en plein écran.]
Louis Ranger : C'était totalement inattendu, et nous ne savions pas vraiment ce qui se passait. Ce qui était clair, c'est que le ministre devait être ramené à l'aéroport de Dorval et qu'on prendrait l'avion pour Toronto pour un autre événement. Quand nous sommes montés dans la fourgonnette, il était évident que nous devions retourner à Ottawa en voiture.
En sortant de Montréal en voiture, nous étions au téléphone avec la sous-ministre Margaret Bloodworth, et il était très clair qu'il y avait environ 500 avions au-dessus de l'Atlantique. La moitié d'entre eux avaient assez de carburant pour qu'on leur demande de faire demi-tour et de retourner à leur point de départ. Mais 223 autres avions qui étaient trop avancés au-dessus de l'Atlantique devaient être pris en charge, et les Américains avaient fermé leur espace aérien.
Il va sans dire que nous n'avons pas eu une longue discussion, mais l'option A était de laisser tous ces avions plonger dans l'océan et de laisser 33 000 personnes mourir et l'option B était de les mettre au sol à l'endroit le plus proche.
[00:19:10 Image superposée des nombreux avions cloués au sol à l'aéroport de Gander, Terre-Neuve.]
Louis Ranger : Il ne s'agissait pas de faire la bonne analyse. Il fallait être très décisif dans un moment très urgent.
Pendant que nous conduisions, la radio était allumée, et nous avons entendu parler d'un autre avion qui s'est écrasé sur le Pentagone et d'un quatrième avion qui s'est écrasé en Pennsylvanie. Chaque fois qu'on entendait ça, le pauvre chauffeur accélérait de 10 km. Quand on est arrivé Casselman, on roulait encore à environ 160 km/h. Et j'ai dit : « Nous devons arriver à Ottawa en un seul morceau ».
Mais c'est quand nous sommes arrivés à Ottawa, et que nous avons indiqué le chemin au chauffeur, car il n'était jamais venu à Ottawa, et que je suis arrivé à ma tour, c'était le premier moment où; je pouvais allumer la télévision
[00:20:03 Image superposée du deuxième avion sur le point de s'écraser sur la tour Sud du World Trade Center le 11 septembre.]
Louis Ranger : et voir les avions frapper le World Trade Center en boucle. Toute la journée, on ne voyait que ça. C'est la première fois que j'ai compris à quel point c'était terrible, parce qu'on avait pris toutes ces décisions sans vraiment savoir ce qui se passait.
[00:20:20 Texte superposé à l'écran : Quel a été votre plus grand défi en matière de communication en temps de crise?]
Louis Ranger : Le plus gros défi pour moi, c'était le 11 septembre. À mon retour, tandis que Margaret s'occupait du reste de la ville, ce qui est un travail essentiel, j'essayais de m'occuper des communications. Nous savions ce qui se passait et combien de personnes étaient clouées au sol. Mais, à tort ou à raison, nous n'avons pas pu obtenir l'autorisation de publier un communiqué de presse.
Nous avons donc manqué le journal de 18 heures, alors que tout le monde au pays avait fait des déclarations publiques, y compris le maire de Red Deer. Le premier ministre avait donné un point de presse et publié un bref communiqué. Le gouverneur général et tous les premiers ministres ont offert leurs condoléances au peuple américain. Mais les gens ne savaient pas ce qui se passait et nous avions tous ces faits.
Honnêtement, quand je regarde en arrière, j'ai vraiment dû me battre pour obtenir l'autorisation de publier un communiqué de presse qui donnait des faits essentiels et qui a été lu au journal de 22 heures et cela a fait des miracles, car les gens se sont rendu compte que personne n'avait été blessé. Nous avons cloué tous ces avions au sol; les gens passaient la nuit en toute sécurité au Canada, et cela a vraiment changé la situation.
Je pense que nous avons beaucoup appris en gérant d'autres crises que même si nous ne savions pas tout, nous pouvions dire ce que nous savions, et que d'autres renseignements suivront. Au fur et à mesure que nous en apprendrons davantage, nous les informerons.
[00:22:12 Texte superposé à l'écran : Qu'avez-vous appris de la gestion des crises?]
Louis Ranger : En ce qui concerne la gestion des crises, ce que j'ai découvert, c'est qu'il faut vraiment laisser ses émotions de côté. D'une certaine manière, quand on travaille à Transports Canada, on est malheureusement exposé à des accidents presque tous les jours. Quand je regarde en arrière, il y a plusieurs événements qui m'ont préparé au 11 septembre. Trois ans auparavant, il y avait eu le terrible accident du vol 111 de Swissair
[00:22:12 Texte superposé à l'écran : Le vol 111 de Swissair s'est écrasé le 2 septembre 1998 au large de la Nouvelle-Écosse, tuant les 229 personnes à bord. L'enquête subséquente a permis de déterminer que des câbles défectueux ont provoqué l'incendie de l'isolant inflammable de l'avion.]
Louis Ranger : qui a plongé au large de la Nouvelle-Écosse, tuant plus de 200 personnes. La sous-ministre était absente et j'étais sous-ministre intérimaire. Et je me souviens d'avoir géré, entre guillemets, cette crise.
On apprend très vite deux choses : il faut laisser ses émotions de côté et faire preuve d'ingéniosité. Et c'est une autre force que j'ai découverte à mes dépens.
[00:23:20 Texte superposé à l'écran : Qu'est-ce que le leadership pour vous?]
Louis Ranger : Cela signifie faire ses devoirs; savoir de quoi on parle; et obtenir des résultats. Dans ce qu'on appelle les compétences de leadership, il y a six compétences, mais certaines valent plus que d'autres. Pour moi, les résultats sont la priorité numéro un. Si vous avez la réputation de produire des résultats, cela crée une relation de confiance avec vos superviseurs et votre personnel. Ils savent que vous êtes déterminé à obtenir des résultats. Donc, l'engagement à l'égard des résultats.
[00:24:05 Texte superposé à l'écran : Il y a un grand débat au sein du gouvernement sur la question de savoir si les généralistes sont plus susceptibles d'accéder à des postes plus élevés que les spécialistes. En tant que spécialiste, quel est votre point de vue à ce sujet?]
Louis Ranger : Mon point de vue sur la question a beaucoup évolué. J'avais l'habitude de me vanter que l'avenir appartient aux experts en la matière. Je pense que nous aurions de gros problèmes si nous n'avions que des experts en la matière. Mais le corollaire est également vrai. Je pense que nous aurions également de gros problèmes si nous n'avions pas d'experts en la matière. On a besoin des deux.
J'ai aussi appris qu'il y a des défis dans les ministères où; il faut un généraliste, et il y a des défis où; on a besoin d'un expert en la matière. Comme je l'ai dit, et je suis tout à fait conscient du fait que j'étais la bonne personne au bon moment, mais il y a peut-être eu d'autres circonstances où; on avait eu besoin d'un généraliste. Et il y a eu des moments où; nous avons eu besoin d'un généraliste.
Quand Jocelyne Bourgon s'est jointe au ministère au milieu des années 1970 et, en l'espace de neuf mois, elle a rassemblé des idées qui se tramaient depuis 20 ans; elle a été en mesure de présenter une proposition unique dans le cadre de l'examen des programmes. Nous avions besoin d'un généraliste pour cela.
Il faut donc les deux.
[00:25:17 Texte superposé à l'écran : Qu'avez-vous appris de vos mentors?]
Louis Ranger : J'ai tout appris de mes mentors. C'était vraiment une relation mentor-mentoré. Je dis cela, non seulement pour les sous-ministres avec lesquels j'ai eu le privilège de travailler, mais aussi pour les ministres. Je sais que je reviens en arrière, mais lorsque vous travaillez avec quelqu'un comme Jean-Luc Pépin, qui a enseigné les sciences politiques, car il s'est lancé en politique, c'était très inspirant. J'ai également eu le privilège de travailler avec des gens comme Arthur Kruger, Jocelyne Bourgon et Margaret, et même des collègues de Morris Rosenberg, tous des gens qui m'ont vraiment inspiré à leur façon.
[00:26:06 Texte superposé à l'écran : Est-ce qu'on se sent seul en tant que sous-ministre?]
Louis Ranger : Oui, c'est solitaire d'être sous-ministre, surtout quand on décide – je ne suis pas sûr d'aimer l'expression – de dire la vérité à ceux qui sont au pouvoir. Cela signifie que vous êtes très présomptueux. Cela suppose que vous connaissiez la vérité. C'était très présomptueux. Mais si vous choisissez de dire la vérité à ceux qui sont au pouvoir, vous vous isolez. Et je sais que mes collègues sont surpris quand je dis cela. J'ai été sous-ministre pendant plus de sept ans. Et je mettais mon emploi en jeu, en moyenne, tous les six mois. Et comme je l'ai dit, lorsque le plaisir disparaît, le plaisir disparaît. C'est très capricieux.
Ce sont donc des moments de solitude. Et pour avoir la témérité ou le courage de le faire, il faut connaître sa matière. Il est impossible d'y aller à la légère.
[00:27:13 Texte superposé à l'écran : Quels conseils donneriez-vous à un jeune fonctionnaire en début de carrière?]
Louis Ranger : C'est un endroit fantastique. Je suis le produit de la fonction publique. Toutes les possibilités que j'aie eues ont été créées par la fonction publique. Un succès mène à un autre. Il suffit de baisser la tête, de travailler fort, et les gens finiront par vous reconnaître.
Cela a fonctionné pour moi, et j'avais un fort préjugé selon lequel la fonction publique était bien meilleure que le secteur privé, mais je ne savais vraiment pas de quoi je parlais. Mais au cours des dix dernières années environ, j'ai travaillé dans le secteur privé et je suis plus convaincu que jamais que la fonction publique a beaucoup plus à offrir. Les sujets sont plus complexes. Il est beaucoup plus difficile d'obtenir des résultats. Mais quand on y parvient dans un environnement complexe, c'est beaucoup plus gratifiant.
[00:28:14 Texte superposé à l'écran : Y a-t-il autre chose que vous aimeriez nous dire?]
Louis Ranger : Il y a les mythes et les réalités de la vision. On vous le présente comme étant très linéaire. Vous êtes un leader, donc vous avez la vision, comme si cela avait été inspiré par l'Esprit Saint ou quelque chose du genre. Ensuite, on mobilise les gens, on crée des partenariats, on innove et on obtient des résultats.
Mais cette vision n'est pas quelque chose qui arrive instantanément. Les visions se développent parfois sur des décennies. Elles grandissent, et on ne peut pas s'attendre à ce que chaque dirigeant ait une vision. Ce serait le chaos total. Il faut qu'il y ait une certaine croissance de la vision, y compris le fait d'être porteur de la vision et d'être le gardien de la vision lorsque cela se produit. Mais être le gardien et le porteur de la vision fait aussi partie du rôle de leader.
[00:29:17 La vidéo se termine sur l'équipe en train de ranger son matériel après l'entrevue.]
[00:29:23 Le logo animé de l'EFPC apparaît à l'écran.]
[00:29:30 Le mot-symbole du gouvernement du Canada apparaît, puis passe au noir.]