Transcription
Transcription : Entre cadres : Soyez le leader pour qui tout le monde veut travailler
[Cet ENTRE cadres a été diffusé lundi le 29 janvier 2018]
[Animateur Danl Loewen interviewe Pablo Sobrino, sous-ministre adjoint à la retraite.]
(Intervieweur)
Bonjour. Ici Danl Loewen avec Entre Cadres, grâce à l'École de la fonction publique du Canada.
On se penche aujourd'hui sur une question que tous les leaders se posent dans l'ensemble du pays, à savoir : « comment être un leader pour qui les gens veulent travailler. » Pour nous éclairer là-dessus, nous accueillons Pablo Sobrino.
Pablo a été un directeur de zone pour Pêches et Océans Canada, plus un DG régional avec Patrimoine canadien. De plus, il a travaillé comme sous-ministre adjoint avec Travaux publics à l'époque, en Approvisionnements.
Plus récemment, Pablo était conseiller de haute direction pour l'École de la fonction publique du Canada, en plus d'interrompre sa retraite pour ouvrer par intérim en tant que dirigeant principal des finances pour le ministère de Pêches et Océans Canada. Il en a parcouru du chemin depuis ses débuts à bord d'un navire de la Garde côtière, à l'époque où celle-ci relevait de Transports Canada. Pablo, aidez-nous à répondre : « comment être un leader avec qui tout le monde veut travailler? »
(Pablo Sobrino)
À mon sens, il y a trois valeurs fondamentales : le respect, et j'y reviendrai plus en détails, ainsi que le courage et l'empathie. Voilà donc les éléments dont il faut tenir compte. D'abord, le respect : d'une part, il faut respecter les clients, c'est-à-dire les gens qui ont recours à nos services. Il faut comprendre leur perspective, prendre la mesure de ce qu'ils savent et respecter leur opinion. Il faut aussi respecter le point de vue de nos employés.
Nos employés sont équipés de maintes expériences et connaissances, et il faut respecter ce bagage. Il faut apprécier cette valeur et se demander, en arrivant dans un nouveau poste, comment ils peuvent contribuer à notre réussite. Donc, il faut respecter leurs compétences et leurs connaissances. Il faut respecter nos collègues; ils ont tous un rôle à jouer. Il faut apprécier leur travail et apprécier qu'ils aient les meilleures intentions.
J'ai souvent recours à l'exemple des organismes centraux pour illustrer ce propos : on a souvent affaire aux organismes centraux et ces échanges sont remplis de défis. Par exemple, on présente une soumission au Conseil du trésor et on ne se heurte à rien que de la résistance. C'est comme ça qu'on le perçoit : de la résistance. Mais il faut comprendre leur rôle : leur rôle n'est pas de résister en soi, mais bien de s'assurer que votre présentation soit bien étayée afin qu'ils puissent plaider en votre faveur du mieux possible. Alors il faut respecter cette notion, cette approche.
L'autre élément à considérer est le respect de votre patron. Ce n'est pas le simple respect du poste, mais plutôt le respect du rôle que joue cette personne. Il faut comprendre comment ses fonctions s'imbriquent dans votre travail. Au fur et à mesure qu'on gravit les échelons vers les paliers supérieurs, il faut respecter la vision déjà établie. Si votre patron est un DG, il faut respecter la direction qu'il ou elle vous a fournie. Voilà la forme de respect la plus profonde.
Le respect se cultive tout autour de soi et je crois qu'il s'agit d'une valeur des plus essentielles pour que les gens travaillent fructueusement ensemble. Parce que de bien travailler ensemble ne signifie pas seulement que les employés s'adaptent bien à leur patron, mais aussi que le patron ou le gestionnaire s'adapte bien à tous les autres. Donc ce sentiment de respect, cette valeur y est pour beaucoup dans l'équation qui fait que les gens voudront travailler pour vous.
(Intervieweur)
Ça joue un rôle énorme, non seulement dans l'impact sur les employés mais aussi dans notre capacité à créer des rapports respectueux avec nos supérieurs, nos pairs, nos clients et ainsi de suite.
(Pablo Sobrino)
Exact, parce que l'organisation dans l'ensemble dépend de cette valeur également. C'est un autre morceau du puzzle. Maintenant, le deuxième élément : le courage. Le courage n'est pas une valeur dont on parle souvent. Une forme très transparente de courage est de dire la vérité aux personnes au pouvoir, une valeur fondamentale dans la fonction publique. C'est cette volonté de donner l'heure juste à son patron ou à ses collègues, et de nuancer tout ce qui est bien ou mal. Le courage, c'est comprendre comment s'exprimer et être en mesure de le faire de manière adéquate afin de faire passer des messages qui sont peut-être difficiles à entendre.
(Intervieweur)
Le courage sans oublier le respect.
(Pablo Sobrino)
En effet, le courage et le respect vont de pair. Le courage de dire à ses employés ce qu'ils doivent savoir, ce qu'ils doivent entendre afin de pouvoir développer leur propre identité et leur sens du devoir. Il faut avoir le courage d'accompagner les gens dans ce cheminement. Il faut avoir ce même courage avec nos collègues, dans le même sens; leur expliquer ce qu'on peut et ne peut pas faire.
Je dirais même qu'il faut avoir du courage envers nos clients. Il faut oser leur expliquer ce qu'on peut et ne peut pas fournir. Plusieurs fuient cette responsabilité de communiquer ce qui doit être communiqué parce que c'est difficile de le faire. Cet élément de courage est donc très important.
(Intervieweur)
Vous établissez des liens directs entre le courage et la transparence, l'honnêteté, l'intégrité - toutes ces valeurs sont reliées.
(Pablo Sobrino)
En effet. Ce sont toutes les pièces à mettre en place et quand on superpose le respect à tout ça, c'est dans la manière de s'exprimer qu'on fait sentir aux gens qu'on leur montre du respect même si on doit parfois leur dire des choses qu'ils ne veulent pas entendre. C'est une pièce essentielle.
(Intervieweur)
T'as aussi mentionné l'empathie.
(Pablo Sobrino)
Alors l'empathie c'est le dernier volet que je dirais des valeurs que moi je trouve importantes. Et c'est de vous mettre dans l'esprit de la personne avec qui vous interagissez. Alors le client : le client, c'est une partie. J'ai commencé à apprendre ça très, très tôt dans ma carrière. J'étais en recherche et sauvetage. Alors quand le client vous dit quelque chose, c'est l'expérience qu'ils sont en train de vivre. Et c'est à vous de le reconnaître et de vous informer de comment est-ce que je vais répondre à ça.
Il faut être en mesure de comprendre. L'empathie, c'est la capacité de se mettre dans la peau de quelqu'un d'autre. Donc, quand un client - un citoyen ou une citoyenne - nous dit quelque chose, c'est raconté de leur point de vue. Il ne s'agit pas de leur dire qu'ils ont tort. Il s'agit de comprendre leur vision des choses et déterminer quoi leur dire en retour. Et l'empathie envers le patron : comment se mettre à la place de notre patron? Quand on fait affaire à des sous-ministres, qui ont des mandats complexes, c'est difficile de comprendre sans connaître le contexte dans lequel ils opèrent. La plupart du temps, on ne le connaît pas, alors il faut juste reconnaître dans quelle position ils se trouvent. Bref, il faut saisir quelle information on doit présenter pour les aider à prendre des décisions.
En ce qui a trait à vos collègues. Ce collègue qui n'a pas de temps à vous consacrer. Je viens de perdre mon micro! (.) Le voilà.
En ce qui a trait à vos collègues, vous devez comprendre ce qu'ils ressentent envers un tel ou tel sujet. Peut-être mettez-vous de l'avant une mesure controversée qui va avoir un impact sur leur programme ou sur leur capacité à livrer leur mandat. Il faut comprendre comment ils vont réagir, et à nouveau, il faut être respectueux dans la façon d'aborder leurs préoccupations. Il peut s'agir de soucis d'ordre personnel ou d'enjeux réellement liés au programme. Peu importe - c'est important de bien prendre la mesure de ces tracas.
Et enfin, vos employés : il faut montrer de l'empathie envers eux. Il faut comprendre la réalité des employés et leur vécu en milieu de travail. Un sous-ministre m'a conseillé un jour de toujours me mettre dans la peau d'un employé, de me rappeler quand j'étais dans cette position, et de la façon dont j'aurais voulu être traité. Il faut vraiment s'y attarder et y réfléchir. Trop souvent dans la frénésie du quotidien et de la pression qu'on subit en milieu de travail, on oublie de s'arrêter, de prendre du recul et de se poser la question : « Comment cette personne se sent elle à cet égard? » C'est pourtant très simple.
Je me souviens d'une situation il n'y a pas si longtemps où une tempête de neige s'annonçait. L'employé se faisait du souci à devoir amener les enfants à la garderie parce que les bus scolaires n'étaient pas en fonction. Donc, ma position était plutôt évidente : « Comment puis-je aider cette personne à faire son travail tout en réduisant ses tracas? » Dans ce cas-là, la réponse était : « Travaille de la maison. » C'est une solution simple qui est du ressort d'un gestionnaire. Vous avez le pouvoir de la mettre en ouvre. Mais il faut d'abord reconnaître les sentiments de l'autre et non pas seulement les nôtres.
(Intervieweur)
C'est très logique.
De penser au niveau cérébral, du cour et du corps.
Que ressent cette personne? À quoi pense-t-elle? De quoi a-t-elle besoin? C'est essentiel dans toute négociation ou collaboration. Je dois savoir ce que l'autre partie souhaite obtenir. Donc on a abordé : le respect, le courage et l'empathie. Est-ce qu'il y a un exemple dans votre carrière où ça a été un défi pour toi, qui peut toucher à quelque chose de pratique pour notre auditoire, les DG?
(Pablo Sobrino)
Mais ça arrive partout. Alors c'est vraiment dans tous mes cas. Alors j'avais un cas quand ils m'ont demandé de transférer d'un poste à un autre. Ce n'était pas une demande. J'ai reçu une lettre d'offre et je n'étais pas content parce qu'ils n'avaient pas discuté de ça avec moi. Alors c'était une affectation qu'ils ont fait sans me parler. Et j'étais rentré dans les cadres à ce temps-là. Et j'ai vu que je pouvais faire appel en contre de l'affectation. Mais la personne à qui il fallait que je fasse appel, c'était un sous-ministre. Et le sous-ministre avait signé la lettre. Alors ce n'est pas vraiment évident qu'on pouvait faire quelque chose comme ça.
Alors pour moi, c'était un manque de respect, de ne pas me parler de comment est-ce que j'allais avancer ma carrière, comment est-ce que c'était bon ou non pour ma carrière et tout ça. Alors je me suis rappelé de ça. Je me suis sorti de la dépression très vite et puis je me suis lancé dans le travail et quand je regarde en arrière, c'était vraiment une opportunité. Mais dans ce temps-là, ce ne l'était pas. Alors ça c'est un exemple de comment j'ai été affecté par un manque de respect pour comment j'allais me trouver avec cette décision-là.
C'est donc le genre d'exemple personnel qui a un effet puissant. En ce qui concerne les clients, voici un autre exemple de longue date : combien de gens ont vécu une situation au bureau où ils reçoivent un appel qui s'avère être un mauvais numéro? Il y a trois façons de répondre. La première, c'est : « Vous avez le mauvais numéro », et on raccroche. La deuxième, c'est : « Voici le bon numéro » et on raccroche. Et la troisième, c'est : « Si vous voulez patienter, je vous transfère à la bonne personne ». Et cette personne au bout du fil, ce client, ce Canadien qui signalait un numéro pour trouver réponse à une question, va se souvenir que la fonction publique du Canada parle d'une seule voix et nous respectera d'autant plus pour avoir réglé le cas de pouvoir les mettre en contact avec quelqu'un.
À mon sens, voilà un exemple d'une chose très simple qu'on peut faire. Et la façon d'encourager cette approche dans notre milieu est de donner l'exemple. Parfois je suis à mon bureau, le téléphone sonne ailleurs et j'entends quelqu'un répondre qu'il s'agit du mauvais numéro. Et je m'écrie : « Transférez-le au bon numéro! » Voilà des choses très simples qu'on peut faire qui font preuve de respect envers les gens à qui on fait affaire. Le message passe rapidement au personnel que c'est l'attente qu'on a d'eux. Alors voilà le genre de choses que je faisais pour traiter ce sujet.
L'autre exemple concerne l'interaction avec les ministres. J'ai eu le privilège de travailler en région, où les échanges directs avec les ministres sont souvent plus fréquents qu'au quartier-général, à un palier inférieur. Généralement quand on travaille avec les ministres, ils arrivent préoccupés et nerveux. Je me souviens d'un jour où j'étais dans la voiture et je me faisais poser toutes sortes de questions qui n'étaient pas en lien direct avec notre ministère mais qui concernait plus généralement l'environnement provincial dans lequel on se trouvait. On m'avait prévenu que ça risquait de se produire, mais c'est quand même stressant.
J'avais vécu cela à quelques reprises et j'essayais de comprendre d'où ça provenait. Eh bien, c'était de la nervosité : le ministre était nerveux en route pour aller faire une présentation et voilà comment s'exprimait cette fébrilité - par un million de questions qui n'avaient pas nécessairement de réponses. Alors ce jour-là dans la voiture, quand les questions ont commencé à fuser, j'ai dit : « Ministre, je sais pourquoi vous agissez de la sorte. Vous vous préparez à prononcer une allocution. Que diriez-vous qu'on révise votre texte? » Et le ministre s'est mis à rire et a répondu : « Je crois que vous avez raison. » Ça s'est avéré un tournant dans notre relation.
C'est intéressant de constater que lorsqu'on est vraiment à l'écoute des sentiments des autres, qu'on les respecte et qu'on leur donne conseil avec courage, on en retire une expérience franchement incroyable. Et j'ai appris cette leçon tout au long de ma carrière. Elle se répète à maintes reprises.
(Intervieweur)
Montrer de l'empathie envers l'être humain qui est devant nous, respecter ses sentiments, son temps, ses besoins, et avoir le courage de dire : « Est-ce que je peux vous aider? » plutôt que de simplement renvoyer la balle alors que le ministre ou la personne devant nous a besoin d'autre chose. Vous parlez aussi de cette approche à porte unique : s'il y a quelqu'un qui frappe à la porte du gouvernement fédéral, ce n'est pas à eux de savoir comment nous sommes structurés. Ce n'est pas à eux de faire la recherche.
Si on sait comment les mettre en contact avec la bonne personne, faisons-le - assurons-nous que cette personne les rappellera et ainsi de suite.
En ce qui a trait au courage et aux exemples que vous mentionnez, il y a un risque. C'est risqué de parler, de partager des choses avec son personnel, de dire la vérité au pouvoir. Les gens peuvent s'en offusquer. Les gouvernements, les sous-ministres et les directeurs se succèdent. Pouvez-vous élaborer là-dessus : le risque en fonction des gens à qui on s'adresse, et comment gérer ce risque de façon à dire la vérité au pouvoir d'une part, et à nos subordonnés d'autre part?
(Pablo Sobrino)
Bon, soyons clairs : au gouvernement, il y a en fait très peu de chances de se faire congédier pour avoir fait quelque chose de travers. J'espère que ça vous fait sourire de l'entendre.
(Intervieweur)
Ça me rassure pour la fin de l'entrevue!
(Pablo Sobrino)
C'est plutôt votre réputation personnelle qui risque d'en être affectée. Alors à mon sens, quand on parle de risque, c'est de la gestion de ce risque qu'on parle. Il ne s'agit pas de l'éviter, mais de le gérer. Par exemple : j'ai quelque chose de plutôt confidentiel à partager avec mes employés. Je leur dis que c'est plutôt confidentiel et je leur indique comment je veux que cette information soit traitée. Beaucoup de gens partagent l'information avec leurs employés mais ne leur indiquent pas les limites. Alors voilà une part de l'équation : l'élément de confiance. Avec le risque vient la confiance. Il faut faire confiance aux gens pour gérer ce risque.
D'autre part, quand il s'agit de dire la vérité au pouvoir - et c'est souvent le plus gros risque - il faut choisir le bon endroit. Leur dire tout bonnement qu'ils ont tort n'est pas la chose à faire. Qu'il s'agisse de collègues, de subordonnés, ou du patron, il ne faut pas le faire en public. Il faut le faire en privé. Il n'est pas question de les humilier; on tente de leur donner une rétroaction honnête, des vérités ou des opinions franches.
Il faut aussi garder en tête que la personne à qui on s'adresse a peut-être connaissance d'un contexte qui nous échappe. Alors tout en donnant cette rétroaction, en disant la vérité au pouvoir, il faut laisser une marge de manouvre qui permet une explication ou l'acceptation de nos conseils. Donc il faut gérer ce risque. Le risque n'est pas de présenter ses opinions; il est dans la manière de le faire. Voilà, à mon sens, où les risques doivent être gérés.
(Intervieweur)
Quand on s'attarde au Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux, le plus récent de 2017 dans l'ensemble de la fonction publique, 75% des employés répondent que leur ministère les traite avec respect de manière générale. C'est bien, et pourtant il y a un écart. De manière générale, 78% aiment leur travail. « Je suis bien encadré au travail pour viser un équilibre entre mon travail et ma vie personnelle » - obtient la cote de 72%. Mais on chute à 66% quand il est question d'être encouragé à être innovateur ou à prendre l'initiative au travail. Est-il question ici de courage et de risque?
(Pablo Sobrino)
Vous avez raison. Pour créer un milieu où l'innovation est favorisée, il faut donner aux gens droit à l'erreur. Et la seule façon de le faire est de gérer le risque pour eux. Ils doivent se sentir en sécurité pour que cette approche qui préconise l'innovation fonctionne. Il faut s'assurer de les encadrer pour qu'ils aient l'espace requis pour le faire. Alors, que veut-on dire par là?
Je me souviens d'une initiative sur laquelle on a travaillé aux Approvisionnements, une approche différente pour fournir des services. On tentait de concevoir un modèle qui réduirait la paperasse à compléter quand les gens entamaient une requête, et on a réussi à réduire le formulaire à 2 pages plutôt que 50 pages d'exigences à identifier.
Le groupe qui a exécuté ce mandat a profité d'espace et de ressources pour que ça réussisse. Et ils ont ensuite pu faire appel à l'industrie pour consulter. Bref ils ont eu une marge de manouvre pour poser des questions et examiner les possibilités. On n'aurait pas pu accomplir la mission - ils n'auraient pas eu la chance de s'y attaquer si j'étais réfractaire au risque. Parce que la raison initiale que le processus comportait 50 pages était de gérer les dangers et les défis occasionnés par les accords commerciaux quand les soumissions étaient présentées.
Il faut donner une marge de manouvre aux gens afin qu'ils puissent trouver des solutions. Par ailleurs, ensuite, j'ai un boulot à faire, qui est de m'assurer que la politique qui sous-tend leur travail puisse véritablement être mise en ouvre et que ces innovations puissent devenir notre façon de faire. Je crois que ça s'applique à tout rôle d'innovateur. Le rôle du patron est de fournir l'espace, les limites et le cadre de référence afin que les innovations puissent être étudiées, tout en gardant le groupe à l'abri des gens qui sont réfractaires au risque. Grosso modo, voilà le genre d'encadrement qu'il faut fournir.
(Intervieweur)
Je crois que vous venez de valider la pensée de plusieurs qui nous écoutent. Et vous avez sans doute aussi provoqué la réflexion en avançant l'idée que c'est le boulot du patron de créer l'espace pour l'innovation, en reconnaissant qu'il existe des risques mais qu'il y a des avantages à s'avancer dans cette zone.
(Pablo Sobrino)
Exact. Et je crois que l'élément le plus essentiel est de protéger l'équipe des détracteurs, qui existeront toujours. À chaque fois qu'une approche novatrice est proposée, il y aura toujours des gens qui préfèrent la bonne vieille méthode. Le patron a donc son rôle à jouer à ce moment-là pour expliquer le pourquoi de la chose à tout le système.
(Intervieweur)
Il y a 10 minutes qui restent. Si vous avez une question pour Pablo Sobrino, on peut simplement cliquer sur Participez et tapez votre question.
On tentera de l'intégrer à notre discussion pour que Pablo puisse y répondre dans le temps qu'il nous reste. Voilà.
On est pas mal loin de la question de mobilisation des employés.
Et bien sûr, il y a une différence entre les employés qui se conforment, ceux qui participent, et ceux qui se mobilisent.
(Pablo Sobrino)
En effet.
(Intervieweur)
On remarque d'ailleurs dans un sondage Gallup, qui classe les organisations selon le taux de mobilisation des employés, que les organisations classées dans la moitié supérieure obtiennent pratiquement une journée de productivité de plus par semaine et deux jours de qualité de plus par semaine.
(Pablo Sobrino)
En effet.
(Intervieweur)
Qu'avez-vous à dire là-dessus?
(Pablo Sobrino)
Je dirais tout simplement que de mobiliser les employés est en fait assez facile. On doit leur faire sentir qu'ils sont inclus. On doit leur faire confiance en partageant de l'information. On doit leur fournir une direction - c'est-à-dire leur donner une intention, un objectif, afin qu'ils saisissent à quel point leur rôle est clé dans le portrait global. En ce moment, j'appartiens à une organisation orientée en finances, donc un organisme de soutien. Alors à quoi apporte-t-on du soutien? À quoi apportent-ils une contribution? C'est ce qu'on doit leur faire comprendre.
C'est facile à dire, mais il faut que notre porte soit ouverte. Les gens doivent savoir qu'ils peuvent nous amener leurs idées ou leurs préoccupations, et on doit être en mesure de communiquer ouvertement avec eux sur ces sujets. On doit pouvoir leur dire ce qu'on peut ou ne peut pas faire. Mais au-delà de ça, je leur dis aussi : « Voici ce que je peux faire. Voici ce que je ne peux pas faire. » Et si je ne peux pas me prononcer, je vais le dire, et je vais même dire pourquoi je ne peux pas.
Alors voilà les trois consignes que je me donne. Mais il s'agit surtout de cultiver une culture du respect parce que, en bout de ligne, si on veut des employés mobilisés, ils doivent sentir qu'on se préoccupe d'eux. Ils doivent sentir qu'on respecte leur point de vue, et qu'on leur fournit un environnement qui leur permet d'exercer leur courage pour nous dire ce qu'on ne veut peut-être pas entendre. Si on fait tout ça, il en résulte des employés mobilisés et on obtient de leur part cette journée de productivité de plus par semaine.
(Intervieweur)
Bref, il faut non pas seulement démontrer ces qualités en soi, mais les cultiver et les encourager chez les autres, afin de développer le respect, le courage et l'empathie.
(Pablo Sobrino)
Absolument.
(Intervieweur)
Ceci a beaucoup de mérite. On entend souvent que la mobilisation des employés tient de beaucoup de facteurs. Parmi eux, la notion que les employés aient l'occasion de contribuer, qu'ils aient la chance d'utiliser leurs compétences et qu'ils jouissent d'une certaine autonomie. Lesquels ressortent du lot selon vous?
(Pablo Sobrino)
Je crois que d'utiliser les compétences des gens est absolument clé. Ce qu'on doit faire, c'est tirer parti des forces et des connaissances de nos employés pour faire avancer les objectifs de l'organisation. Il ne fait aucun doute là-dessus. C'est un peu la même chose pour l'innovation et l'autonomie. À mon avis, il faut laisser les gens prendre leur place, leur confier des responsabilités et les rendre redevables pour livrer les résultats qu'ils ont à livrer.
(Intervieweur)
Question suivante :
Quelqu'un a posé une question : jusqu'à quel point est-ce que c'est réaliste et désirable, si je peux dire, d'être un leader authentique?
On a effleuré ce sujet dans certaines de vos réponses. À quel point est-ce réaliste? À quel point est-ce souhaitable?
(Pablo Sobrino)
Tout à fait. C'est ce qui est le plus vrai. Si on ne peut pas être soi-même au travail, on ne sert personne.
C'est important d'être complètement authentique. Alors moi, une chose que j'ai partagée plusieurs fois . Il faut que tout le monde comprenne que même au niveau de sous-ministre adjoint, il y a des jours qu'on ne sait pas quoi faire. Il y a des jours qu'on a peur de ce qu'il faut faire. Et puis il y a des jours qu'on ne sait pas quoi faire.
Si vous êtes incapable de l'admettre, tant à vous-même qu'à votre équipe, vous n'êtes pas authentique. Vous allez avoir des difficultés et votre équipe ne pourra pas vous aider.
J'ai un exemple pour ceux qui nous écoutent. Vous savez comment fonctionne la boîte de réception qui classe les dossiers : il y a la pile principale et la pile des cas problèmes. Eh bien, peu importe ce qui atterrissait dans ma boîte de réception, je renversais l'ordre pour qu'un dossier épineux reste tout au bas de la pile. Je ne savais pas quoi faire. Finalement, j'ai fait appel à mon équipe de gestion et j'ai expliqué que ce dossier n'était pas destiné à un individu en particulier, mais qu'il fallait le traiter d'une façon ou d'une autre.
C'était formidable : les six ou huit DG à la table se sont réunis et ont suggéré des approches pour aborder le problème. Et on l'a solutionné ensemble. Donc soudainement, après m'être senti très isolé et sans savoir quoi faire, j'étais entouré d'une équipe qui s'affairait à résoudre le problème pour moi. On ne peut arriver à cette issue que si on est authentique.
(Intervieweur)
C'est vrai. Et ça témoigne aussi du fait que différents points de vue ont de la valeur. Une diversité d'opinions et de perspectives.
(Pablo Sobrino)
Tout à fait.
(Intervieweur)
On ne s'étonnera pas. tu ne seras pas surpris de savoir qu'il y a des participants, plus qu'un, qui te demandent de parler plus au sujet de comment on peut parler la vérité au pouvoir.
Quels conseils pratiques pouvons-nous prodiguer? S'il y a un DG ou un directeur dans la salle qui ressent le besoin de dire la vérité au pouvoir, que peut-il faire concrètement, dès aujourd'hui ou demain?
(Pablo Sobrino)
Bon, d'abord pour dire la vérité au pouvoir, il faut reconnaître que notre version de la vérité n'est que ça : une version. Il se peut qu'on ne saisisse pas le contexte plus large. Faites vos recherches pour comprendre pourquoi il existe des opinions diverses et d'où elles proviennent. Et quand vous présentez votre vérité, présentez-la dans un espace protégé où votre interlocuteur ne se sentira pas menacé. Expliquez-lui ce qui vous préoccupe et pourquoi votre point de vue devrait être pris en considération; et peu importe que vous ayez bien exécuté votre présentation, si la décision rendue va à son encontre, vous devez quand même la mettre en ouvre avec loyauté.
Le gros problème est souvent qu'un directeur - qui sait fort bien ce qui cloche dans un programme - donne un « briefing » à son supérieur mais le message ne se rend pas jusqu'au sous-ministre adjoint, peut-être parce que le DG a peur d'en parler ou parce qu'il ne croit pas que c'est pertinent. Donc il faut trouver des moyens de « briefer » vers le haut. Si le DG s'avère un obstacle, faites appel aux autres directeurs; vous faites partie d'un réseau. Si vous êtes réellement préoccupé, il vous faut trouver d'autres voies à travers le réseau, parce qu'il y a plusieurs façons de véhiculer des messages. Je ne parle pas d'insubordination. Je dis tout simplement qu'il faut s'assurer de faire passer le message à travers le système.
En bout de ligne, les décisions sont prises aux niveaux supérieurs parce que d'autres facteurs sont en jeu et c'est pourquoi les conseils sont fournis d'une certaine manière. Et en bout de ligne, les décisions sont rendues à l'aide de plusieurs points de vue. Ensuite, il faut mettre cette décision en ouvre, quelle qu'elle soit. Mais on veut tout de même s'assurer que notre point de vue a été considéré, et ça fait partie du travail à faire, surtout au bas de l'échelle. C'est difficile de croire que notre opinion a été prise en considération lorsqu'ils font exactement le contraire de ce qu'on recommandait. Mais ce n'est pas une situation claire et nette. C'est une zone grise.
(Intervieweur)
Ça veut dire que de parler la vérité au pouvoir, ça n'indique pas qu'on va accepter votre vérité.
(Pablo Sobrino)
Oui, c'est ça parce qu'il y a beaucoup, beaucoup d'aspects de vérité. Il y a beaucoup de vérités. Alors ce n'est pas un problème de mathématiques, c'est un problème de sociologie, de science politique, tout ça. Alors il y a beaucoup plus de mouvement dans comment il va mettre en ouvre les recommandations.
(Intervieweur)
Bref, il faut composer avec ça : je présente ma vérité; une personne d'un niveau d'autorité supérieure qui a une perspective différente, que ce soit un collègue ou un client, va considérer mon point de vue et ensuite procéder comme bon lui semble. Je ne peux pas l'obliger à se plier à mes volontés. Je peux seulement m'assurer que j'ai été entendu.
(Pablo Sobrino)
Oui, tout à fait.
(Intervieweur)
Et ensuite, comme vous le dites, il faut exécuter avec loyauté. Voici notre dernière question : Bien franchement, comment faire pour guérir une organisation malsaine? Peut-être devrait-on entamer une autre séance sur ce sujet. Mais en effet, comment un DG peut-il influencer la culture autour de lui s'il ne se sent pas entouré d'alliés?
(Pablo Sobrino)
Échangez. C'est-à-dire : allez voir ce qui en est. Si votre organisation est malsaine, sortez sur le plancher; discutez avec chaque individu; soyez accessible. Organisez des rencontres hebdomadaires ou des dîners informels pour jaser avec les employés. Gardez votre porte ouverte. Il faut miser sur les gens; vous devez compter sur eux pour faire le travail. Les directeurs doivent accomplir le boulot. Les directeurs mettent en ouvre, tandis que les DG dirigent. Alors il faut s'assurer d'échanger avec le personnel.
À mon sens, un tel échange consiste à tisser des liens. C'est la première des choses. Dans une organisation malsaine, on doit découvrir pourquoi elle est ainsi. Souvent - je dirais 95% du temps - c'est une question de communication. Les gens ne comprennent pas pourquoi ils sont là ou pourquoi telle décision est prise, et souhaitent plus de transparence. C'est la communication qui règle tout ça.
Si l'organisation au grand complet est malsaine, par exemple si les DG ne travaillent pas ensemble, c'est au sous-ministre adjoint de s'interposer. Mais les DG peuvent faire encore plus d'efforts pour échanger, pour comprendre les enjeux qui affectent leurs collègues, et naviguer dans tout le système de cette façon. Si un sous-ministre adjoint hérite d'une organisation malsaine, c'est la même chose. Il s'agit de communiquer à tous les niveaux. À mon avis, pour guérir une organisation malsaine, la première étape consiste à échanger avec les employés afin de comprendre leurs états d'âme.
(Intervieweur)
Comble de l'ironie, c'est aussi la meilleure façon d'améliorer une organisation en santé.
(Pablo Sobrino)
Oui, dans n'importe quelle organisation, si on vise un haut rendement, la façon d'y arriver est d'échanger avec tous les gens qui participeront à cette performance. Un point, c'est tout.
(Intervieweur)
C'est très logique. Un dernier mot à partager?
(Pablo Sobrino)
J'ai bien apprécié de pouvoir discuter de tout ceci. En tant que membres de la fonction publique, on ne doit jamais oublier qu'on est là pour servir la population canadienne. Si on garde en tête cette raison d'être, peu importe qu'on soit commis, directeur ou DG, on ne perd jamais de vue pourquoi on est là. C'est très important. Je crois que les gens perdent de vue pourquoi ils font ce boulot. Ce n'est pas juste un salaire. C'est le service aux Canadiennes et Canadiens.
(Interviewer)
Bravo! Merci.
On a parlé avec Pablo Sobrino, un fonctionnaire public chevronné.
Une jolie façon de dire que vous portez bien votre barbe grise. Un fonctionnaire chevronné et en plus, le type de leader pour lequel les gens veulent travailler.
Pablo, merci d'avoir partagé votre temps et vos grandes connaissances.
(Pablo Sobrino)
Merci.