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Transcription : Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien : L'élaboration de politiques publiques dans une fédération diversifiée
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[00:00:03 L'écran s'estompe et montre Rupak Chattopadhyay dans une fenêtre de clavardage vidéo.]
Rupak Chattopadhyay : Merci. Bonjour à tous et bienvenue à notre événement d'aujourd'hui sur l'élaboration de politiques publiques dans une fédération diversifiée. Il s'agit du huitième événement de la Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien. Je m'appelle Rupak Chattopadhyay. Je suis président et chef de la direction du Forum des fédérations et je serai votre animateur cet après-midi. Merci beaucoup d'être avec nous.
Permettez-moi de commencer cet après-midi en reconnaissant que le territoire d'où; je vous parle est situé ici, à Ottawa, sur le territoire non cédé de la nation algonquine anichinabée, dont la présence ici remonte à des temps immémoriaux. Certains d'entre vous se joignent à nous depuis différentes régions du pays, et je vous invite donc à prendre un moment pour reconnaître le territoire où; vous vous trouvez.
Cet après-midi, deux grands experts nous parleront du thème de l'élaboration de politiques publiques dans le contexte canadien. À une époque où; les prix sont élevés, où; il est difficile d'accéder à la propriété et où; une pression s'exerce sur les services publics, le fédéralisme empiète sur tous les aspects de notre vie. Je commencerai donc par présenter chacun de nos experts avant de leur demander de faire leur présentation.
Charles Conteh est professeur de gestion et de politiques publiques au département de sciences politiques de l'Université Brock. Les recherches et l'enseignement du professeur Conteh portent sur les politiques publiques canadiennes et comparées, la gestion publique, l'économie politique et la gouvernance multiniveau. Ses recherches actuelles portent sur les structures et les processus de gouvernance dans des systèmes politiques complexes et dynamiques, et plus particulièrement sur la formulation et la mise en œuvre de politiques collaboratives et stratégiques. Le professeur Conteh étudie actuellement la manière dont les économies locales, régionales et nationales se réinventent face à des changements considérables sur les plans mondial, économique et écologique.
Notre deuxième spécialiste aujourd'hui est Jennifer Wallner, professeure agrégée à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa et titulaire de la chaire de recherche Jean-Luc Pépin sur la politique canadienne. Ses travaux portent sur le fédéralisme et les politiques publiques, en particulier dans les domaines de l'éducation, du centralisme fiscal et des relations intergouvernementales. Elle a publié de nombreux ouvrages sur le Canada, l'Australie et les États-Unis, et perfectionne actuellement son expertise sur l'Allemagne.
Merci à tous de vous joindre à nous aujourd'hui. Chaque invité fera une brève présentation. Ils disposent de 15 à 20 minutes pour faire leur présentation. Leur présentation sera suivie d'une discussion en groupe et, enfin, d'une période de questions-réponses avec le public. Vous pouvez envoyer vos questions dans la langue de votre choix en cliquant sur l'icône de la main levée située dans le coin supérieur droit de votre écran. Nous essaierons de répondre au plus grand nombre de questions possible, en fonction du temps dont nous disposerons.
Commençons donc la présentation de cet après-midi par Charles.
Charles, j'aimerais vous inviter à faire votre présentation. Je vous cède la parole. Merci.
[00:03:18 Une fenêtre de clavardage vidéo montre Charles Conteh.]
Charles Conteh : Merci beaucoup, Rupak, pour cette aimable et généreuse présentation, merci à l'École de la fonction publique du Canada de m'avoir invité à présenter mes recherches à notre public, et merci à vous, Mesdames et Messieurs, d'avoir pris le temps, malgré votre emploi du temps chargé, d'échanger avec nous cet après-midi.
Pour situer le contexte, je dirais que mon intérêt pour le fédéralisme et les relations intergouvernementales remonte à plusieurs années, soit il y a environ 15 ans, lorsque j'ai commencé à étudier les agences de développement régional, les ADR. Ces agences fédérales ont pour mandat de mobiliser différentes régions du Canada dans la mise en œuvre de programmes de développement économique, et j'ai passé plusieurs années à les observer, à les rencontrer et à les consulter. J'ai été vraiment fasciné par la façon dont ces agences composent avec les complexités du fédéralisme, par la façon dont elles peuvent établir des limites, travailler avec les entités provinciales, collaborer avec les municipalités, et j'ai tiré quelques enseignements de ces observations qui m'ont mené à la conviction profonde qu'en fait, pour comprendre le fédéralisme, il faut aller au-delà d'une simple interprétation constitutionnelle rigide et comprendre les instruments pragmatiques et émergents, comprendre comment les fonctionnaires et les administrateurs publics fournissent des services, comment ils composent avec les limites, comment ils consultent les acteurs non étatiques, comment ils collaborent avec les municipalités.
C'est donc à partir de ces études que j'ai commencé à reformuler la façon dont je comprends et imagine les questions politiques et, franchement, la façon dont je les aborde. Depuis, je me suis intéressé à l'agriculture, à la politique agricole, à l'innovation agroalimentaire, mais j'intègre le concept de gouvernance multiniveau, qui est une sorte de compréhension fluide du fédéralisme, à la compréhension de la façon dont les politiques sont mises en œuvre et dont les programmes sont réalisés ici au Canada. C'est dans ce contexte que je souhaite plonger dans les conversations [inaudible], en examinant les contours changeants des relations intergouvernementales au Canada, en mettant l'accent sur les nouveaux instruments de gouvernance multiniveaux au sein du fédéralisme canadien.
Pour mettre les choses en perspective, je voudrais conceptualiser un certain nombre de choses sur la façon dont j'aborde le sujet des relations intergouvernementales. Tout d'abord, lorsque l'on parle de relations intergouvernementales, il faut mentionner qu'il existe différents types de contextes. Il existe des systèmes fédéraux comme le Canada, les États-Unis, l'Australie, etc., mais il y a aussi des contextes intergouvernementaux qui ne sont pas exactement fédéraux, par exemple l'Union européenne, où; il y a ce que l'on appelle une compétence à plusieurs niveaux, une sorte de gouvernement national avec des entités infranationales, souvent locales, mais aussi une entité supranationale comme l'Union européenne elle-même à Bruxelles et dans d'autres endroits. Il existe donc des accords intergouvernementaux dans ces contextes, hors du fédéralisme, mais qui sont plus ou moins identiques en matière de délimitation des frontières, d'élaboration de politiques, de prestation de services, etc.
Vous pouvez également penser aux relations intergouvernementales dans le contexte de ce que nous considérons comme des systèmes unitaires tels que le Royaume-Uni, n'est-ce pas? Au Royaume-Uni, il s'agit d'un système unitaire classique, mais il existe des entités décentralisées dans l'ensemble de l'Union, au pays de Galles, en Écosse, etc. De plus, au sein de ces entités, il existe des gouvernements infranationaux. Ainsi, si l'on considère n'importe quel domaine politique au Royaume-Uni, même s'il s'agit d'un système unitaire, il existe techniquement des complexités intergouvernementales dans la conception et la mise en œuvre des politiques. Bien entendu, je me concentre sur les relations intergouvernementales dans le contexte de systèmes juridiques équitables comme le Canada.
Un autre point que je souhaite clarifier est mon unité d'analyse. Les spécialistes du fédéralisme ou des relations intergouvernementales s'intéressent souvent aux différentes administrations du gouvernement. Ces dernières sont locales, législatives, et ils ont tendance à se concentrer sur ce que nous appelons les paramètres systémiques généraux en ce qui concerne en quelque sorte la portée des compétences législatives [inaudible], de différentes compétences, de qui est censé faire quoi, et ils examinent différentes lois du Parlement ou de la législature dans le contexte de leur fonctionnement dans ce cadre intergouvernemental, et les universitaires examinent le fédéralisme ou les relations intergouvernementales du point de vue du pouvoir exécutif.
J'appartiens à ce deuxième groupe en ce sens qu'il se préoccupe du Cabinet, lequel a pour mandat de mettre en œuvre des ensembles précis de politiques dans le domaine des politiques économiques, sociales, environnementales et autres, et qui suit l'ensemble du processus d'élaboration, de mise en œuvre, de conception, d'exécution, de prestation de services, de suivi et d'évaluation des politiques dans ce contexte intergouvernemental, et nos collègues se penchent sur le pouvoir judiciaire, par exemple, les différents tribunaux du Canada, l'interprétation des sujets, le processus d'appel, d'un échelon inférieur vers un échelon supérieur, du provincial au national, pour comprendre comment les processus judiciaires sont menés dans une sorte d'architecture intergouvernementale. Encore une fois, je m'intéresse beaucoup au pouvoir exécutif.
Enfin, il existe différents niveaux d'analyse. Certains spécialistes des relations intergouvernementales s'intéressent aux grands cadres systémiques. Ces chercheurs considèrent souvent, par exemple, le Canada comme une typologie, un type de relations intergouvernementales comparé à d'autres types, voyez-vous. Ils auront donc une sorte de caractéristique générale du Canada par rapport aux États-Unis juxtaposés à, disons, l'Australie. D'autres chercheurs, qui appartiennent à cette dernière catégorie, s'intéressent à un arrangement plus centré sur la politique au niveau méso. Autrement dit, plutôt que de considérer le Canada lui-même comme un grand type de pays, ils examinent les différents domaines politiques et les manifestations des relations intergouvernementales au sein de chaque domaine de politique.
L'hypothèse sous-jacente est qu'il n'est pas possible de peindre le Canada à grands traits et de le décrire comme un système fédéral ou intergouvernemental, ou plutôt de comprendre les particularités d'un domaine politique donné, qu'il s'agisse de l'économie, de l'environnement, de l'agriculture, de la société, du logement, etc., parce que chaque domaine de politique aura sa propre configuration du fédéralisme ou des relations intergouvernementales.
Ma formation en politiques publiques et, bien sûr, l'observation des agences de développement régional et de la manière dont elles mettent en œuvre leurs programmes m'ont amené à la conviction que la meilleure façon de comprendre le Canada, en fait, est de l'envisager comme différents types, différentes sous-cultures, différents modèles, différents instruments de relations intergouvernementales au sein de divers domaines de politiques.
Et pour mettre cela en perspective, en tant qu'universitaire, j'aime parler des méthodes de recherche, et une grande part de mon approche consiste à examiner le Canada en tant que système fédéral par rapport à tous les types de systèmes, par exemple les compétences à plusieurs niveaux de l'Union européenne ou les systèmes unitaires du Royaume-Uni. Donc, j'examine les systèmes fédéraux et le Canada, et mon travail porte sur les deux dernières décennies. Je veux suivre dans le temps, chronologiquement en quelque sorte, l'adaptation, la transformation du Canada en tant que système intergouvernemental dynamique, émergent, adaptatif et résilient et voir les continuités et les écarts dans le temps, et je regarde le pouvoir exécutif du gouvernement parce que je veux me concentrer sur les politiques, ce qui m'amène au niveau d'analyse, comme je l'ai mentionné, un niveau méso centré sur les politiques.
Depuis près de dix ans, je m'intéresse aux politiques d'innovation agroalimentaire. Pour comprendre les relations intergouvernementales au Canada et plus particulièrement le fédéralisme, j'introduis dans mon discours le concept de gouvernance multiniveau. Je parlerai très bientôt de la proposition de gouvernance multiniveau, mais le défi est plein de conceptions traditionnelles du fédéralisme. Il apporte un nouvel ensemble d'hypothèses et de propositions sur la manière dont nous devrions comprendre le fonctionnement pratique du fédéralisme du point de vue de l'élaboration et de la mise en œuvre des politiques.
La question à laquelle j'essaie de répondre et que je pose en quelque sorte depuis quelques années consiste à savoir quels sont les mécanismes, structures et processus émergents des relations intergouvernementales au Canada, et j'utilise délibérément le terme « émergent » parce que je me concentre sur l'adaptation des causes de changement ou de continuité dans le temps. Cette dimension temporelle du suivi de la continuité et du changement dans le temps signifie donc que je veux m'intéresser à ce qui est émergent. Qu'est-ce qui est émergent? Qu'est-ce qui est nouveau? Est-ce qu'il s'agit d'un écart par rapport à quelque chose? Est-ce qu'il s'agit d'une suite? Est-ce qu'il s'agit d'une sorte de métamorphose des approches actuelles pour traiter une question politique donnée dans les différentes compétences du système fédéral canadien? La deuxième question consiste à savoir, un peu par extension, quelles pratiques exemplaires et quels défis pourraient être résumés ou extrapolés à partir de cet arrangement pour servir de leçons à d'autres types de systèmes, qu'ils soient fédéraux, à plusieurs niveaux, ou unitaires décentralisés.
La prémisse de mes recherches repose sur le simple fait que pour comprendre le fédéralisme au Canada, nous devons d'une certaine façon penser au-delà de la Constitution. La Constitution est un guide, un cadre. C'est l'architecture sur laquelle reposent nos systèmes gouvernementaux. Toutefois, compte tenu de la complexité croissante des politiques publiques dans la structure à plusieurs niveaux du Canada et de certaines attentes émergentes des citoyens qui souhaitent participer davantage, compte tenu des défis de la mondialisation, de la restructuration industrielle, essentiellement toutes les occasions et tous les défis de la gouvernance au XXIe siècle, nous devons repenser l'architecture même du fédéralisme du point de vue des politiques, de la conception et de la mise en œuvre.
Mais vous vous demandez peut-être, puisque je continue à parler du contexte actuel du XXIe siècle et des défis émergents, en quoi consiste le passé? D'où; venons-nous et où; allons-nous? J'ai voulu donner une vue d'ensemble chronologique pour que l'on puisse comprendre l'évolution [inaudible] du fédéralisme, du moins dans les recherches universitaires.
Dans les années 1950 et 1960, le Canada était essentiellement considéré comme pratiquant ce que nous appelons le fédéralisme coopératif. Bien entendu, j'émets des réserves sur ces typologies plus larges, mais en général, les chercheurs s'accordent à dire que dans les années 1950 et 1960, au cours des années d'après-guerre et d'essor de l'État providence, le gouvernement fédéral disposait d'un pouvoir de dépense qui correspondait à une vision de la construction sociale et de l'édification d'une nation. Grâce à cela, le gouvernement fédéral a pu, en fait, collaborer avec les provinces, qui se sont montrées très coopératives et très souples. En fait, les provinces n'avaient pas les ressources nécessaires, notamment sur le plan des politiques, pour s'engager au même niveau. Elles ont donc essentiellement travaillé avec le gouvernement fédéral.
Ces deux décennies ont donc été marquées par un fédéralisme coopératif qui nous a permis de construire l'architecture actuelle de l'État providence sur le plan des politiques sociales, des politiques de logement, des soins de santé, etc. Toutefois, dans les années 1970, et plus particulièrement au milieu des années 1970, les choses ont changé et l'économie a amorcé un rebond. Les provinces avaient fait des progrès. Elles avaient mis en place l'architecture de leur bureaucratie. Leurs ressources étaient pleinement développées. On assistait à l'essor d'un provincialisme subtil. Elles ont commencé à se rebiffer. Elles ont commencé à invoquer les articles 91 et 92 de la Constitution et à revendiquer leurs domaines de compétence. C'était l'ère de la contestation et aussi, si vous vous souvenez bien, à la fin des années 1960, de la Révolution tranquille au Québec, qui s'est orientée vers un provincialisme plus affirmé et qui a repoussé les prétentions d'Ottawa sur certains développements politiques. En fait, ce précédent de la Révolution tranquille et les demandes du Québec se sont essentiellement étendus à toutes les provinces. C'était donc une époque de contestation, de conflit et d'opposition pour les provinces.
Mais dans les années 1980, elles ont constaté que cette position était vraiment contestée, très conflictuelle et souvent très stagnante. Nous entrons donc dans le domaine du « fédéralisme de sommet ». Vous vous souviendrez de l'Accord de Charlottetown et de l'Accord du lac Meech. L'objectif était de revoir toute l'architecture du fédéralisme sur le plan constitutionnel et de concevoir quelque chose de nouveau qui tiendrait compte de ce nouveau conflit et de cette nouvelle contestation que l'on connaissait dans les années 1970. Bien entendu, ces efforts se sont soldés par une implosion complète, un échec, mais les cendres de cette implosion ont permis de constater qu'il ne fallait pas changer toute l'architecture, mais plutôt trouver des moyens plus pragmatiques de composer avec les différentes compétences.
Cette décennie a été celle du fédéralisme de collaboration. En fait, des choses comme l'Entente-cadre sur l'union sociale et l'accord [inaudible] ont été conçues dans les années 1990. Il s'agissait de s'écarter des règles strictes de la Constitution pour faire preuve d'une plus grande souplesse et de pragmatisme. Les fondements de cette sorte de fédéralisme collaboratif des années 1990 ont fini par mûrir au tournant du millénaire pour devenir ce que nous appelons la gouvernance multiniveau, ou du moins ce que les universitaires de ma génération appellent la gouvernance multiniveau, parce que c'est à cette époque que les choses ont commencé à changer. Il y a eu une décentralisation croissante de la plupart des domaines politiques, jusqu'aux municipalités.
En outre, les municipalités commençaient à s'affirmer. Elles devaient composer avec des défis importants, la crise du logement [inaudible], le chômage, l'itinérance [inaudible], les infrastructures, les transports, d'autres défis majeurs. Les villes et les municipalités étaient en première ligne pour la plupart des questions sociales et d'infrastructure au Canada. Aujourd'hui encore, nous devons faire face à des situations d'urgence majeures, comme la lutte contre les incendies de forêt. Une fois de plus, la conversation porte sur la manière de positionner les municipalités pour qu'elles puissent intervenir de manière plus complète, concevoir des politiques et répondre aux enjeux actuels. La fin des années 1990 et le tournant du millénaire ont donc débouché sur une gouvernance multiniveau.
[00:16:33 Une diapositive est présentée avec le titre « Multilevel Governance in Federal/Multi-tiered Systems – A Conceptual Framework » (Gouvernance multiniveau dans les systèmes fédéraux/multiniveaux – Un cadre conceptuel) au-dessus du texte suivant :
« Fédéralisme collaboratif traditionnel + nouvelle gouvernance publique et nouveaux instruments = gouvernance multiniveau »
« Fédéralisme collaboratif traditionnel
- Fédéralisme des sommets
- Accords de portée générale
- Cadres statiques
- Purement intergouvernemental
- Municipalités absentes »
« Nouvelle gouvernance publique et instruments
- Frontières institutionnelles fluides
- Accent sur les sous-systèmes des enjeux
- Partenariats interorganisationnels officiels et officieux
- Action concertée d'une constellation d'acteurs
- Prestation conjointe des ressources et définition des co-avantages
- Fonctionnaires dans le rôle d'entrepreneurs politiques »
« Gouvernance multiniveau
- Niveaux de juridiction distincts et réseaux qui se chevauchent
- Participation accrue des acteurs non étatiques
- Plus grande influence des municipalités en matière de politiques
- Capacité partagée de sanction et de coordination pour les entreprises conjointes
- Co-création de valeur verticale et horizontale »]
Toutefois, avec la gouvernance multiniveau, il y a eu une combinaison de deux types de traditions particulières. La gouvernance multiniveau n'a pas remplacé le fédéralisme collaboratif, mais l'a plutôt intégré, avec ce que nous appelons une nouvelle gouvernance publique. Je n'entrerai pas dans les détails des propriétés ou propositions clés de chaque approche, mais en plus du fédéralisme collaboratif traditionnel, vous avez la nouvelle gouvernance publique qui suggère, en fait qui rend légitime, la nécessité de frontières fluides entre les niveaux de compétence pour que l'on adopte une approche des enjeux des systèmes plus centrée sur les politiques. Autrement dit, il faut essayer de comprendre la configuration des acteurs clés dans un domaine donné de politiques, qu'il soit économique, social, environnemental ou écologique, et extraire les acteurs clés sur les plans fédéral, provincial et local ou municipal, mais aussi les acteurs non étatiques, et voir dans quelle mesure, en fait, ils interviennent dans ce domaine de politiques.
Cela signifie aussi, par extension, que l'on se concentre sur des partenariats interorganisationnels officieux qui transcendent souvent les limites des compétences ou même le domaine des secteurs public et privé, et la nouvelle gouvernance publique repose sur un ensemble d'hypothèses et, en quelque sorte, de prescriptions concernant la coopération en matière de ressources, l'élaboration de co-avantages, en d'autres termes, un ensemble d'idées sur la manière dont les différents ordres de gouvernement collaborent, mais aussi sur la manière dont ils collaborent avec les acteurs non étatiques dans la conception et la mise en œuvre de certains types de politiques.
Mais ce qui me passionne le plus en tant que spécialiste de la gestion publique, c'est que la nouvelle gouvernance publique définit, en fait, une vision de l'employé du secteur public, du fonctionnaire, dans le contexte de la gouvernance en tant que leader, un entrepreneur politique qui navigue entre les limites, en mobilisant différents types d'acteurs. Autrement dit, il ne s'agit pas de rester dans le domaine fédéral, provincial ou local, mais plutôt de la façon de collaborer avec des acteurs au sein de la constellation d'un domaine de politiques afin d'élaborer des idées de politiques ou de concevoir des politiques à travers les différentes limites administratives. Ainsi, la notion de [inaudible] de politique est une sorte de passeur de frontières, quelqu'un qui peut naviguer à travers les différentes frontières du monde, et en combinant le fédéralisme collaboratif avec une nouvelle gouvernance publique, on obtient la nouvelle gouvernance publique ou plutôt la gouvernance multiniveaux.
Le principe clé de la gouvernance multiniveau figure ici en bleu. Je n'entrerai pas dans les détails, mais l'idée est la suivante : envisageons la gouvernance multiniveau dans le contexte du fédéralisme comme un concept qui sert à concevoir et à mettre en œuvre des politiques au moyen de partenariats multiniveaux et de mécanismes de collaboration qui vont au-delà des strictes dispositions de la Constitution pour travailler de concert avec les principales parties prenantes dans le domaine des politiques. Je voudrais à présent dépasser le stade de l'abstraction et du concept, et présenter plus concrètement deux exemples que j'ai étudiés ces dernières années pour m'aider à comprendre comment la gouvernance multiniveau se manifeste au Canada.
L'une des choses que j'ai étudiées est l'initiative des Grappes d'innovation mondiales. La plupart d'entre vous se souviendront qu'il s'agissait au départ de l'Initiative des Supergrappes d'innovation, dans le cadre de laquelle cinq supergrappes ont été créées. L'origine de cette initiative repose sur une collaboration provinciale-fédérale concernant la conception des politiques d'innovation du Canada, et le plan consistait essentiellement à faire appel à des acteurs non étatiques qui serviraient d'intermédiaires, qui franchiraient en quelque sorte les limites dans l'exécution des politiques.
L'une des supergrappes que j'ai étudiées est la grappe des industries des protéines. Ainsi, à partir de cette sorte d'accord provincial et fédéral sur la politique d'innovation au Canada, l'une des grappes d'innovation, la grappe d'innovation sur les protéines, sert d'institution intermédiaire transfrontalière fédérale-provinciale-locale, travaillant en étroite collaboration avec des agents du secteur public, mais aussi avec des partenaires de l'industrie pour exécuter le type précis de politiques dans le cadre de la conception de politiques d'innovation du Canada, et ce que j'ai suivi essentiellement avait pour but de comprendre comment maintenir une gouvernance coopérative multiniveau pour l'innovation en matière de politiques, pour la transcendance des frontières et pour le suivi et l'évaluation au-delà des administrations, qui sont en fait efficaces au sein des Grappes d'innovation mondiales.
Un autre exemple que j'ai étudié est celui du Partenariat canadien pour l'agriculture ou PCA. Comme vous le savez sans doute, nous sommes passés à la deuxième version du PCA, soit le Partenariat canadien pour une agriculture durable ou PCA durable. Fondamentalement, le PCA est simplement un accord fédéral-provincial-territorial sur la politique agricole, l'innovation agroalimentaire et sur les grandes étapes que le Canada devrait franchir sur une période de cinq ans, mais ce qui fait que cette politique est exceptionnelle, c'est qu'elle permet de concevoir une sorte d'accord ou d'ensemble de produits à livrer et de travailler avec des acteurs non étatiques comme intermédiaires pour collaborer à l'exécution ou à la prestation du PCA.
Ces acteurs non étatiques alignent généralement leurs stratégies sur les systèmes d'innovation agroalimentaire au niveau local, et ces systèmes d'innovation agroalimentaire sont ancrés dans les régions des municipalités de gestion, et ces municipalités harmonisent habituellement leurs stratégies avec celles de leur ministère agroalimentaire provincial, par exemple, en Ontario [inaudible]. Ainsi, l'exécution du PCA est une sorte de cadre général commun entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, mais en en ce qui concerne l'exécution, il y a une sorte de distribution des ressources aux acteurs non étatiques qui alignent leurs stratégies sur celles des municipalités, qui alignent leurs stratégies sur celles de leur organisme provincial. On obtient donc une configuration ou un contrôle complexe de la conception et de la mise en œuvre des programmes intergouvernementaux, qui est essentiellement fluide, adaptatif, pragmatique et très pratique.
[00:22:44 Une diapositive est présentée avec le texte « Key Takeaway – Emergent forms of intergovernmental arrangements constitute a shift from "layered cake" to "marble cake" federalism » (Enseignement clé – les nouvelles formes d'ententes intergouvernementales constituent un changement du fédéralisme en étages vers un fédéralisme marbré) au-dessus d'une image d'un gâteau en étages à côté d'un gâteau marbré. Texte sur le diagramme du gâteau en étages : « Avant – Fédéralisme en étages » « Les programmes et les pouvoirs sont clairement répartis entre le gouvernement national, les gouvernements des États et les administrations locales. » Texte sur le diagramme du gâteau marbré : « Actuellement – Fédération sous forme de gâteau marbré » « Les programmes et les pouvoirs sont mélangés entre le gouvernement national, les gouvernements des États et les administrations locales. »]
J'ai donc essayé de dégager quelques principes fondamentaux de cet accord, et les grandes conclusions, dont je vais vous faire part, sont les suivantes : vous avez une nouvelle forme d'accord intergouvernemental au Canada que l'on peut comparer au passage d'un gâteau à étages vers un gâteau marbré. Ainsi, lorsque j'examine ces deux exemples de la politique du Canada, c'est-à-dire les Grappes d'innovation mondiales et le Partenariat canadien pour l'agriculture, je constate que le fédéralisme se manifeste maintenant sous la forme d'un gâteau marbré plutôt que sous celle d'un gâteau à étages. Cette complexité pose des problèmes relativement à la reddition de comptes, mais en définitive, c'est la réponse à la complexité et aux nuances de la mise en œuvre d'ensembles précis de politiques dans ce nouveau contexte du XXIe siècle qui a mené à l'élaboration d'instruments adaptatifs de conception de politiques.
En conclusion, l'examen des réglementations intergouvernementales sous l'angle de la gouvernance multiniveau a plusieurs répercussions. Premièrement, nous devons comprendre que l'architecture de la fédération est souvent différente de la pratique réelle du fédéralisme. Ainsi, l'architecture de la fédération se trouve dans les articles 91 à 95 de la Constitution, et ce, à juste titre. Il s'agit d'une base, d'une architecture, mais nous devons aller au-delà pour vraiment comprendre les aspects pratiques de la conception et de la mise en œuvre des politiques au Canada.
Deuxièmement, j'utilise le mot « changement ». Mes collègues rejetteraient l'idée que l'on parle de « changement ». Je dirais donc qu'il faut élargir notre analyse pour passer de l'analyse macro-institutionnelle statique selon laquelle le Canada est tel type de fédéralisme que l'on peut comparer au type australien et au type américain, et passer à des formes fluides et adaptatives de relations intergouvernementales au niveau méso, c'est-à-dire que si l'on considère le Canada comme une typologie parmi d'autres types, on passe à côté des nuances complexes au sein des domaines de politiques.
Une autre répercussion consiste à prendre les municipalités plus au sérieux alors que nous faisons face aux défis de la crise du logement au Canada, de l'itinérance au Canada, des changements climatiques, de l'immigration, de la lutte contre les incendies de forêt, des municipalités, de la politique des transports, et j'en passe. Les municipalités sont en première ligne pour faire face à ces complexités et pour repenser l'architecture du fédéralisme, la pratique du fédéralisme, afin de les intégrer. Si, en principe, elles sont des créations des provinces, dans la pratique, elles sont en première ligne, et elles sont souvent les responsables, elles doivent relever la plupart des défis auxquels nous sommes confrontés sur les plans économique, social ou relativement aux infrastructures et à d'autres types de problèmes.
Enfin, je souhaite conceptualiser les relations intergouvernementales en allant au-delà des relations de gouvernement à gouvernement. Les deux exemples que j'ai donnés, qu'il s'agisse des Grappes d'innovation mondiales ou du Partenariat canadien pour l'agriculture, ont le mérite d'intégrer des acteurs non étatiques, y compris des partenaires industriels dans certains cas, en tant que co-responsables de la mise en œuvre. Maintenant, bien sûr, ils travaillent avec différents acteurs du secteur public. Le secteur public est responsable de la reddition de comptes, mais la conception et la mise en œuvre doivent intégrer des acteurs non étatiques, ce qui signifie que nous devons repenser le fédéralisme au-delà d'un simple accord de type gouvernement à gouvernement.
Enfin, il faut envisager le fédéralisme comme une sorte de sous-système politique transfrontalier complexe et adaptatif. J'utilise le mot « sous-systèmes » au pluriel, c'est-à-dire différents types de sous-systèmes de politiques qui fonctionnent dans différents types de domaines de politiques et qui constituent une riche mosaïque du fédéralisme, même au sein du Canada seulement. Mais en fin de compte, ces sous-systèmes ont tous un point commun. Il s'agit de mener des mesures conjointes entre administrations en utilisant différents types d'instruments pour atteindre ces objectifs.
Merci.
Rupak Chattopadhyay : Merci, Charles, pour cette merveilleuse présentation très texturée, pour reprendre l'analogie des gâteaux. Je pense que vous avez très bien exposé les défis posés par le fédéralisme « marbré » que nous voyons non seulement au Canada, mais aussi dans d'autres parties du monde. Vous avez aussi souligné l'importance de réfléchir à l'interaction au sein du système fédéral plutôt qu'aux seules relations intergouvernementales, parce qu'il y a maintenant de nombreux acteurs en dehors des canaux gouvernementaux officiels. Enfin, et ce n'est pas le moins important, je pense que nous constatons dans de nombreuses régions du monde l'importance des municipalités, qui est devenue particulièrement évidente non seulement dans les pays fédéraux, mais aussi dans de nombreux États unitaires, au cours de la récente pandémie.
Je suis certain qu'il y aura de nombreuses questions sur lesquelles nous reviendrons dans un instant, mais pour l'instant, je vais me tourner vers Jennifer Wallner et l'inviter à faire sa présentation.
Jen, à toi.
Jennifer Wallner : Merci beaucoup. C'est un grand plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui avec vous tous.
Je tiens également à remercier l'École de la fonction publique du Canada de m'avoir invitée à participer à cette huitième session de la fantastique Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien.
[00:27:37 Une fenêtre de clavardage vidéo montre Jennifer Wallner.]
À l'instar de Rupak, je présente mon exposé sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anichinabé, un territoire situé à cheval sur la frontière de l'Ontario et du Québec.
Le peuple algonquin continue de vivre sur la rivière des Outaouais et ses affluents dans dix communautés. Sur la base d'un protocole signé en 2004, les Algonquins de l'Ontario, le gouvernement du Canada et le gouvernement de l'Ontario travaillent ensemble pour parvenir à un règlement de la revendication territoriale des Algonquins. Les négociations sur le traité en sont d'ailleurs à la phase finale. Ces négociations se déroulent dans le cadre des pratiques et des politiques modernes d'élaboration des traités, qui évoluent constamment. Je citerai ici la Politique collaborative de mise en œuvre des traités modernes du Canada : « intégrer pleinement les véritables relations de nation à nation, de gouvernement à gouvernement et entre les Inuit et la Couronne avec les partenaires autochtones signataires de traités modernes ». En offrant cette reconnaissance du territoire et en faisant référence précisément à la politique fédérale. Je souligne également une réalité fondamentale de ce pays. L'élaboration des politiques fait intervenir de multiples autorités gouvernantes, dotées de pouvoirs juridiques, représentant différentes nations, administrations et communautés qui, ensemble, font partie de la fédération canadienne.
Comme nous l'avons souligné tout au long de la série L'arbre vivant, le fédéralisme crée un environnement de possibilités, de contraintes et de complexités dans lequel les responsables politiques et les décideurs doivent travailler. Mais ce qui définit le fédéralisme, c'est plus qu'une division officielle des pouvoirs. Le concept de fédéralisme repose sur le double principe de gouvernement partagé et d'autonomie, selon lequel des communautés de personnes sont réunies sous un même cadre, tout en exerçant leur autonomie de manière à ce que chacune d'entre elles dispose de son propre droit à l'autodétermination.
Gouverner est toujours un défi. Toutefois, ces défis sont amplifiés dans les fédérations libérales, démocratiques et multinationales dont les unités constituantes sont dotées de pouvoirs forts et dont les membres disposent de pouvoirs renforcés par des traités et des revendications territoriales. Ces fédérations sont unies sur un vaste territoire au moyen d'institutions, mais présentent d'importantes différences en matière d'identités, de profils socioéconomiques, de ressources et, en fait, de compréhension fondamentale de la fédération elle-même et de son mode de fonctionnement. Toutefois, ce qui est perçu comme des défis peut aussi être considéré comme des occasions lorsqu'il est reconnu et compris, en particulier dans les différents domaines des politiques publiques.
Mais, pour que cela soit possible, nous devons favoriser la collaboration entre les acteurs en amont et en aval, y compris les représentants élus, les gestionnaires publics, les prestataires de services, les groupes d'utilisateurs de même que les organisations d'intérêt et groupes de pression concernés. En outre, les consultations doivent être fondées sur la délibération afin de faire émerger les connaissances pertinentes, de stimuler les processus d'apprentissage mutuel et d'instaurer un climat de confiance et d'appropriation des nouvelles solutions. Comme je l'expliquerai aujourd'hui, une véritable collaboration est essentielle au sein de la Fédération canadienne. La collaboration ne doit pas être un mot lancé à la légère sans que de véritables gestes soient posés.
Je pense qu'il y a également quatre éléments à prendre en compte pour parvenir à de véritables accords de collaboration en matière d'élaboration des politiques dans la pratique. Il s'agit d'arrangements non hiérarchiques, de liens de confiance, de partage de l'information et de ce que l'on peut appeler familièrement la collaboration de bout en bout. Comme je l'expliquerai aujourd'hui, les fonctionnaires jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre de chacun de ces points. Ils aident à mettre en place des processus, à réunir les bonnes personnes autour de la table et à favoriser les dialogues nécessaires pour tirer parti des possibilités offertes par le fédéralisme du Canada. D'aucuns pourraient se demander pourquoi il est important de réfléchir à ces questions lors de l'élaboration de politiques. Les politiques ne sont-elles pas simplement là pour modeler les comportements et atteindre les objectifs au moyen d'instruments efficaces? Pourquoi est-ce que je parle d'idées et d'identités?
Parce que je crois et, en fait, je ne fais pas que le croire. C'est un fait avéré. Les politiques, leur élaboration, les processus de mise en œuvre qui les concrétisent et les résultats qui en découlent sont des représentations tangibles de l'expression de la volonté de la population telle qu'elle est canalisée par les décideurs politiques, informés et soutenus par le travail des fonctionnaires. Pour fonctionner, les politiques doivent donc être légitimes et élaborées de manière à respecter et à refléter la réalité, à savoir que le Canada est un pays composite qui n'est pas réellement configuré de manière hiérarchique, malgré ce que certains peuvent penser, et qu'aucun gouvernement ne peut s'exprimer unilatéralement sur tous les aspects de la vie des citoyens. Les besoins des citoyens de toute la Fédération ne peuvent être satisfaits que si leurs aspirations sont réalisées dans le cadre d'une véritable collaboration en matière de politiques publiques. Le fédéralisme n'est pas un jeu à somme nulle, et la collaboration ne nécessite pas, et ne devrait pas nécessiter, de sacrifices importants et illégitimes au principe de l'autonomie au profit du gouvernement partagé.
Dans la présentation d'aujourd'hui, j'aborderai trois points. Je commencerai par la Constitution et son importance pour la dynamique de l'élaboration des politiques au Canada. Je décrirai ensuite la profonde interdépendance de la Fédération canadienne qui requiert la consultation de plusieurs administrations, malgré la division officielle des pouvoirs. Je conclurai par une analyse de certaines pratiques et dispositions qui facilitent la collaboration et par le rôle que les fonctionnaires peuvent jouer. Tout d'abord, la Constitution. Le modèle de fédéralisme qui a inspiré les rédacteurs de la Constitution du Canada en 1867 repose sur l'idée d'attribuer des compétences distinctes et de les confier à l'un des deux ordres de gouvernement, le gouvernement central à Ottawa détenant certaines compétences, les autres compétences relevant des gouvernements provinciaux, et maintenant, par convention, des gouvernements territoriaux. Chaque ordre de gouvernement est responsable et doit rendre compte de ses actions dans ses domaines respectifs à des électorats différents. Ce modèle a été considéré comme présentant deux avantages indéniables. Tout d'abord, il a permis de reconnaître et de préserver des domaines d'autonomie pour l'avenir. Les membres de la Fédération nouvellement formée, en particulier dans les secteurs qui étaient importants pour les représentants des colonies dans les années 1860, y compris les hôpitaux, l'éducation, les municipalités, les terres publiques, la constitution de sociétés, les ressources naturelles, ont établi un gouvernement commun général, un gouvernement central, qui était alors appelé gouvernement du Dominion du Canada, qui allait pouvoir faciliter l'établissement d'un marché commun, assurer la sécurité commune et aider à favoriser une force collective, ce qui aurait été irréalisable pour chaque membre constitutif pris isolément.
Autrement dit, sans la répartition des pouvoirs inscrite dans un document constitutionnel, le Canada, tel que nous le connaissons aujourd'hui, n'aurait jamais vu le jour. La deuxième raison pour laquelle ce modèle apporte des avantages est qu'il est considéré comme une approche du fédéralisme qui allait maintenir une division claire des rôles et responsabilités et une hiérarchie des responsabilités. Des compétences ont été confiées au gouvernement fédéral, d'autres ont été confiées aux provinces. Pour décrire cette entente à l'époque, on utilisait la référence nautique des compartiments étanches. Cette conception constitutionnelle des compartiments étanches est fondée sur l'idée que chaque ordre de gouvernement doit exercer ses pouvoirs et travailler dans le cadre de ses compétences respectives, à l'abri de l'influence des autres. Les rédacteurs de la Constitution pensaient que cela permettrait d'avoir des gouvernements efficaces et responsables et n'avaient pas prévu que ces gouvernements séparés auraient besoin de travailler ensemble pour résoudre des problèmes communs, de mobiliser des ressources pour garantir des avantages collectifs ou de s'engager formellement dans des relations.
En toute honnêteté, lorsque les hommes, lorsque le petit groupe d'hommes qui a conçu la Constitution du Canada travaillait, les rôles et les responsabilités de l'État ne ressemblaient en rien à ce qu'ils sont aujourd'hui. Il n'y avait guère de notion de filet de sécurité sociale, et l'empreinte de l'activité gouvernementale était plutôt limitée. Il n'était pas non plus question du déséquilibre vertical et budgétaire, dont il a été question lors de la troisième séance de la série. Les soins de santé, l'éducation, la garde d'enfants, les transports publics, le logement public, l'énergie, le développement des ressources naturelles et la lutte contre la pollution n'étaient même pas envisagés à l'époque comme ils le sont aujourd'hui. Par conséquent, les concepteurs de la Constitution du Canada étaient loin d'imaginer que la coopération, la coordination ou la collaboration entre les deux ordres de gouvernement au Canada seraient un jour nécessaires. Ce fait explique peut-être pourquoi aucune disposition visant à officialiser les arènes intergouvernementales n'a été incluse dans la Constitution. Les ordres de gouvernement travaillent dans leur domaine de compétence de manière largement indépendante. Les provinces ont en effet développé de formidables capacités.
En effet, il est nécessaire de souligner que les provinces sont à l'origine de nombreuses innovations politiques au Canada qui ont évolué vers des cadres pancanadiens globaux. De l'assurance hospitalisation en Saskatchewan à la garde d'enfants au Québec. On peut mentionner l'impôt sur le revenu, qui a d'abord été introduit par la province de la Colombie-Britannique, et la stratégie climatique de l'Alberta, qui a directement mené à l'accord pancanadien qui a suivi portant sur la croissance propre et les changements climatiques. Les législateurs provinciaux, soutenus par leurs fonctions publiques respectives, travaillant dans leurs domaines de compétence, contribuent à l'élaboration de politiques qui répondent aux besoins non seulement de leurs résidents, mais aussi de ceux qui vivent dans d'autres parties du pays. Ce qui m'amène au deuxième volet de ma présentation, la réalité de l'interdépendance. Comme Charles, je suis donc tout à fait convaincue qu'il ne suffit pas d'examiner un document constitutionnel pour savoir comment une fédération fonctionne dans la pratique.
Ainsi, bien que la Constitution soit structurée selon une séparation claire des pouvoirs, la réalité est que l'élaboration des politiques, qu'il s'agisse de leur production ou de leurs effets, relève rarement de pouvoirs clairement définis et codifiés il y a plus de 150 ans. En outre, les ressources et les capacités nécessaires pour relever un grand nombre de nos défis dépassent souvent celles d'un seul gouvernement, qu'il s'agisse des soins de santé ou de l'éducation, et les programmes et les pratiques qui ont obtenu de bons résultats grâce aux actions provinciales n'auraient pas été possibles sans les actions des provinces, soutenues financièrement par d'importants transferts fédéraux et le programme de péréquation.
Enfin, de multiples unités de gouvernance, y compris des municipalités dotées de pouvoirs distincts ou constituants, interviennent dans de nombreux domaines d'activité, du tourisme à l'agriculture, des pêches aux ressources naturelles, de la production et de la distribution d'énergie à l'immigration. Les décisions de l'un influencent les autres. Indépendamment de ce que notre ordre constitutionnel a tenté d'établir ou de ce que certaines personnes travaillant dans le pays peuvent croire. Le Canada n'est pas seulement un pays composite, mais une fédération interdépendante. Nos récentes expériences avec la pandémie de COVID-19 fournissent, je crois, un exemple convaincant de cette condition d'interdépendance.
Tout d'abord, la répartition officielle des pouvoirs entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux s'est traduite par des situations où; un seul gouvernement ne pouvait pas exercer une autorité complète sur les principaux leviers politiques nécessaires pour lutter contre la pandémie. Prenons l'exemple des vaccins. Le gouvernement fédéral était chargé d'approuver, puis d'acheter les vaccins pour le pays, tandis que les provinces, les territoires et les gouvernements autochtones étaient responsables de la distribution de ces vaccins aux personnes dont ils ont la responsabilité. Les autorités de santé publique locales et régionales, les gouvernements locaux et les autorités autochtones qui mènent des activités dans un cadre provincial et territorial ont également joué un rôle important dans l'élaboration et l'exécution des stratégies de distribution des vaccins à l'ensemble de la population.
Par conséquent, la mise en œuvre d'une stratégie vaccinale a nécessité la consultation et la coordination, voire la collaboration des décideurs et des responsables de la mise en œuvre au sein de différents organes de gouvernance pendant une période prolongée. Ensuite, d'un point de vue très factuel, la propagation d'une pandémie, les mesures nécessaires pour la combattre et les effets intentionnels et non intentionnels de ces mesures ne peuvent être contenus dans les limites politiques et administratives que nous avons établies pour nous aider à organiser et à structurer nos activités. Un suivi efficace de la COVID-19, par exemple, exige que les tests soient disponibles et que le public puisse y avoir accès, que les résultats des tests soient communiqués et que les données soient fournies de manière systématique et comparable. Toutefois, étant donné que chaque gouvernement provincial et territorial est responsable de l'élaboration de ses propres dispositions en matière de dépistage et de suivi, et bien que l'Agence de la santé publique du Canada apporte un soutien considérable, la Fédération dans son ensemble n'a pas mis au point de manière concertée un système coordonné de suivi des données de santé.
Nos informations sur les taux d'infection et de transmission de la COVID-19 au Canada sont donc incomplètes. Les décisions prises au sein d'administrations en particulier ont donc une incidence sur la qualité des données relatives à la pandémie elle-même. Parfois, ces effets peuvent être perçus de manière plus immédiate et directe, comme les décisions unilatérales prises par les provinces et les territoires pendant la pandémie de fermer leurs frontières intérieures aux voyageurs, restreignant ainsi la liberté de mouvement au nom de la santé publique. Les fermetures et les couvre-feux étaient également des décisions qui relevaient des provinces et des territoires. En conséquence, les familles canadiennes ont été séparées les unes des autres pendant des mois, ce qui a été considéré comme une contrainte acceptable par les administrations qui ont décidé de prendre de telles mesures, compte tenu de la situation du virus. Bien qu'il s'agisse d'un exemple important et visible, la pandémie de COVID-19 illustre les réalités institutionnelles et pratiques auxquelles les décideurs et les responsables politiques sont régulièrement confrontés au Canada.
De nombreux domaines d'activité politique transcendent les frontières et les cloisonnements des pouvoirs politiques et des pouvoirs d'enquête. La lutte contre les changements climatiques est un autre exemple parfait de domaine relevant de la compétence partagée entre les deux ordres constitutionnels de gouvernement, ce qui a également été confirmé par les tribunaux. La capacité du Canada à respecter ses accords internationaux dépend donc des engagements de tous les gouvernements et de l'élaboration et de la mise en œuvre de politiques qui relèvent directement de la compétence des provinces et des territoires. Les engagements sont toutefois difficiles à tenir si les objectifs ont été fixés unilatéralement par les uns et imposés aux autres. En outre, les conséquences des décisions prises par une administration dans le domaine de l'environnement se répercutent directement ou indirectement sur d'autres administrations. Enfin, l'évaluation des mesures visant à garantir la responsabilité et l'accès et à évaluer l'efficacité des interventions nécessite de la transparence de la part des décideurs, des modes collaboratifs de partage régulier de l'information et un suivi détaillé des résultats.
La collaboration n'est pas simplement une mode, un slogan ou une ère de la dynamique de l'élaboration des politiques au Canada. Il s'agit d'une nécessité concrète qui est difficile à réaliser. J'en viens maintenant au troisième volet de ma présentation, à savoir l'élaboration collaborative des politiques en soi. Des recherches considérables ont été menées pour expliquer pourquoi l'on dissuade si fortement la sphère politique canadienne de soutenir l'élaboration de politiques en collaboration. Tout d'abord, la fragmentation du système des partis et notre système électoral uninominal majoritaire à un tour qui génère artificiellement des gouvernements majoritaires entravent la collaboration entre les partis et les négociations entre les élus.
Ensuite, les ententes sur les relations intergouvernementales sont mal intégrées dans des cadres officiels. Les dirigeants politiques se réunissent en face à face de manière irrégulière et peu fréquente, dans de nombreux cas, uniquement lorsque le premier ministre fédéral ou les ministres fédéraux convoquent les réunions et fixent l'ordre du jour de manière essentiellement unilatérale. À cela s'ajoute un certain nombre d'actions et d'inactions du gouvernement fédéral, dont certaines décisions unilatérales ont eu des conséquences considérables pour les provinces et les territoires, comme le budget fédéral de 1995, dans lequel le gouvernement fédéral a délesté des secteurs importants, dont le logement, tout en établissant des réductions considérables des transferts fédéraux afin d'équilibrer le budget fédéral.
Cela a miné la confiance politique envers le système. Et bien sûr, les politiciens de tous horizons sont incités à rejeter la responsabilité sur les autres, car ils travaillent directement sous les yeux du public et visent à se faire réélire. Malgré ces freins considérables et variés à la collaboration, les citoyens canadiens ont clairement indiqué qu'ils souhaitaient que les gouvernements travaillent ensemble, et les fonctionnaires de toutes les administrations ont joué et continuent de jouer un rôle décisif pour rendre la collaboration possible et faciliter le dialogue entre les différents ordres de gouvernement au Canada. Charles vient de fournir une série d'études de cas détaillées, offrant divers exemples. Lors des entretiens que j'ai eus avec des fonctionnaires responsables des relations intergouvernementales, nombre d'entre eux ont cité comme exemples des domaines où; les efforts de coordination et de coopération ont porté leurs fruits tels que la transformation de la Prestation fiscale canadienne pour enfants, l'expansion récente des services de garde d'enfants à prix abordable, la reconnaissance des partenaires de même sexe et la suppression des obstacles restrictifs pour les parents LGBTQ+, l'évolution de la législation sur les espèces en péril et la réforme de la taxe de vente.
La collaboration dans l'élaboration des politiques est devenue un élément clé des études sur l'administration publique et une pierre de touche des relations intragouvernementales et intergouvernementales. Dans la plupart des démocraties libérales, elle est préconisée comme un moyen d'élaborer des politiques plus inclusives, mieux coordonnées avec les besoins des citoyens alignés sur les problèmes qu'elles sont censées résoudre et susceptibles d'être plus facilement mises en œuvre du fait de la participation d'un éventail beaucoup plus large d'acteurs en réseau. Il en ressort que quatre caractéristiques ont été retenues comme particulièrement importantes pour la mise en place d'un cercle vertueux. Ces quatre éléments que j'ai mentionnés au début de mon intervention ont servi de point d'ancrage à cette présentation. Il s'agit d'arrangements non hiérarchiques, de liens de confiance, de partage de l'information et de la collaboration de bout en bout.
Tout d'abord, rares sont les espaces où; un seul gouvernement détient à lui seul le pouvoir complet sur toutes les instances officielles qui permettent de traiter des problèmes de politiques. Cette condition prend encore plus de sens au Canada, où; la séparation étanche des pouvoirs signifie que différentes administrations contrôlent des champs de compétence qui doivent être mis à profit pour résoudre la plupart des problèmes. En outre, dans de nombreux domaines d'activité politique, en particulier ceux liés aux politiques sociales et au marché du travail, les pouvoirs sont détenus par les provinces, de sorte que le gouvernement fédéral ne peut pas et ne doit pas essayer de diriger de manière hiérarchique. En tant que fonctionnaires, vous avez la possibilité de mieux comprendre la répartition des pouvoirs, son fonctionnement ainsi que les positions et les efforts des gouvernements provinciaux et territoriaux, lorsqu'un ministre fédéral leur demande de participer à des travaux dans un domaine de politique.
Deuxièmement, il y a les liens de confiance, qui naissent de contacts réguliers et fréquents et d'une communication franche. Ce qui est ironique, car je parle à un mur noir en ce moment et je ne vous vois pas tous. Toutefois, c'est ici que les tables intergouvernementales consacrées à des secteurs en particulier jouent un rôle important. Contrairement aux événements très médiatisés comme les réunions des premiers ministres, par exemple, les tables sectorielles se réunissent plus fréquemment et s'appuient sur la mobilisation permanente de fonctionnaires dévoués pour assurer le bon fonctionnement de la Fédération. Il est vrai que nos tables intergouvernementales mériteraient une certaine attention et une nouvelle configuration. Mais en tant que fonctionnaires, vous pouvez néanmoins créer des réseaux au sein du gouvernement fédéral et parmi vos homologues provinciaux et territoriaux qui peuvent contribuer à établir des liens de confiance réciproque.
Troisièmement, il y a le partage de l'information. Il s'agit indéniablement d'un domaine dans lequel le Canada a beaucoup de travail à faire. Notre pays a reçu de mauvaises notes de la part des universitaires et des acteurs de la société civile en ce qui concerne la transparence et l'accès à l'information. Je pourrais utiliser de nombreux mots descriptifs colorés, mais permettez-moi de vous donner un exemple. Les tables intergouvernementales que je viens d'évoquer fonctionnent presque entièrement à huis clos et sont réservées aux seuls dirigeants politiques et aux plus hauts fonctionnaires. Les communiqués publics sont peu fréquents et exceptionnellement vagues sur le fond. D'un point de vue plus général, de nombreux obstacles au partage de l'information ont été érigés par divers gouvernements et autorités publiques à tous les niveaux et dans tous les ordres de gouvernement, afin d'empêcher l'accès à l'information en provenance d'autres administrations et, de surcroît, au sein même de leur propre gouvernement. En empêchant l'accès à d'autres fonctionnaires travaillant au sein du même gouvernement. Pour favoriser la collaboration, il faut s'attaquer à cette pratique du secret, qui est décomplexée et sans doute antidémocratique.
Quatrièmement, et c'est peut-être le plus important, il y a ce concept de collaboration de bout en bout. Cela signifie que, dès qu'une idée germe dans l'esprit d'un ministre, vous, en tant que fonctionnaires, devez veiller à ce que les parties en cause dans l'initiative soient associées dès le départ et participent tout au long du processus d'élaboration de la politique. L'importance de l'engagement de bout en bout a encore plus de sens dans une fédération multinationale caractérisée par une délimitation stricte des pouvoirs et une compréhension contestée de la fédération elle-même, comme c'est le cas au Canada. En tant que fonctionnaires, vous restez plus longtemps à votre poste, à l'abri du cycle électoral, et vous pouvez donc acquérir une expertise approfondie dans votre domaine que ce que la plupart des hommes politiques ne pourront jamais atteindre. Vous pouvez également créer de meilleures structures pour participer à des détachements et affectations sous forme d'échanges à plus long terme, pour travailler dans les bureaucraties d'autres fonctions publiques dans le pays.
Cela peut permettre une plus grande perspective de résolution des problèmes dans les négociations, tout en permettant d'acquérir une sensibilité aux façons dont les perspectives idéologiques des politiciens influencent les types d'instruments qu'ils préféreront et les types de réponses aux problèmes qu'ils privilégieront. Vous êtes d'honnêtes représentants qui apprécient encore la confluence des idéologies, des valeurs et des conceptions du rôle légitime de chaque ordre de gouvernement. Vous jouez donc un double rôle en formulant des recommandations qui sont à la fois techniquement réalisables et politiquement acceptables, de sorte que les politiques issues des processus de collaboration soient non seulement efficaces, mais aussi légitimes. Certes, notre Constitution a peut-être été rédigée il y a plus de 150 ans par un petit groupe d'hommes qui ne pouvaient pas prévoir nos réalités contemporaines et qui pensaient que des compartiments étanches étaient la solution.
Des rôles et des responsabilités bien définis ont pu être envisagés, qui ne nécessiteraient pas de dialogue entre les différents ordres de gouvernement, et des mesures dissuasives réelles ont bien été mises en place pour décourager quiconque tenterait de combler ces fossés. Mais la résilience de la Fédération canadienne, alimentée en partie par le dévouement et la sagesse des fonctionnaires, a rendu possible la collaboration entre les administrations, en plus d'en faire une caractéristique essentielle de l'élaboration des politiques dans ce pays. Depuis 1867, nous pouvons continuer à stimuler l'innovation politique et à créer des réponses dynamiques à des défis urgents et persistants en établissant des accords non hiérarchiques, en garantissant des liens de confiance, en communiquant l'information et en nous engageant à collaborer de bout en bout. Je vous remercie de votre attention et je répondrai volontiers à vos questions.
Rupak Chattopadhyay : Merci Jen pour cette présentation très détaillée. Vous m'entendez? Vous m'entendez? Oui. D'accord, merci. Désolé. Non, merci beaucoup d'avoir abordé ce sujet. Je pense que vous avez mis le doigt sur un point très important, à savoir l'importance de la collaboration et de la coopération au sein de notre système, même si, d'un point de vue constitutionnel, nous sommes censés travailler dans des compartiments étanches.
Je pense que depuis les années 1980 au moins, il est très clair que sans collaboration, il n'est pas possible d'atteindre les résultats en matière de bien-être que les politiciens et les fonctionnaires envisagent pour le pays. Je pense qu'il est très clair, vous avez fait des liens très clairs sur la façon dont cette collaboration a mené à des résultats politiques très positifs ces derniers temps. Mais je pense que vous avez également soulevé un point très important, à savoir que lorsqu'il n'y a pas de collaboration, lorsqu'il n'y a pas de coordination, les résultats peuvent être très, très décevants. Je suis sûr que beaucoup de nos participants aujourd'hui, en tant que personnes, vivent cette situation, où; d'un côté nous augmentons notre population d'au moins un demi-million de personnes chaque année, mais nous n'avons pas assez de logements, nous n'avons pas assez de médecins. Il s'agit donc de différents ordres de gouvernement qui sont responsables de ces différents éléments. Et quelque part, il y a un processus de coordination qui n'est pas encore tout à fait au point. En tant que Canadiens, nous vivons donc ces réalités. Le fédéralisme est, je pense, tellement ancré dans la façon dont nous fonctionnons en tant que nation, dans la façon dont nous pensons, qu'il imprègne tous les aspects de la vie au Canada.
Sur ce, je vais passer à une brève discussion de groupe. J'ai quelques questions pour Charles et Jen, puis nous passerons aux questions du public. Charles, ma première question s'adresse donc à vous. Vous avez dit que la gouvernance multiniveau est différente des formes traditionnelles de relations intergouvernementales dans le contexte canadien. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
Charles Conteh : Certainement. Merci Rupak, je suis heureux que vous posiez la question, parce que vous me donnez l'occasion d'étoffer certains points que je n'ai pas eu l'occasion de développer dans ma présentation précédente. Juxtaposer les niveaux multiples à ce que nous appelons le fédéralisme collaboratif traditionnel, c'est comprendre la nécessité de la complexité ou de l'acceptation de la complexité. Si l'on se réfère à la Constitution en tant qu'architecture du fédéralisme collaboratif, il s'agit de demander comment pouvons-nous obtenir une compétence exclusive? Qu'il s'agisse d'une province, d'un responsable politique, l'article 91 prévoit que j'ai une compétence exclusive dans cet ensemble de domaines, et l'article 92 que c'est la province qui a cette compétence. Nous avons une compétence exclusive dans ce domaine. Comment pouvons-nous, en fait, avancer et mener une action concertée? Il en résulte généralement une sorte de fédéralisme de sommet ou de haut niveau. Jen en a parlé en détail : il s'agit d'accords-cadres généraux qui sont opaques, qui sont élaborés derrière des murs sombres et dont l'exécution prendra des années.
C'est une question litigieuse, un défi, alors que la gouvernance multiniveau aborde la conception, la mise en œuvre, la nécessité de réseaux qui se chevauchent dans les différents niveaux de compétence, de la nécessité d'inclure et de faire participer les acteurs non étatiques. Nous avons des citoyens très éduqués qui souvent peuvent faire partie de groupes de la société civile, de groupes de réflexion et d'autres types d'acteurs non étatiques qui incarnent en fait la connaissance, l'expertise dans un domaine politique donné, que ce soit l'énergie, l'innovation, les changements climatiques, etc., et nous sommes en mesure d'intégrer ces acteurs, ces acteurs non étatiques dans ces espaces plus transparents et, en fin de compte, de respecter et de reconnaître le rôle des municipalités et d'en tirer parti. Dès la conception initiale du fédéralisme régional, les municipalités étaient tout simplement inexistantes, elles sont arrivées par la suite. Nous savons, et Jen en a parlé, qu'au cours des dernières décennies, nous avons pris conscience du fait que les municipalités sont en première ligne des mesures prises pour relever nos principaux défis, de l'immigration au logement et à l'itinérance, en passant par les urgences majeures telles que la lutte contre les incendies et autres.
Et comment repenser et redéfinir la structure même de l'élaboration et de la mise en œuvre des politiques pour tenir compte de la réalité du rôle des municipalités? Et je ne parle pas seulement des grandes municipalités comme Toronto, Montréal, Vancouver et autres, mais aussi des petites et moyennes municipalités. Le Canada est une nation de régions. Si d'autres nations européennes peuvent se targuer d'une longue histoire, le Canada peut s'enorgueillir d'une vaste géographie. Les municipalités fournissent donc ces liens, cette constellation d'idées différentes, de cultures différentes, de systèmes de valeurs différents, de visions différentes, d'expérimentations en matière d'approches politiques différentes, et comment les incorporer dans notre conception de politiques générales pour relever les défis actuels? La gouvernance à multiniveau porte…
Rupak Chattopadhyay : Non, non, c'est une excellente transition parce que je veux juste que vous reteniez votre idée parce que la question que j'allais poser à Jen était, étant donné les recherches de Jen et son travail au sein des affaires intergouvernementales, comment pensez-vous que l'on pourrait incorporer clairement les deux tendances? Comme Charles vient de le souligner, et comme vous l'avez fait aussi, et je pense que nous tous dans l'espace du fédéralisme reconnaissons que l'une d'entre elles est la montée des acteurs non étatiques. La société civile est un acteur très important dans l'espace politique, mais aussi dans l'essor des municipalités. Comment pensez-vous que la table intergouvernementale pourrait intégrer cette réalité? Allez-y.
Jennifer Wallner : Il s'agit donc d'une question vraiment épineuse pour laquelle je suis actuellement en train d'élaborer une demande de subvention avec mon collègue André Lecours, afin d'aborder précisément certaines de ces questions, car bien entendu, les provinces ont leurs propres dispositions au sein de leurs gouvernements qui sont censées faciliter la consultation des municipalités. Leur position est que seule la province est responsable de parler au nom des municipalités dans leurs relations avec le gouvernement fédéral. Donc, comment pouvons-nous aller au-delà de cela? Je pense que les tables intergouvernementales elles-mêmes seront mieux utilisées, car il y a bien sûr une distinction entre ce que le monde politique dit à propos de quelque chose et ce que vous, en tant que fonctionnaires, pouvez faire, pour des relations plus harmonieuses. Ainsi, on peut commencer à voir des expériences où; l'on dit à la province de l'Alberta : Pour cette réunion sur l'environnement, nous aimerions également entendre les villes de Calgary et d'Edmonton. Seriez-vous en mesure de les amener à la table et de communiquer efficacement entre nous, comme point de départ? L'idéal serait alors d'évoluer vers un monde où; un plus grand nombre de ces représentants seraient présents à la table du forum intergouvernemental. Telle serait ma réponse.
Rupak Chattopadhyay : C'est très intéressant. Je reviendrai en détail sur la question des municipalités dans une minute, mais étant donné ce que vous dites, alors que je [inaudible] porte mon chapeau de représentant de la Fédération, il y a deux expériences ou approches très intéressantes que je voulais juste souligner pour l'auditoire, et quelque chose que vous connaissez peut-être tous les deux. Comme vous le savez, les Australiens avaient ce qu'on appelle le COAG, le Conseil des gouvernements australiens, qui regroupe le gouvernement du Commonwealth et les gouvernements des États, et qui s'appelle maintenant le Cabinet national, mais ce qui est intéressant, c'est qu'à toutes les réunions du COAG, il y a aussi un représentant de l'Association australienne des collectivités locales qui, en tant qu'observateur, veille à ce que la voix des municipalités soit entendue à la table des négociations. Une expérience plus récente à laquelle le forum participe consiste à conseiller la présidence brésilienne dans la mise en place d'un nouveau conseil de fédération au Brésil, qui ne comprend pas seulement les États, mais aussi, comme l'a souligné Charles, trois associations municipales représentées, une qui représente les municipalités rurales, une qui représente les villes de taille moyenne et une qui représente les mégapoles comme São Paulo.
Parce que, à juste titre, je pense que vous avez dit que toutes les municipalités n'ont pas les mêmes problèmes et préoccupations, ni les mêmes intérêts. Je pense donc qu'il est très important de disposer d'un moyen différencié d'exprimer ou de réunir les intérêts au sein de cet espace. Charles, dans votre présentation, vous avez parlé, et pardonnez-moi si je vous cite mal, de sortir des structures rigides imposées par la Constitution, mais il y a aussi des contraintes réelles que la Constitution impose aux municipalités. Ainsi, dans le contexte des municipalités qui n'ont pas d'autorité constitutionnelle, mais qui sont en même temps en première ligne pour la prestation de services, comment concilier ce manque d'autorité avec le rôle important, et de plus en plus important, qu'elles jouent dans la prestation de services?
Charles Conteh : C'est une excellente question, Rupak, et l'exemple qui me vient à l'esprit lorsque j'y pense est celui des agences de développement régional, les ADR, au Canada. Ainsi, à un niveau élevé, les ADR sont des agences fédérales chargées de travailler avec différentes provinces et dans différentes régions du Canada, de distribuer certaines ressources et d'attribuer certains programmes, mais le génie de leur approche, je pense, témoigne vraiment de l'esprit d'entreprise en matière de politique, du leadership des fonctionnaires au niveau de l'administration. Parce que, oui, leur conception ou plutôt leur mandat est de concevoir l'ensemble des programmes et de les mettre en œuvre, mais je donnerai aussi un exemple, FedDev ici en Ontario ou FedNor, l'une des deux agences en Ontario, mais je donnerai aussi un exemple de ce qui était autrefois l'agence Diversification de l'économie de l'Ouest Canada. Elle est aujourd'hui répartie entre deux agences différentes.
Il s'agissait essentiellement d'aligner la mise en œuvre des programmes sur les municipalités en encourageant les groupes du secteur privé à travailler avec les municipalités dans le cadre de leur stratégie d'innovation régionale, parce qu'elles disposaient de ce type de programmes appelés systèmes d'innovation régionaux. Les municipalités ont donc été constituées en partenariat avec le secteur privé pour proposer des programmes aux agences de développement régional en matière de financement ou de collaboration sur trois ou cinq ans. Ainsi, je pense que l'aspect génial des ADR se trouve dans le fait que, dans la conception de leurs programmes, elles prennent en compte les municipalités et, souvent, leur stratégie de développement économique, leur stratégie d'innovation, leur stratégie industrielle, et elles encouragent les acteurs du secteur privé à tirer parti de ces stratégies, à faire appel aux municipalités pour concevoir des programmes ou des idées avec lesquels les ADR peuvent travailler. Pour moi, c'est un brillant exemple d'entrepreneuriat politique, de gouvernance, de leadership qui peut fixer des limites et, franchement, permettre de relever de manière pragmatique les défis du fédéralisme.
Rupak Chattopadhyay : Merci. Merci, Charles.
Pour poursuivre la pensée de Charles, Jen, vous avez parlé de l'importance des modèles de politique et d'administration publique qui ont une incidence sur la manière dont la collaboration se développe ou non au pays. Selon vous, quelles sont les tendances qui pourraient intensifier les défis en matière de collaboration et de coopération?
Jennifer Wallner : Oui, je peux en parler. Je pense donc que l'intensification de la politisation du secteur public, et plus particulièrement les changements et l'expansion du rôle des collaborateurs politiques, les points d'accès qu'ils ont aux ministres et le contrôle qu'ils exercent sur ce que voit un ministre, sont tout à fait spectaculaires. Et bien sûr, en disant cela, je ne veux pas jeter l'opprobre sur les membres du personnel politique très dévoués qui contribuent également au fonctionnement de ce pays. C'est seulement que les membres du personnel politique n'ont qu'une idée en tête, à savoir la réélection ultérieure et réussie de leur gouvernement ou de leur représentant, alors que la coordination dans une fédération comme la nôtre exige de sortir de cette sorte de configuration étroite et cloisonnée de « voici mes aspirations politiques » et de commencer à voir que, encore une fois, nous sommes un pays composite, et que, par exemple, lorsque nous entendons constamment l'Alberta et d'autres gouvernements dire que nous devons nous en tenir à nos compétences, eh bien, ces compétences ne sont pas réelles en termes pratiques, et en essayant de s'en tenir à nos compétences, on sape non seulement le pays, mais aussi sa propre administration, n'est-ce pas? Si le gouvernement fédéral décide d'intervenir de manière trop unilatérale dans un domaine, il sapera ses efforts.
Ainsi, lorsque le premier ministre Harper a tenté de créer un marché commun et de l'imposer de manière un peu hiérarchique, il a été immédiatement repoussé par les provinces, puis rejeté par la Cour suprême du Canada. De même, lorsque les provinces essaient de penser qu'elles peuvent simplement faire avancer quelque chose sans s'engager avec leurs autres voisins, comme dans le cas des relations entre l'Alberta et la Colombie-Britannique au sujet des oléoducs, nous constatons que cela a des conséquences néfastes. Nous devons donc essayer de trouver un moyen d'encourager la sphère politique à commencer à voir ces éléments dans différents concepts et compréhensions du fédéralisme, et c'est aussi là que, très franchement, je pense que les universités jouent un rôle important dans ce domaine. J'entends parfois dire que le fédéralisme est un jeu à somme nulle, et je tiens à dire que ce n'est pas le cas. En réalité, rien ne l'est dans la vie, à moins que vous ne pensiez en termes très étroits. Je pense donc que si nous commençons à changer la façon dont nous enseignons ces choses, si nous changeons la façon dont nous les exprimons, nous pourrons continuer à avancer dans le sens souhaité par les Canadiens.
Rupak Chattopadhyay : Je pense que c'est un point très important à souligner. Je veux dire que l'une des raisons pour lesquelles, historiquement, les pays et les fédérations sont soit très grands soit très complexes est que c'est la seule façon de les gouverner, et c'est pourquoi le fédéralisme devient si central, et je pense que vous avez tout à fait raison et j'ai également vu ce point de vue où; les gens se concentrent beaucoup trop sur l'aspect d'autonomie du fédéralisme et pas assez sur l'aspect planifié des choses, et le fédéralisme touche ces deux aspects. Si vous mettez trop l'accent sur l'un de ces aspects, alors vous avez quelque chose de dysfonctionnel, n'est-ce pas? Qu'il s'agisse d'autogestion ou de gouvernement partagé, si l'on accorde trop d'importance à l'un de ces aspects, le système devient dysfonctionnel.
Je remercie les membres du groupe d'avoir répondu à mes questions. Nous avons quelques questions du public, je vais donc m'adresser à eux. Nous avons cinq questions. Certaines d'entre elles sont précises et d'autres sont ouvertes à tous les deux. La première question s'adresse donc à Charles. Comment convaincre les provinces d'aller au-delà de leurs compétences constitutionnelles dans le domaine de la politique énergétique afin de créer des solutions pancanadiennes pour contribuer à la lutte contre les changements climatiques?
Charles Conteh : C'est une excellente question.
Rupak Chattopadhyay : Désolé, Charles, avant que vous ne commenciez à parler, je vous demanderais de limiter la durée de vos réponses à environ deux minutes, si vous le pouvez.
Charles Conteh : J'essaierai de le faire.
Rupak Chattopadhyay : Merci.
Charles Conteh : Pour un professeur, c'est tout un défi de répondre dans ce laps de temps, mais plongeons donc dans le vif du sujet : la réalité est que la politique énergétique demeure l'une des principales énigmes au Canada. Soyons réalistes : la toile de fond de tout cela est l'idéologie et la politique, et certains espaces au Canada ont certaines convictions quant à leur avenir, leur intérêt économique, et ainsi de suite, mais je pense qu'un premier pas dans la conversation serait de reconnaître que notre destin est lié en tant que nation, économiquement et écologiquement. En fait, notre destin est lié à l'ensemble de l'humanité en matière de changements climatiques. Donc, pour en revenir à la Constitution, techniquement, les provinces auront le droit de se bomber le torse et de dire, « écoutez, en vertu de l'article 92, la politique énergétique m'appartient », mais les autorités fédérales reviendront et diront, « en vertu de l'article 91, nous avons l'obligation d'appliquer, d'exécuter toutes les obligations internationales que le Canada a contractées ». Depuis le Protocole de Kyoto jusqu'à l'Accord de Paris de 2015, il est de notre responsabilité d'intervenir dans tout domaine de politique concernant tout ce qui viole ces accords ou y contrevient.
S'il s'agit d'une conversation sur mes champs de compétence, ce serait une réponse à cette question, mais je pense qu'il s'agit, encore une fois, de comprendre par le prisme de la gouvernance multiniveau qu'il y a un ensemble de réalités pratiques concernant des réseaux de politiques qui se chevauchent. La politique énergétique, la politique sur les changements climatiques et la politique environnementale se chevauchent, les politiques de développement économique et la politique industrielle ou d'innovation se chevauchent, et il faut reconnaître ces réseaux qui se chevauchent et trouver des mécanismes de chevauchement des compétences et trouver un moyen de composer avec ces chevauchements. Quant à la gouvernance multiniveau, je n'entrerai pas dans les détails pour des raisons de temps, mais il s'agit de savoir comment concevoir une capacité partagée de sanction et de coordination pour les actions concertées dans le cadre d'une politique donnée. L'idéologie et la politique seront présentes, mais je pense qu'à un haut niveau de politique, en matière de conception des politiques et de mise en œuvre des programmes, il s'agit de mécanismes par lesquels les fonctionnaires et les entrepreneurs du domaine des politiques pourraient élaborer ces accords de sanction et de coordination partagés pour les actions concertées. C'est possible si nous reconnaissons que notre destin en tant que nation et avec l'ensemble de l'humanité est lié sur les plans économique et écologique.
Rupak Chattopadhyay : Merci, Charles. La question suivante, Jen, est pour vous. La question est la suivante : comment l'évolution du fédéralisme canadien dans les années 1990 a-t-il influencé le développement des politiques sociales pour les groupes marginalisés tels que les Autochtones, les communautés noires et les immigrants? Quels sont les défis qui se sont posés et quelles approches alternatives pourraient renforcer l'équité dans les politiques adoptées en réponse à ces défis?
Jennifer Wallner : C'est une excellente question, et il est certain que les décisions qui ont été prises dans les années 1990, en particulier en Ontario, où; la responsabilité en matière de logement a été confiée au gouvernement de l'Ontario qui, sous Mike Harris, a ensuite transféré cette responsabilité aux municipalités, nous amènent à constater que les municipalités n'ont pas la capacité requise pour exécuter de véritables politiques de logement et politiques de logement social pour répondre aux besoins des citoyens. Cette situation est flagrante dans le pays. C'est une question que beaucoup de mes étudiants continuent à se poser. Alison Smith a également écrit un excellent livre sur ce sujet, pour les personnes intéressées, qui vient d'être publié par les presses de l'Université de Toronto. Je répète son nom, Alison Smith. Encore une fois, le défi au Canada est que c'est au niveau provincial que sont véritablement traitées ces questions d'équité et d'accès.
Nous pouvons avoir toutes les directives fédérales que nous voulons, par exemple, la DNUDPA, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Oui, le gouvernement fédéral l'a ratifiée. Cependant, presque tout relève de la compétence provinciale et tant que les provinces n'auront pas décidé d'agir dans ce domaine, il ne se passera pas grand-chose. Dans ces conditions donc, il est remarquable de constater que, grâce aux efforts et à l'intervention des acteurs non étatiques, des gouvernements autochtones et d'autres forces de mobilisation, que l'on soit parvenu à faire avancer les choses dans une certaine direction. Cela dit, le pays demeure divisé sur le plan racial en ce qui concerne l'équité en matière de maintien de l'ordre, de système pénal, de logement social, d'aide sociale et d'effets des changements climatiques. Ainsi, ce n'est que si nous nous présentons aux élections, si nous nous engageons en tant que fonctionnaires et si nous sommes prêts à favoriser une nouvelle façon de penser que nous resterons dans la même situation que celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement, qui n'est pas souhaitable.
Rupak Chattopadhyay : Merci beaucoup. La question suivante, qui s'adresse à vous deux, est la suivante : chacun d'entre vous pourrait-il donner un exemple précis de partenariat non étatique de conception et de mise en œuvre de politiques publiques au Canada? Donc, Jen, et puis Charles.
Jennifer Wallner : J'ai besoin de quelques instants de réflexion.
Rupak Chattopadhyay : D'accord, alors Charles, vas-y.
Charles Conteh : Il y a un exemple qui me vient immédiatement à l'esprit, et ce n'est pas un exemple parfait, mais il illustre bien la vision, c'est le Partenariat canadien pour l'agriculture, dont j'ai donné un exemple dans ma diapositive. En fait, la genèse et le processus qui ont finalement abouti à la conception de cette politique ont consisté en une vaste consultation de la part du gouvernement fédéral auprès d'acteurs non étatiques, en particulier de groupes industriels dans le domaine de l'agriculture, mais aussi auprès de groupes de réflexion, et la beauté de la chose est que certaines provinces, pas toutes les provinces, mais certaines provinces, mènent également de vastes consultations auprès d'acteurs non étatiques, de groupes industriels et d'autres groupes de citoyens, et ces consultations préalables ont en fait alimenté les discussions entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux qui ont finalement abouti à la première itération du PCA.
La deuxième version du PCA, le PCA durable, s'appuie sur cette vaste consultation préalable d'acteurs non étatiques. Je considère donc le PCA comme un exemple brillant, malgré quelques imperfections, de consultation d'acteurs non étatiques. D'ailleurs, certaines provinces collaborent étroitement avec les municipalités, car celles-ci sont préoccupées par les questions relatives aux bassins versants et aux écosystèmes, et par la manière dont l'agriculture affecte en fin de compte l'intégrité de ces bassins versants et de ces écosystèmes. Elles ont donc été appelées à participer à la réflexion sur l'avenir du PCA durable. Comment trouver un équilibre entre les intérêts de l'innovation agroalimentaire et l'intégrité des bassins versants et de tous les types d'écosystèmes? Les municipalités ont donc joué un rôle important dans cette conversation. Je considère donc le PCA et le PCA durable, qui en est la deuxième version, comme un excellent exemple d'élargissement des limites de la conversation relative à la conception et à la mise en œuvre d'une politique en matière de compétences.
Rupak Chattopadhyay : Merci, Charles. Jen.
Jennifer Wallner : L'une des raisons pour lesquelles il est difficile de trouver rapidement un exemple, c'est que, sans vouloir faire trop de théorie, la conception des institutions politiques du Canada et la logique du régime parlementaire freinent vraiment la capacité de collaboration parce que la collaboration, si nous l'entendons comme un engagement réel dès le début d'une idée de politique et tout au long de son cheminement dans le système, est un peu contraire à la façon dont la législation est produite et dont les cadres de politiques sont en quelque sorte élaborés. C'est pourquoi il est parfois difficile de concilier ces réalités dans le contexte actuel. Cela dit, il y a certainement des exemples.
Par exemple, je sais qu'en Saskatchewan, lors de l'élaboration des processus de consultation sur l'uranium, les groupes de parties prenantes, les communautés d'affaires et les communautés autochtones ont tous été consultés dans le cadre d'une vaste démarche de consultation. Je dirais, ici aussi, que la consultation n'est pas tout à fait la même chose qu'une véritable collaboration sur la politique qui en découle. Et bien sûr, la légitimité perçue du processus de consultation lui-même dépend de sa présence ou de sa transparence vis-à-vis du public tout au long du processus, ainsi que des politiques qui en découlent. Cela dit, dans le domaine de la politique énergétique, nous l'avons constaté, d'après ce que j'ai compris, dans la manière dont l'Alberta a élaboré sa stratégie climatique sous le gouvernement Notley. Dès le départ, des groupes industriels se sont engagés à développer et à produire cette stratégie climatique en collaboration. Voilà donc mes exemples.
Rupak Chattopadhyay : Merci. Par ailleurs, pour relever certains des défis auxquels nous sommes confrontés, qu'il s'agisse de la pénurie de médecins ou d'infirmières ou de la pénurie de logements, l'élaboration de la politique et sa mise en œuvre nécessiteront la consultation de groupes du secteur, car à moins que le gouvernement ne décide de créer un ministère chargé d'embaucher des médecins ou de construire des logements, ce qui se fait dans certains pays, mais qui ne s'est pas produit ici et qui a peu de chances de se produire ici, la mise en œuvre nécessitera la participation d'acteurs non étatiques. Charles.
Charles Conteh : Rupak, je voudrais juste intervenir rapidement et dire que je suis sensible à la question, qui porte en quelque sorte sur les grandes politiques et, pour l'essentiel, nous avons parlé de la conception de politiques, mais je constate que certaines des innovations les plus intéressantes en matière de partenariats au-delà des administrations au Canada ne sont pas tant au niveau des politiques de haut niveau, mais plutôt dans la conception et la mise en œuvre des programmes. La gouvernance multiniveau s'attache en quelque sorte à considérer les fonctionnaires comme des entrepreneurs dans la manière dont ils élaborent et conçoivent les politiques. Lorsque j'observe les idées des agences de développement régional, je constate qu'il s'agit d'une politique générale qui, de loin, se résume à une simple politique du gouvernement fédéral en faveur des régions défavorisées, sans plus.
Mais la manière dont cette politique a été conçue est essentiellement le fruit d'un accord intergouvernemental génial dans lequel on a fait participer les provinces, en particulier l'ancienne agence Diversification de l'économie de l'Ouest Canada. Les gouvernements des Prairies ont participé à l'accord. On a donc harmonisé les mesures fédérales sur les stratégies et les priorités provinciales, et lorsque l'on s'adresse au secteur privé, on les incite à travailler avec les municipalités parce que les municipalités ont leurs propres stratégies actives. Ainsi, lorsque je me penche sur la gouvernance multiniveau et que j'essaie de comprendre le fédéralisme, je me dis que la conception d'une politique générale ou de haut niveau est excellente, mais que la manière dont les fonctionnaires mettent en place des programmes, dont ils les mettent en œuvre, dont ils incitent les acteurs non étatiques à participer et à collaborer, dont ils font participer les municipalités, c'est pour moi là que se déploie discrètement l'ingéniosité des relations intergouvernementales.
Rupak Chattopadhyay : Absolument. Merci pour cette réponse, Charles. Je suis d'accord. Je suis tout à fait d'accord et je pense que Jen a également acquiescé, mais je pense que le niveau des programmes est particulièrement important.
Nous avons encore deux questions à poser, mais je rappelle également qu'il nous reste 10 minutes avant la fin du programme. La question suivante, Jen, s'adresse donc à vous. Que signifie l'utilisation croissante de la disposition de dérogation par certaines provinces pour l'état actuel du fédéralisme et la répartition appropriée des pouvoirs? S'agit-il d'une simple question politique ou de quelque chose de plus important?
Jennifer Wallner : La disposition de dérogation, pour ceux qui ne la connaissent pas, est l'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il s'agit essentiellement d'une sorte d'option de non-participation qui a été intégrée lors des négociations constitutionnelles parce que les premiers ministres provinciaux, en particulier, s'inquiétaient de la création d'une charte des droits qui allait limiter leurs pouvoirs et les empêcherait d'exercer leur autorité comme ils le souhaitaient. Nous avons donc créé la disposition de dérogation, qui ne s'applique qu'à certains articles de la Charte. L'un des exemples les plus connus de recours à la disposition est l'invocation de la disposition par le gouvernement du Québec, qui l'a appliquée à ses lois linguistiques. L'une des caractéristiques de la disposition de dérogation est qu'elle doit être renouvelée tous les cinq ans par le législateur ou le parlement qui l'a choisie. Ce mécanisme permet à la population de la province ou du pays de changer de gouvernement ou d'inciter le gouvernement à changer le recours à la disposition si la population de la province ou du pays ne souhaite plus le maintien de la disposition. C'est le raisonnement.
Maintenant, qu'est-ce que j'en pense pour le pays? Je pense qu'il y a de nouvelles tendances qui représentent des défis et qui sapent la notion de droits dans tout le pays et qui dégradent la compréhension des personnes dans des cadres provinciaux, et c'est préoccupant, en particulier parce que les provinces ont un pouvoir et une influence considérables et étendus sur leurs populations respectives. Il sera intéressant de voir comment nous arriverons à composer avec ce contexte difficile. Je n'essaie pas d'être vague. Cependant, il y a une dynamique différente qui se produit au Canada en ce moment, et quand je dis ça, ce n'est pas pour prétendre que nous n'avons jamais eu de dynamiques difficiles dans le passé et qu'il n'y a jamais eu de véritable politisation ni de violation des droits de toutes sortes, ce n'est absolument pas ce que je dis. Toutefois, je pense que nous assistons à l'essor de nouvelles activités dont nous devons tenir compte, et nous devons nous assurer de créer des espaces de délibération pour discuter de ces questions, au lieu de rejeter les actions et les activités des personnes qui ne partagent pas notre opinion et de les qualifier de personnes déplorables, pour reprendre l'expression utilisée aux États-Unis. Et nous devons essayer de trouver des moyens de transcender cette sorte de polarisation.
Rupak Chattopadhyay : Merci.
Une dernière question. Je pense que nous avons déjà abordé ce sujet, de différentes manières, lors de la discussion précédente, mais Charles, ceci s'adresse à vous. Quelle est l'influence de l'approche multiniveau et plus complexe de la gouvernance sur l'affectation des ressources dans les domaines tels que les soins de santé et l'éducation?
Charles Conteh : C'est une excellente question. Je pense qu'en fin de compte, la gouvernance multiniveau est une sorte de proposition générale qui répond à l'attente d'un partenariat entre administrations, à la manière de rassembler les acteurs de différents domaines. Pour ce qui est des domaines phares tels que les soins de santé, l'éducation et autres, je pense qu'il s'agit en fin de compte de reconnaître [inaudible] que les réseaux et les ressources se chevauchent entre les administrations et qu'aucun gouvernement ne peut s'attaquer seul à ces mastodontes, et qu'en fin de compte, il existe des mécanismes d'actions concertées entre les administrations, et je pense que pour reconnaître la nécessité de rassembler les ressources pour relever le défi, il faudrait trouver la plateforme qui permettra de collaborer. Les soins de santé constituent un défi majeur. C'est une énigme. Le système présente des failles. J'ose dire qu'il s'agit d'une urgence pour le Canada, compte tenu de la situation dans ce domaine politique. Je pense donc que certaines mesures sont prises.
Le gouvernement fédéral a réussi à collaborer avec ses homologues provinciaux et territoriaux pour parvenir à une entente générale en matière de santé. La Colombie-Britannique a déjà adopté cette entente, et toutes les provinces, d'après ce que j'ai compris, envisagent de le faire ou vont bientôt le faire. Il y a donc une certaine évolution dans ce sens et je pense qu'il s'agit de reconnaître la nécessité de réseaux, de plateformes et de ressources qui se chevauchent, ainsi que la réalité selon laquelle, indépendamment de ce que dit la Constitution sur le fait qu'il s'agit de votre compétence exclusive, vous n'avez pas les ressources – et je m'adresse à mes amis provinciaux – pour faire cavalier seul. Vous devez donc travailler avec votre homologue fédéral. Cependant, les autorités fédérales ont désormais l'humilité de reconnaître qu'elles ont peut-être le pouvoir de dépenser, mais qu'elles n'ont pas la compétence nécessaire pour imposer leur volonté à leurs homologues infranationaux. Ainsi, en reconnaissant ces réalités, face au défi que représentent les énormes fissures dans le système de soins de santé, je pense que nous pouvons créer des plateformes de réseaux qui se chevauchent et des ressources partagées pour y faire face. Je vois des signes de reconnaissance et j'espère que les choses évolueront dans ce sens.
Rupak Chattopadhyay : Merci beaucoup. Merci, Charles. Merci, Jen. Cela nous amène à la fin du programme. Je pense que des interactions comme celles-ci sont très importantes, à la fois pour ouvrir le dialogue entre les praticiens du fédéralisme, mais aussi pour nous faire réfléchir et nous amener à consulter davantage la communauté des praticiens.
Permettez-moi de conclure en remerciant l'École de la fonction publique du Canada d'avoir organisé cet événement. Je tiens tout particulièrement à féliciter Geneviève, Sophie et Jean pour avoir mis tout cela sur pied, pour ce qui est du contenu et des aspects techniques de l'événement; sans votre travail, nous n'aurions pas pu interagir aujourd'hui. J'espère que vous avez trouvé l'événement d'aujourd'hui utile, et je vous rappelle de nous envoyer vos évaluations de l'événement d'aujourd'hui et que l'École a d'autres événements et cours à proposer. Pour ceux qui sont intéressés, le prochain événement de la série, qui aura lieu le 15 novembre, portera sur les questions juridiques et le fédéralisme contemporain. Je vous encourage donc à revenir sur le site Web de l'École et à continuer à suivre nos activités.
Merci à tous pour votre participation. Jen, Charles, merci pour vos excellents exposés et merci au public pour son écoute.
Jennifer Wallner : Oui, merci beaucoup.
Charles Conteh : Merci, et merci à Rupak pour son excellente animation.
Rupak Chattopadhyay : Merci.
[01:28:49 Le logo de l'EFPC s'affiche.]
[01:28:55 Le logo du gouvernement du Canada s'affiche à l'écran.]