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Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien : Le développement économique et l'infrastructure (TRN5-V40)

Description

Cet enregistrement d'événement porte sur les répercussions que les caractéristiques structurelles du fédéralisme ont sur le développement économique et l'infrastructure du Canada.

(Consultez la transcription pour le contenu en français.)

Durée : 01:27:21
Publié : 27 février 2023
Type : Vidéo

Événement : Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien : Le développement économique et l'infrastructure


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Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien : Le développement économique et l'infrastructure

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Transcription : Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien : Le développement économique et l'infrastructure

[Le logo de l'EFPC apparaît à l'écran à côté du texte « Webdiffusion ».]

[Ji Yoon Han apparaît à l'écran dans une boîte de clavardage vidéo.]

Ji Yoon Han : Bonjour et bienvenue à cette rencontre sur le développement économique et les infrastructures. Merci à tous et à toutes d'être là. Je m'appelle Ji Yoon Han et je suis associée en recherche au Centre d'excellence sur la fédération canadienne de l'Institut de recherche en politiques publiques. Cet événement, né d'un partenariat entre l'École et le Centre d'excellence, est le troisième d'une série de rencontres traitant des enjeux contemporains du fédéralisme canadien. Je vais dire quelques mots pour ouvrir la discussion du jour et faire le lien avec certains des thèmes abordés lors des deux premiers événements. Je passerai ensuite la parole à notre modérateur.

Permettez-moi de commencer par reconnaître que je m'adresse à vous depuis le territoire traditionnel non cédé des (inaudible). Je reconnais que nous travaillons tous dans des endroits différents et que, par conséquent, vous travaillez sur des territoires autochtones traditionnels différents. Prenons un moment pour témoigner de notre respect à l'égard des premiers habitants de ce pays. Merci.

Jusqu'à présent dans cette série, nous avons parlé de l'importance du fédéralisme et des principes fondamentaux du fédéralisme fiscal. Si vous n'avez pas assisté à nos événements précédents, je vous encourage à le faire. Ces événements ont fait émerger certains thèmes communs qui reviendront dans notre discussion d'aujourd'hui. Plusieurs de nos experts ont parlé des avantages et des inconvénients de la répartition des responsabilités dans le cadre du fédéralisme et ont souligné que la décentralisation des responsabilités peut nuire au consensus, ralentir la mise en chantier de projets ou faire obstacle à leur mise en œuvre.

Il n'en demeure pas moins que le fédéralisme peut permettre aux différents ordres de gouvernement de concentrer leurs énergies sur les domaines où ils ont des forces. Par exemple, lors de la séance précédente, Trevor Tombe a souligné que le gouvernement fédéral a des avantages en matière de politique macroéconomique et pour ce qui est de réduire les coûts des risques pour les régions et de générer des recettes, tandis que les unités de gouvernement infranationales sont mieux équipées pour prendre en charge des projets ayant des effets principalement locaux. Les arrangements fiscaux actuels du Canada témoignent de cette dynamique, et c'est également vrai en ce qui concerne le sujet de la rencontre d'aujourd'hui. Les expert s d'aujourd'hui nous expliqueront comment cette dynamique clé peut se répercuter sur la manière dont les différents ordres de gouvernement abordent le développement économique et les infrastructures.

Maintenant, pour le plat principal, je vais passer la parole à notre modérateur pour aujourd'hui : Hugo Cyr.

Hugo?

[Hugo Cyr apparaît dans une boîte de clavardage vidéo]

[Le texte suivant s'affiche : « Hugo Cyr, École nationale d'administration publique ».]

Hugo Cyr : Je vous remercie beaucoup. Nous vous remercions une fois de plus de votre participation.

Mon nom est Hugo Cyr, je suis le directeur général de l'École nationale d'administration publique, l'ÉNAP.

J'agirai à titre de modérateur pour cette séance. Nous avons un programme fort emballant pour vous! Mais avant d'entamer la séance, permettez-moi de vous fournir quelques renseignements logistiques qui optimiseront votre expérience de visionnement.

Pour optimiser votre expérience de visionnement, nous vous recommandons de vous déconnecter de votre VPN ou d'utiliser un appareil personnel pour regarder la session lorsque cela est possible. Veuillez noter que nous disposons de la traduction simultanée, ainsi que la traduction en temps réel des communications pour cet événement. Ces services sont disponibles à travers la plate-forme de Web diffusion. Veuillez vous référer, donc, au courriel de rappel envoyé par l'École pour accéder à vos options.

Si vous avez des questions, cliquez sur le bouton de clavardage dans le coin supérieur droit de votre écran et inscrivez votre question. Ne vous inquiétez pas si vous ne la voyez pas apparaître dans la fenêtre de clavardage : le modérateur l'aura tout de même bien reçue.

Aujourd'hui, nous examinons l'impact du fédéralisme sur le développement économique et les infrastructures. Pour discuter de la question, nous accueillons deux intervenants exceptionnels, chacun ayant une expertise unique en la matière.

[Herb Emery apparaît dans une boîte de clavardage vidéo.]

Notre premier intervenant est le professeur Herb Emery, titulaire de la chaire Vaughan en économie régionale à l'Université du Nouveau-Brunswick. Ses recherches portent sur les disparités régionales au Canada et leur impact sur la croissance économique du pays.

[Alison O'Leary apparaît dans une boîte de clavardage vidéo.]

Alison O'Leary est la sous-ministre adjointe principale de la Direction générale des programmes pour les collectivités et les infrastructures à Infrastructure Canada.

Donc, nous allons procéder de la manière suivante. Herb va tout d'abord nous offrir un bref historique des enjeux d'infrastructures et de fédéralisme au Canada et comment cela est en lien avec les défis contemporains. Et Alison va ensuite prendre la parole pour nous offrir une perspective personnelle sur comment le gouvernement fédéral prend en considération les différents besoins, les besoins variables en infrastructures et quels sont les outils et structures qui sont en place pour l'atteinte de ces objectifs. Nous passerons ensuite à une discussion sur les enjeux soulevés pendant les présentations et aux questions pour nos panélistes.

Donc, encore une fois, j'ai le plaisir de vous présenter le professeur Herb Emery.

Herb, la parole est à vous.

Herb Emery : Merci beaucoup. M'entendez-vous bien? Super.

[Le texte suivant s'affiche : « Herbert Emery, Université du Nouveau-Brunswick ».]

Merci de nous donner l'occasion de discuter aujourd'hui de ce sujet passionnant qu'est l'infrastructure. Une dimension que j'espère apporter à la discussion sur le fédéralisme est que souvent, lorsque les économistes en parlent, on a l'impression que les principes sont figés dans le temps et que nous discutons des tensions que nous ressentons à leur égard à différents moments ou encore de l'évolution des coûts d'opportunité.

[Une diapositive avec le texte suivant s'affiche : « La brève histoire de l'infrastructure au Canada, de 1870 à aujourd'hui : Comment le passé nous aide à mieux comprendre les défis d'aujourd'hui - Herb Emery - Chaire - Vaughan en économie régionale - Directeur, Institut de recherche sur les politiques de l'Atlantique » - Le logo de l'Université du Nouveau-Brunswick apparaît également sur la diapositive.]

En ce qui concerne les décisions d'infrastructures, si nous nous intéressons un peu à l'histoire économique, nous voyons que le contexte compte autant que les relations fédérales, le fédéralisme et les relations. Et plus particulièrement, au fil du temps, nous allons voir évoluer les possibilités, les priorités et les valeurs de la population. Et chacun de ces aspects différera selon l'endroit où vous vivez, que la décision vienne de votre municipalité, de votre province ou du gouvernement fédéral. C'est cet équilibre changeant qui est à l'origine de certains des défis à venir, ainsi que de la perception selon laquelle il faut que le gouvernement soit à l'origine de la construction de nombreux projets.

[Une diapositive s'affiche : « L'infrastructure au sens large ».]

Donc, tout en gardant ces éléments en tête, je voulais d'abord définir ce que j'entends par « infrastructure ». Il s'agit des structures et installations physiques et organisationnelles de base nécessaires au fonctionnement d'une société ou d'une entreprise. Une définition très large. On parle ici de bâtiments, de routes et de l'alimentation électrique. On pourrait ajouter à cette définition les organismes qui aident à organiser l'action collective dans la société, mais cela ne nous sera pas utile du point de vue des données, car ces éléments ne sont pas quantifiables.

Je vais donc circonscrire cette définition. Voyons comment... je crois que j'ai passé quelque chose.

Désolé, c'est la définition large. J'ai un petit problème avec ma souris et mon clavier. Désolé pour tout ça.

[Une diapositive s'affiche : « Où sont nos infrastructures et nos capitaux? »]

Où se trouvent toutes ces infrastructures? La réponse la plus simple est de regarder une carte de l'Amérique du Nord la nuit. Partout où il y a de la lumière, il y a beaucoup de capital et d'infrastructures. Quand nous avons entrepris de bâtir le Canada après la Confédération, il y avait très peu de capital et d'infrastructures sur la majorité de cette carte. Donc une grande partie du projet initial consistait à défricher le Canada et à y investir beaucoup de capital. Or aujourd'hui, ce sont ces points déjà brillants qui nous intéressent. Nous essayons de les rendre encore plus lumineux.

Ce qui nous amène à un enjeu très différent, celui des provinces qui sont un peu plus sombres sur cette carte, mais qui ont des possibilités de mise en valeur des ressources, et qui doivent rivaliser avec les points très brillants, qui eux, cherchent à devenir plus brillants en attirant encore plus de gens et de capital.

[00:08:08 Une diapositive s'affiche : « L'infrastructure est définie de manière plus précise dans la littérature économique et politique ».]

Pour une définition plus circonscrite de l'infrastructure, le grand public la considère généralement comme un grand monopole naturel à forte intensité de capital, c'est-à-dire les autoroutes, les services de transport et les réseaux d'égouts et d'aqueduc. Un aspect auquel les gens pensent souvent est qu'elle est de propriété publique.

Et de plus en plus, avec le temps, nous constatons que la discussion sur l'infrastructure est passée de la définition large que je vous ai donnée, à une définition qui se résume au capital-actions tangible détenu par le secteur public. Et quand une définition aussi restreinte est utilisée, on voit très vite se profiler des entraves quant aux possibilités et aux progrès ainsi que quant à la question « Qui doit payer? ». En effet, dès que nous parlons de « propriété publique », nous prenons automatiquement des décisions concernant les finances, à savoir qui décide et qui fixe les priorités.

[Une diapositive intitulée « Que savons-nous du capital-actions des infrastructures publiques? » s'affiche. Un graphique montre le capital-actions des infrastructures des différents ordres de gouvernement au fil du temps.]

Alors, que savons-nous du capital national d'infrastructure publique et pourquoi devons-nous y prêter attention? Tout d'abord, nous ne mesurons pas beaucoup — nous n'avons pas beaucoup de données sur l'infrastructure au Canada. Un article très pertinent, écrit vers 2004, je crois, montrait la valeur du capital-actions public du Canada jusqu'en 2002 qui était d'environ 200 milliards de dollars en pouvoir d'achat de 2015. Ainsi, 75 % de ces infrastructures appartiennent aux gouvernements provinciaux et aux administrations locales, et ce pourcentage a augmenté pour atteindre plus de 90 % en 2002, principalement en raison d'un transfert des capitaux détenus et contrôlés par les provinces vers des capitaux détenus et contrôlés par les administrations locales.

Notons que la place du fédéral était plus importante avant la grande expansion du capital local et provincial, mais puisque le capital-actions du gouvernement fédéral a stagné, le gouvernement fédéral n'est plus un grand propriétaire d'infrastructures. Or les provinces et les administrations locales, elles, le sont, et c'est donc là que le fédéralisme commence à poser un défi. On considère que c'est le fédéral qui a l'argent, alors que la responsabilité de la construction et de la propriété des actifs revient aux provinces et aux administrations locales. Qui doit alors payer? Cela s'est traduit par le fait qu'une grande partie de notre croissance économique depuis les années 1960 s'est articulée autour d'une croissance urbaine, alors que la croissance économique était jusqu'alors beaucoup plus axée sur la mise en valeur des ressources de l'arrière-pays. En passant d'une économie axée sur l'exploitation des ressources de l'arrière-pays en vue de leur exportation à une économie urbaine beaucoup plus axée sur le savoir, nous avons vu s'amorcer un changement en ce qui concerne la propriété du capital-actions et la responsabilité de son entretien.

C'est ici que naissent les tensions. Si vous avez suivi l'exposé de Trevor Tombe, vous savez que les pouvoirs fiscaux reviennent de manière disproportionnée au gouvernement fédéral par rapport aux autres ordres de gouvernement.

[Une diapositive s'affiche : « La croissance canadienne des 30 dernières années a été une croissance urbaine dans les plus grandes villes ». Des images de la ligne d'horizon de Toronto en 2001, en 2014 et en 2022 sont présentées.]

Plus concrètement, voici la ligne d'horizon de Toronto en 2001, en 2014 et en 2022. Elle a subi une profonde transformation qui révèle les projets de construction qui ont eu lieu et la croissance démographique que la ville a connue. L'économie d'aujourd'hui, 20 ans plus tard, est radicalement différente de ce qu'elle était en 2000, environ sept ans seulement après la signature de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Ainsi, cette dynamique urbaine devient de plus en plus importante dans la détermination de nos projets de construction et de nos priorités. Et pour une petite pointe d'humour, il s'avère également qu'avec cette urbanisation, de plus en plus de bêtes viennent s'installer en ville.

[Une diapositive s'affiche : « Une étude montre que davantage de ratons laveurs du Nouveau-Brunswick préfèrent la vie urbaine aux forêts. ».]

Apparemment, au Nouveau-Brunswick, les ratons laveurs préfèrent la vie urbaine à la forêt. Une grande transformation pour tous!

[Une diapositive s'affiche : « La valeur du parc des infrastructures publiques par habitant est en baisse depuis 1979, mais nous ignorons s'il s'agit d'un problème ou non » Un graphique montre le capital-actions des infrastructures par habitant des administrations publiques du Canada au fil du temps.]

Une grande question est de savoir si nous avons suffisamment d'infrastructures. Il faut savoir que les investissements dans les infrastructures se font en bloc et que les projets doivent être réalisés dans leur intégralité. C'est sans compter que nous avons tendance à construire trop d'infrastructures parce que nous anticipons l'avenir. Revenons au diagramme précédent, celui qui montrait la valeur du capital-actions des gouvernements fédéral et provinciaux et des administrations locales divisée par la population. Nous voyons que la valeur du capital public par personne a diminué et que l'équilibre a changé relativement aux infrastructures construites comme les autoroutes, les routes et les réseaux d'aqueduc et d'égouts.

Mais dans l'ensemble, nous constatons une diminution de la valeur du capital public par personne. Certaines personnes voient cela comme un problème ou un déficit, mais dans de nombreux cas, ce que nous constatons, c'est que nous nous développons dans le capital-actions déjà construit. Peut-être le problème est-il que nous avons construit trop d'infrastructures par le passé : allons-nous refaire la même erreur ou comment savoir si nous avons la bonne taille? Voilà où se pose le défi quant au moment à choisir pour construire.

[Une diapositive s'affiche : « Au-delà des routes, des ponts et des égouts ». Un graphique montre les dépenses liées aux nouvelles constructions dans les secteurs des transports, des communications, de l'énergie électrique, du gaz et de l'eau de 1956 à 1976. Un autre graphique montre les dépenses liées aux nouvelles constructions des institutions et des ministères de 1926 à 1976].

Pour plus de contexte, il s'agit des dépenses d'infrastructure jusqu'en 1976. Le graphique de droite, celui sur les nouvelles constructions et les institutions et ministères, inclut des infrastructures comme les hôpitaux, les écoles et les universités, que nous considérons souvent comme de grands actifs, mais ils sont minuscules par rapport à ce que nous voyons juste au-dessus et par rapport aux infrastructures électriques, ferroviaires, de transport par eau et de transport motorisé. Les infrastructures électriques en particulier dominent depuis toujours la majorité de nos dépenses d'infrastructure, et cet écart risque de se creuser avec la transition vers la carboneutralité.

Ainsi, du point de vue de l'envergure, les infrastructures que doivent gérer les gouvernements – je parle ici des routes, des écoles et des hôpitaux – sont d'une envergure assez petite par rapport à certains des autres besoins d'infrastructure qui pourraient surgir, par exemple les oléoducs, ou la transition du téléphone au câble à fibres optiques, voire au satellite. Et nous allons voir différents besoins naître de ces transitions, besoins qui feront en sorte que ces projets devront changer de mains pour la construction.

[Une diapositive s'affiche : « Se concentrer sur les infrastructures publiques peut être trompeur... ». ]

Se concentrer sur les infrastructures publiques est également trompeur. Elles concernent surtout les autoroutes, les routes et les égouts et découlent d'investissements dont les bénéfices sont ciblés géographiquement et souvent non pécuniaires. Autrement dit, ces infrastructures ne sont pas des sources de revenus, mais elles améliorent la qualité de vie. Bâtir une route pour exploiter une mine n'est pas la même chose que de bâtir une route pour que vous puissiez vous rendre plus rapidement au travail. Vous n'en retirerez pas de retombées financières, mais je vais revenir sur ce point. C'est un choix. Chaque type de projets d'infrastructure aura des aspects financiers qui lui sont propres. Certains ne généreront pas nécessairement de gains financiers. La plupart des infrastructures au Canada sont bâties, exploitées et entretenues par des propriétaires privés, et non par le gouvernement : chemins de fer, oléoducs, télécommunications et électricité. Tous ces actifs d'infrastructure, auparavant de propriété publique, ont été cédés, puis privatisés et vendus.

Ce que nous recherchons de plus en plus à l'avenir, ce seront des exploitations privées dotées d'un système de péage. Des postes de péage seront installés sur des ponts et des autoroutes, ce qui nous permettra de récupérer nos coûts d'investissement. Nous nous tournerons vers les monopoles naturels réglementés et les sociétés d'État. De cette façon, nous pourrons commencer à construire des infrastructures à une échelle qui n'est peut-être pas possible à concevoir pour les gouvernements.

Je vous demande d'ouvrir votre esprit. Outre la construction et la possession des infrastructures, pensez au rôle que le gouvernement pourrait jouer pour stimuler et financer les projets et aider à récupérer les coûts d'investissement. Et réfléchissez aux priorités pour y parvenir.

[Une diapositive s'affiche : « Les infrastructures soutenues par le gouvernement fédéral ».]

Les infrastructures financées par le gouvernement fédéral – je dis bien financées et non construites et exploitées –, s'appuyaient par le passé sur l'argument habituel selon lequel le gouvernement fédéral devrait participer à des projets qui auront des retombées positives. Donc, si vous construisez un chemin de fer vers les Prairies pour y installer des gens et ouvrir un plus grand marché intérieur pour le Canada, ce projet d'investissement aura des retombées positives pour les Canadiens vivant dans l'est du pays et il est logique d'utiliser des fonds publics ou des incitatifs fédéraux pour lancer ce projet.

Mais ce que nous voyons de plus en plus aujourd'hui, c'est que le gouvernement fédéral s'intéresse à des décisions qui n'auront de retombées que pour la population locale. Ainsi, nous commençons à voir des fonds fédéraux destinés aux infrastructures être injectés dans des projets comme des musées, des centres de loisirs, des théâtres et des transports publics. Ces décisions ne s'appuient pas sur la même logique que par le passé, quand on construisait des infrastructures qui avaient un avantage national plus large.

Qui plus est, à l'époque, les projets anticipaient la demande. Les infrastructures servaient à ouvrir l'arrière-pays pour développer les perspectives économiques. Cette même discussion est en cours quant au développement économique de l'Arctique, mais elle ne va pas très loin, ou encore vous verrez des travaux d'infrastructure le long du couloir du nord afin de frayer une sorte de route préapprouvée pour y installer des oléoducs, des lignes de télécommunication et tout le reste.

La deuxième étape, là où nous sommes maintenant bloqués, est l'étape de connexion et de remplissage. Nous essayons d'encourager l'intégration des économies régionales et nous réalisons également les travaux du dernier kilomètre, comme l'installation du réseau à large bande du dernier kilomètre, pour que tous soient connectés et ainsi assurer une croissance plus inclusive. Beaucoup des infrastructures qui sont construites visent à favoriser l'intégration des économies régionales, ce qui aura parfois, mais pas toujours, des retombées. Donc, encore une fois, nous devons réfléchir à ce qui sera logique sur le plan des responsabilités des ordres de gouvernement.

[Une diapositive s'affiche : « Infrastructures soutenues par les gouvernements provinciaux et les administrations locales ».]

Les infrastructures soutenues par les gouvernements provinciaux et les administrations locales, où l'aide financière du gouvernement fédéral est souvent espérée, visent à ce qu'une région conserve plus de richesses découlant des exportations grâce à des transports plus concurrentiels, à des coûts énergétiques meilleur marché et à de meilleurs services de communication. Ces infrastructures seront alors source de revenus, car elles attireront des capitaux dans l'économie locale. Pour ces administrations, conserver les aéroports régionaux et les parcs industriels est une grande priorité. Il est aussi possible de construire des infrastructures qui attireront les gens en faisant croître le coefficient de bien-être d'une région. Je parle ici de centres de loisirs, de théâtres, d'arénas et de piscines publiques, mais il s'agit de redistribution des richesses entre les régions plutôt que de création de richesses.

La frontière est parfois floue entre création et redistribution de richesses. Mais dans ces situations, on s'attendrait à ce que ce soit les assiettes fiscales locales qui paient pour ces projets, et non le gouvernement fédéral.

[Une diapositive s'affiche : « Investissements indivisibles : les changements techniques dans le domaine des transports et des communications entraînent de "gros investissements concentrés" ».]

On tombe dans ce qu'on appelle les « investissements visibles », d'où proviennent les gros investissements concentrés, en particulier dans les domaines des transports et des communications. En effet, on ne peut pas juste construire une partie de réseau, il faut le construire au complet. Une autoroute qui s'arrête à mi-chemin entre Toronto et Montréal ne sert à rien et ne génère aucune retombée. En transport, nous sommes passés de la route d'accès carrossable au canal, puis au chemin ferroviaire et à la route d'asphalte, et il semblerait que nous revenions au transport ferroviaire. En communication, il y a eu le télégraphe, le téléphone, puis le câble à fibres optiques, ainsi qu'Internet, la radio et la télévision, et il y a maintenant le satellite.

Pour chaque percée technologique, nous devons bâtir un réseau, ce qui crée des investissements indivisibles et de grands besoins financiers. Quand nous avons voulu transporter de l'énergie sur de longues distances, il a fallu bâtir les infrastructures qui nous permettraient d'acheminer le nécessaire. Peut-être voyons-nous se profiler une nouvelle période de décentralisation des sources d'énergie grâce à de petits réacteurs modulaires qui permettent une production localisée dissociée d'un réseau principal. Cela fera concurrence aux projets comme la boucle de l'Atlantique, qui vise à connecter le réseau électrique de l'Atlantique à celui du Labrador et du Québec. Il se pourrait que nous puissions ainsi investir dans la production décentralisée et locale. La décarbonisation du système énergétique va nécessiter des investissements initiaux massifs dans la transmission de nouvelle génération, les bornes de recharge et le transport ferroviaire, et il va falloir faire vite. Nous ne pouvons pas vraiment attendre la technologie, sinon nous manquerons le bateau. Alors, pensez aux investissements indivisibles qui seront nécessaires.

[Une diapositive s'affiche : « Nouveau-Brunswick, du chemin de fer aux routes... 1945 à 1965, abandon des chemins de fer et construction d'autoroutes ». Y sont montrées trois cartes du Nouveau-Brunswick, illustrant trois périodes différentes.]

Un exemple rapide de ce dont je viens de parler : à gauche, vous voyez le réseau ferroviaire du Nouveau-Brunswick en 1940. Au centre, ce à quoi il ressemble aujourd'hui. Nous avons essentiellement remplacé les rails par des autoroutes. Nous sommes ainsi passés d'un réseau à financement privé, le réseau ferroviaire, à un réseau de propriété publique, les routes. Cette transition n'était donc pas uniquement d'ordre technologique, mais aussi d'ordre financier, la responsabilité financière changeant de mains. Ainsi, certaines décisions s'imposent lorsque de nouvelles technologies font leur arrivée : doit-on laisser le marché la produire ou revient-il au gouvernement de définir une orientation et de décider de la marche à suivre?

[Une diapositive s'affiche : « Gros investissements concentrés – quand devons-nous investir dans les infrastructures? ».]

En ce qui concerne les gros investissements concentrés, soulignons qu'une récession est potentiellement à nos portes. La plupart des infrastructures sont construites en période de prospérité et non de récession. Il y a donc beaucoup de projets de construction d'infrastructures quand les perspectives économiques sont encourageantes et non sombres. Quand de nouvelles technologies ou de nouvelles façons de faire voient le jour pour de nouveaux projets de mise en valeur des ressources et que la croissance est forte et les finances publiques florissantes, les marchés financiers vous ouvrent leurs portes, ce qui est essentiel. Dans la situation inverse, vous n'aurez pas accès au capital pour vos projets. Par ailleurs, chaque fois que le pays souligne un anniversaire symbolique (ses 100 ou 150 ans par exemple), les projets d'infrastructures explosent. Au Nouveau-Brunswick, toutes les infrastructures du centenaire construites en 1967 sont arrivées à leur fin de vie et doivent être remplacées. Ainsi, beaucoup de gros investissements concentrés sont nécessaires autour de ces dates d'anniversaire.

[Une diapositive s'affiche : « Question : les investissements dans les infrastructures au Canada sont-ils suffisants? ».]

Ces faits sont intéressants, mais la question demeure : Les investissements au Canada sont-ils suffisants ou insuffisants? Le problème avec ces gros investissements concentrés et l'anticipation de la demande est que nous avons hérité d'infrastructures qui ne conviennent peut-être pas à nos besoins actuels. Ainsi, lorsque les gens en 1970 ont pris des décisions sur l'endroit où nous allions vivre, sur notre façon de vivre et sur la technologie à notre disposition, ils ne pouvaient pas prévoir le visage qu'aurait aujourd'hui Toronto. Ils n'auraient pu prévoir la dépopulation que subirait le réseau de communautés rurales. Par conséquent, la répartition actuelle des infrastructures ne répond peut-être pas à nos besoins. Elle s'arrime à un réseau urbain désuet et les infrastructures construites à l'époque ne sont pas les bonnes, car nous avons surinvesti dans des technologies dépassées comme les lignes téléphoniques en cuivre alors que nous sommes rendus à utiliser les satellites.

La difficulté réside dans le fait que nous prenons des décisions qui se répercuteront sur l'avenir. Peut-être seront-elles les bonnes pour quelques années, mais nous finirons par constater que les écoles ont été construites au mauvais endroit ou que nous utilisons une technologie dépassée. D'autres pays, eux, attendent un peu de voir quelle technologie prendra racine : voulons-nous vraiment investir en hydroélectricité ou dans des petits réacteurs modulaires? Donc, notre déficit infrastructurel n'est pas seulement imputable à la désuétude des infrastructures, mais aussi au fait que nos décisions ont été prises en fonction d'un avenir qui ne s'est jamais concrétisé. Par exemple, Winnipeg devait être le prochain Chicago, et la ville a été développée avec cette idée en tête. Or ce n'est pas arrivé. Ainsi, lorsque nous prenons des décisions, il nous faut faire preuve d'une certaine humilité quant à notre capacité à prédire l'avenir.

[Une diapositive s'affiche : « Financement des infrastructures : les problèmes économiques ont été surmontables dans le passé ».]

Par le passé, les problèmes liés au financement des infrastructures étaient surmontables en grande partie en raison des périodes de prospérité. Alors si vous vous demandez pourquoi autant de chemins de fer ont été construits dans les Prairies, c'est parce qu'on s'attendait à ce que l'Ouest canadien compte aujourd'hui 100 millions d'habitants. Ce n'est pas ce qui est arrivé, mais nous avons trois chemins de fer transcontinentaux. La question des attentes peut être très importante, dont celles du gouvernement quant à sa capacité à financer les projets à l'aide de diverses mesures incitatives, qu'il s'agisse d'incitatifs financiers, de concessions de terres ou de garanties de prêt. La place accordée aux investissements publics directs et les défis du financement sont des questions plus récentes en raison des décisions politiques que nous avons prises. Nous avons investi dans ce que nous appelons les « biens collectifs », qui sont techniquement des biens qu'on ne peut empêcher les gens d'utiliser. Et si nous les utilisons, d'autres personnes ne peuvent les utiliser.

Ce que nous avons fait plutôt c'est que nous avons accolé à « biens collectifs » la notion de biens qui ne sont pas des sources de revenus. Ils ont des retombées non pécuniaires et ne peuvent être monnayés. Les biens communautaires sont alors devenus des biens collectifs au lieu de biens essentiels à la compétitivité. Ce sont là aussi des décisions que nous avons prises. Certains de ces biens collectifs n'en sont pas réellement. Nous pourrions installer des postes de péage, mais comme nous ne pouvons empêcher les gens d'utiliser ces biens, ces décisions ont un lourd poids politique. Installer un poste de péage sur un pont à Montréal de nos jours est une question controversée, car le pont n'a actuellement pas de poste de péage. Nous avons fait le choix de ne pas imposer de péage sur des biens qui pourraient être de propriété privée, dont le transport en commun. Cela dit, vous pourriez me donner mille et une bonnes raisons pour lesquelles le transport en commun devrait être subventionné, mieux encore, gratuit. Nous devons tout de même reconnaître qu'il s'agit de choix politiques et non de réalités dictées par la nécessité de l'économie.

[Une diapositive s'affiche : « Infrastructures publiques et financement illusoire ».]

L'autre chose que nous devons reconnaître – je suis probablement en train de manquer de temps, interrompez-moi au besoin – est que nos décisions d'infrastructures passées n'ont pas tenu compte des coûts futurs d'entretien et de remplacement. Nous avions l'illusion que l'infrastructure publique était si bon marché en partie parce que, contrairement à un propriétaire privé, nous n'avions pas à nous demander comment nous allions payer pour sa durabilité.

C'est ainsi que nous nous retrouvons avec beaucoup de passif résultant des décisions du passé alors que nous devrions investir dans de nouvelles infrastructures. Les coûts ont été reportés, ce qui limite maintenant nos projets et c'est le problème de ces immobilisations désuètes qui n'ont pas été financées correctement parce qu'il y avait cette idée que la croissance future paierait pour ces projets. Et si la croissance a été forte, elle n'a pas généré les revenus attendus pour que nous puissions entretenir ce capital-actions.

[Une diapositive s'affiche : « Les problèmes des infrastructures publiques trouvent leur origine dans les choix politiques relatifs à leur financement... » .]

Un autre problème est que la propriété publique et le mode de financement fondé sur le paiement à l'utilisation s'accompagnent d'un partage des coûts entre les ordres de gouvernement. Autrement dit, les subventions du gouvernement fédéral déforment la prise de décisions à l'échelle locale. Ainsi, si vous ne financez pas les projets au moyen de droits d'utilisation, les demandes fuseront de partout. Vous aurez tous ces gens qui se tournent vers Ottawa pour demander du financement pour construire un tunnel, un pont, un théâtre, etc., des demandes pour une multitude de projets, car on ne tient pas compte du fait que les gens n'auront pas à assumer le plein prix de ces projets dans leurs impôts, et il faut réconcilier tout cela.

De plus, le fait que le gouvernement fédéral discute de plus en plus directement avec les maires, cela crée un problème. Autrefois, le blâme aurait pu être jeté sur les premiers ministres provinciaux, mais désormais, les maires et les premiers ministres des provinces se disputent l'attention et le financement du fédéral.

[Une diapositive s'affiche : « Un nouveau défi pour l'investissement dans les infrastructures – La concentration de la population et le caractère concurrentiel des villes constituent l'"intérêt national" »..]

Une dernière chose... Désolé, je termine avec ceci.

Hugo Cyr : Parfait. Oui, si vous pouviez conclure, ce serait parfait.

Herb Emery : Donc, le dernier point que j'aimerais souligner est que l'intérêt national a changé. Auparavant, la priorité était accordée aux régions et à l'arrière-pays. Le but était d'ouvrir le pays pour faire croître la population et mettre en place un réseau urbain, mais la priorité est désormais accordée aux grandes villes. Par conséquent, lorsqu'une stratégie fédérale vise la construction d'infrastructures dans les régions rurales, le projet fait concurrence aux grandes villes, qui aimeraient bien avoir ces infrastructures. Je m'excuse d'avoir parlé aussi longtemps. Je vais m'arrêter ici.

Hugo Cyr : Merci beaucoup Herb.

Et maintenant, je vais céder la parole à Alison pour sa perspective. Merci!

Alison O'Leary : Merci Hugo, merci Herb !Merci pour la présentation.

Bonjour, je m'appelle Alison O'Leary. Avant de commencer, j'aimerais souligner que je m'adresse à vous en provenance du (inaudible), le territoire non cédé de la nation algonquine Anishinaabe, dont la présence dans la région d'Ottawa-Gatineau remonte à des temps immémoriaux.

L'autre chose que je voudrais mentionner d'emblée est que les opinions que je vais exprimer sont les miennes, elles sont issues de mon expérience pratique. J'admets volontiers que je ne sais pas tout, mais j'ai travaillé quelques années comme sous-ministre adjointe aux affaires intergouvernementales au Bureau du Conseil privé et, depuis quatre ans, je travaille à Infrastructure Canada, où j'occupe le poste de sous-ministre adjointe principale pour les programmes d'infrastructures.

Tout d'abord – et je crois que mon propos se situera dans le prolongement de ce dont vous venez de parler, Herb –, pourquoi l'infrastructure est-elle importante? Je vais vous donner quelques faits sous peu. Mais d'abord, je vous invite à réfléchir à votre vie quotidienne. Comment vous êtes-vous rendu au bureau aujourd'hui? Vous y êtes-vous rendu à vélo, en empruntant la piste cyclable? C'est ce que nous appelons le transport actif. Vous y êtes-vous rendu en auto, en empruntant des routes et en franchissant des ponts? Avez-vous pris le transport en commun? Tout cela, ce sont des infrastructures. Peut-être travaillez-vous à la maison. Avant de commencer votre journée, avez-vous mis en marche le lave-vaisselle ou fait la lessive? Si c'est le cas, vous avez eu besoin des infrastructures d'approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées. Qu'allez-vous faire ce soir? Emmener vos enfants à l'aréna pour leur entraînement de hockey? Jouer au badminton à votre centre communautaire? Visiter un musée? Ce sont les infrastructures communautaires, culturelles et récréatives. Ce ne sont là que quelques exemples de la façon dont les infrastructures contribuent à votre qualité de vie quotidienne. Qui plus est, les investissements dans l'infrastructure contribuent à la productivité, à la croissance économique et à la création d'emplois.

Maintenant : les faits. Un rapport du gouvernement de l'Ontario révèle que les investissements dans l'infrastructure de transport en commun ont des retombées positives à long terme sur la productivité. Ils peuvent diminuer la congestion routière et les temps de déplacement. La disponibilité pour le travail s'en trouve ainsi augmentée et il y a moins de perte de productivité. Selon un rapport de Deloitte, les investissements dans les infrastructures offrent un rendement allant jusqu'à 2,7 fois le montant des dépenses engagées. De plus, selon une étude de 2020 du Global Infrastructure Hub, les investissements dans les infrastructures publiques ont des retombées économiques de l'ordre de 1,5 fois le montant investi en 2 à 5 ans, ce qui est supérieur aux autres formes de dépenses publiques.

Nous avons tous entendu parler des chaînes d'approvisionnement dans la dernière année. Or, l'infrastructure joue un rôle clé dans l'acheminement des marchandises. De son côté, la Banque mondiale a abordé la manière dont les infrastructures favorisent la croissance durable. Puisque les investissements dans les réseaux d'énergie et de transport influent directement sur la circulation des personnes et des marchandises en diminuant les coûts de livraison, en facilitant la mobilité et en réduisant les contraintes à la productivité et à l'emploi, nul doute que les investissements dans l'infrastructure stimulent l'emploi. La pandémie de COVID-19 nous a fait réaliser l'importance de l'infrastructure numérique et de connexion à large bande, qui nous a permis de travailler à domicile et de rester en contact avec nos proches en plus de favoriser le commerce électronique. La liste est longue.

De façon plus générale, le rapport du FMI de 2021 a montré qu'un investissement en infrastructure de 1 million de dollars américains générait de 3 à 7 emplois dans les économies avancées et encore plus dans les économies en développement. Tout cela est bien joli, mais pour en revenir à ce que vous disiez, Herb, pourquoi le gouvernement fédéral se soucie-t-il de cela? Vous vous demandez peut-être – même si vous avez répondu à la question –, si le gouvernement fédéral est propriétaire de votre centre communautaire ou des stations de base que vous voyez lorsque vous conduisez sur la route 7.

Comme vous l'avez dit, la réponse est non. La majorité des infrastructures publiques – 60 % – sont la propriété des administrations municipales et 30 %, des gouvernements provinciaux et territoriaux. Le gouvernement fédéral et les communautés autochtones se séparent le reste, et le secteur privé joue un rôle clé en ce qui concerne la propriété de certains types d'infrastructures, comme la large bande et les télécommunications, tandis que le secteur sans but lucratif est un partenaire important des projets d'infrastructure communautaires.

Je dirais que la contribution du gouvernement fédéral est de trois ordres. D'abord, il fournit des fonds; ensuite il fixe des objectifs nationaux et met en place des mesures incitatives pour les atteindre; et enfin, il joue un rôle de ralliement et de coordination. Parlons d'argent en premier lieu. La vérité est que les coûts associés à la construction et à l'entretien des infrastructures sont tout simplement faramineux. Je me souviens quand j'ai commencé à travailler à Infrastructure Canada, j'ai été renversée par le nombre de zéros qu'on me présentait. Maintenant, après quatre ans dans un ministère responsable d'imposants montants versés dans le cadre de programmes de financement fédéraux, la blague est que je ne sors pas du lit pour une somme inférieure à 1 000 000 000 $. Blague à part, la capacité fiscale du fédéral est essentielle pour soutenir les coûts à long terme des infrastructures durables partout au pays. Parlons maintenant des objectifs nationaux.

Comme dans de nombreux domaines au sein des ministères fédéraux, il arrive que l'intérêt national entre en conflit avec les priorités locales, parfois en raison de la dynamique politique, ou parfois parce que, tout simplement, les ordres de gouvernement ont des priorités, des besoins ou des horizons différents pour aborder les enjeux auxquels ils tiennent. Pensons aux cycles électoraux. Lorsque cela arrive, le gouvernement fédéral a l'occasion de collaborer avec les autres ordres de gouvernement tout en tirant parti de sa capacité fiscale pour offrir des programmes de financement qui correspondent aux objectifs nationaux ou prévoient des mesures afin de les atteindre.

J'ai pensé qu'il pourrait être utile de vous donner quelques exemples. Le premier concerne la résilience. Nous avons tous été témoins des événements dévastateurs qui ont touché notre pays ces dernières années : les inondations en Colombie-Britannique, la contamination de l'eau à Iqaluit et l'ouragan Fiona en Atlantique, pour ne nommer que ceux-là. Lorsque de tels événements se produisent, le gouvernement fédéral intervient par l'intermédiaire de ministères comme la Sécurité publique. Toutefois, il est possible de s'y préparer en établissant des plans et en bâtissant des infrastructures plus résistantes, avant même que la catastrophe ne survienne.

Le gouvernement fédéral aide les collectivités à élaborer des plans de gestion des biens immobiliers, communique de l'information sur les codes du bâtiment et les normes de construction, et offre des programmes de financement pour les projets qui visent à rendre les infrastructures plus résistantes et à atténuer les effets des catastrophes naturelles avant qu'elles se produisent. C'est ce que fait le Fonds d'atténuation et d'adaptation en matière de catastrophes d'Infrastructure Canada, qui a été lancé en 2018 et dont l'enveloppe totale actuelle s'élève à près de 4 milliards de dollars. Pensons aussi aux changements climatiques. Le gouvernement fédéral contribue à stimuler les investissements dans des projets d'infrastructure qui visent à lutter contre les changements climatiques, comme des projets de modernisation des bâtiments publics pour accroître leur efficacité énergétique, des projets de construction de bâtiments carboneutres, ou encore des projets de transport en commun pour réduire les émissions de GES.

En 2021, par exemple, le gouvernement fédéral a annoncé un montant de 3 milliards de dollars par année, à compter de 2026-2027, pour des projets de transport en commun à l'échelle du Canada. Nous avons commencé à élaborer le programme de financement et avons lancé les consultations. Pensons maintenant à l'inclusion sociale. La pandémie a mis en évidence les disparités sociales qui existent pour de nombreux groupes vulnérables à travers le pays, et les investissements dans les infrastructures destinés aux communautés mal desservies peuvent faire une grande différence.

Prenons l'exemple du Programme pour les bâtiments communautaires verts et inclusifs. Le Programme utilise l'Indice canadien de défavorisation multiple de Statistique Canada comme l'un de ses principaux outils pour évaluer et classer par ordre de priorité les demandes de projets visant à rénover ou construire des bâtiments communautaires accessibles au public en vue de créer, par exemple, des espaces sûrs où les enfants vivant en ville peuvent se réunir après l'école ou encore des centres de mieux-être dans les communautés autochtones. Ce sont des projets qui peuvent faire une réelle différence dans la vie des gens.

Le logement – c'est-à-dire l'offre, l'accessibilité et l'itinérance – est aussi une question à laquelle le gouvernement fédéral s'intéresse tout particulièrement. Ce sont de réels enjeux auxquels doit faire face notre pays. C'est pourquoi nous nous affairons actuellement à trouver des façons de mieux lier les questions d'infrastructures et les questions de logement. Nous cherchons activement une façon de conjuguer la capacité fiscale du gouvernement fédéral et le financement qu'il accorde pour les infrastructures pour inciter les provinces, les territoires et les municipalités à agir pour résoudre la crise du logement. Par exemple, dans son budget de 2022, le gouvernement fédéral a signifié son intention de lier l'accès au financement des infrastructures aux mesures prises par ces acteurs pour accroître l'offre de logements. Il s'agira de l'un des grands dossiers que nous tenterons de faire avancer lors du renouvellement des accords qui régissent les transferts de fonds annuels de 2,3 milliards de dollars dans le cadre du Fonds pour le développement des collectivités du Canada, anciennement le Fonds de la taxe sur l'essence. Voilà donc pourquoi le gouvernement fédéral se soucie de ces questions. Je pense que c'est de cette façon que nous pouvons faire arrimer les intérêts locaux, les compétences de provinces et territoires et les objectifs fédéraux nationaux.

C'est en travaillant pour ce ministère que j'ai réellement mesuré l'immensité de notre pays et que j'ai compris que les acteurs y sont nombreux et que chacun a un rôle et une opinion par rapport aux investissements dans l'infrastructure. Vous en avez parlé un peu tout à l'heure, Herb. Chaque région a ses besoins et requiert un niveau d'investissement dans l'infrastructure qui lui est propre. Pensons aux communautés éloignées où les coûts de construction sont, cela va sans dire, plus élevés. Il y a des défis logistiques liés à la construction d'infrastructures, notamment la courte saison de navigation et la nécessité d'acheminer le matériel par transport maritime. Dans certaines régions rurales et éloignées, l'accès à Internet haute vitesse demeure difficile et hors de prix. Si des progrès ont été réalisés grâce aux investissements de nos collègues d'Innovation, Sciences et Développement économique Canada dans des zones urbaines comme Toronto, Vancouver et Montréal, un investissement soutenu dans le transport en commun et le transport actif est essentiel pour aider les gens à se déplacer. Ailleurs, ce sont davantage les routes et les ponts qui permettent aux gens de rester connectés.

Dans certaines régions, il est essentiel de réparer, d'entretenir et de moderniser les infrastructures d'approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées pour garantir l'accès à l'eau potable et réduire au minimum les pertes dues à des choses aussi simples que des canalisations qui fuient. Nous travaillons actuellement à honorer l'engagement du gouvernement visant à accélérer l'utilisation du reste des 33 milliards de dollars au titre du Programme d'infrastructure Investir dans le Canada. Beaucoup de progrès ont été réalisés depuis la création du Programme en 2017, qui est exécuté par le biais d'accords bilatéraux avec les provinces et les territoires. Mais, alors qu'il reste quelques milliards à investir, nous avons constaté qu'en voulant trop généraliser, c'est-à-dire structurer les accords exactement de la même manière pour toutes les provinces et tous les territoires, cela ne tient pas nécessairement compte des différentes réalités de notre pays immense.

Nous travaillons donc en ce moment en étroite collaboration avec les provinces et les territoires afin de voir comment nous pourrions tenir compte de ces différentes réalités, et nous en tirons des idées et des leçons en temps réel en vue d'adopter une approche plus nuancée la prochaine fois. Nous nous efforçons également de comprendre les besoins du pays en infrastructure et d'établir une base de données à cet égard. Cet aspect est essentiel, surtout quand on pense à l'ampleur des sommes dont il est question. Selon des extrapolations faites par le Global Infrastructure Hub (centre mondial de coordination en matière d'infrastructure), les investissements mondiaux dans les infrastructures qui, en 2022, étaient de 2,3 billions de dollars, s'élèveront à 63 billions de dollars d'ici 2040. Même une portion de cette somme représente beaucoup d'argent. Ainsi, malgré son enveloppe budgétaire de plusieurs milliards de dollars, Infrastructure Canada ne peut pas couvrir tous les coûts d'infrastructures au Canada. C'est pourquoi nous devons travailler avec nos partenaires partout au pays pour déterminer les besoins réels, les lacunes et la façon dont nous pouvons collaborer pour les combler.

Nous travaillons également au lancement de la première évaluation nationale des infrastructures du Canada. Nous sollicitons actuellement les commentaires du public, des peuples autochtones, des provinces, des territoires, des municipalités et des intervenants sur la façon de répondre aux besoins du Canada en matière d'infrastructures, d'établir une vision à long terme, d'améliorer la coordination entre les propriétaires d'infrastructures et les bailleurs de fonds, et de déterminer les meilleures méthodes de financement. Cette évaluation nous aidera à identifier les besoins et les priorités en évolution du Canada dans le domaine de l'environnement bâti afin que nous puissions adopter cette vision à long terme et entreprendre une planification à long terme fondée sur des données en vue d'un avenir carboneutre.

J'aimerais dire une dernière chose concernant le fédéralisme, la raison pour laquelle vous êtes tous ici aujourd'hui. Le paysage infrastructurel du Canada est tel que plus la coordination sera bonne entre tous les ordres de gouvernement, plus nos investissements collectifs dans l'infrastructure seront efficaces. Je crois que le gouvernement fédéral a parfaitement raison d'établir des paramètres pour le financement qu'il offre afin que les projets financés contribuent à faire avancer et à atteindre les objectifs nationaux. Les provinces et territoires financent eux aussi régulièrement ces projets et connaissent très bien le contexte de leur région.

De leur côté, les municipalités et les communautés autochtones sont les acteurs locaux qui possèdent et exploitent en grande partie les infrastructures dont nous parlons, et elles ont une idée concrète des besoins et des plans de développement de leur communauté. Donc, trouver des moyens pour que tous aillent dans la même direction – ou du moins essaient de le faire –, et utiliser une combinaison d'outils de programme pour amener tous les ordres de gouvernement à travailler de concert pour harmoniser nos objectifs, en fonction des résultats souhaités, c'est un rôle clé que doit jouer le gouvernement fédéral dans le contexte canadien.

Je vais m'arrêter ici. Merci pour votre temps et je vous rends la parole, Hugo.

Hugo Cyr : Merci beaucoup, Allison, pour la présentation. Nous allons passer aux questions. Je vous lis la première : Quel moyen de coordination avec les gouvernements provinciaux et territoriaux s'est avéré le plus efficace ou satisfaisant pour tous les partenaires et intervenants, à la lumière de votre expérience ou de votre analyse historique?

Herb Emery : En ce qui me concerne, je crois que la réponse est que quand vous parvenez à faire payer l'autre ordre de gouvernement, tout le monde semble plus heureux. Et le réel défi quant aux finances municipales est de trouver le juste milieu entre les bénéficiaires locaux, qui doivent assumer des coûts appropriés, et les bénéficiaires futurs. Il y a donc des questions complexes à prendre en considération pour assurer l'équité du financement entre les contribuables, représentés par les différents ordres de gouvernement qui tentent de contrebalancer les avantages et les coûts. Autrement dit, si je finance ce projet pour vous, recevrez-vous quelque chose en échange lorsque vous aurez votre propre projet? C'est en partie ce qui a compliqué les choses. Ce qu'on voit de plus en plus c'est que, puisqu'Ottawa a les fonds, et que les provinces et les villes ne les ont pas, c'est Ottawa qui doit payer, et je ne pense pas que ce soit le bon modèle.

Nous devons revenir aux objectifs. Comme Alison l'a si bien dit, une fois qu'Ottawa a défini ses objectifs nationaux, il s'agit de déterminer comment concevoir le programme pour que les bons incitatifs financiers concordent avec les intérêts liés à l'atteinte de ces objectifs. Ce qui m'inquiète est qu'on ne peut laisser la question être régie par le politique, on ne peut influencer le vote en construisant de jolies infrastructures pour les gens un peu partout au pays. Alors que nous visons la carboneutralité, nous devrons faire preuve d'un peu plus de fermeté à cet égard, car tout le monde veut qu'Ottawa paie pour la transition. Or il faudra souvent payer pour la transition au moyen d'une tarification locale, en particulier sur l'électricité.

C'est pourquoi il faut engager une conversation afin de déterminer cette part équitable par rapport aux priorités nationales. Par exemple, à l'objectif d'éliminer l'utilisation du charbon d'ici 2030 sont associés des coûts supplémentaires liés aux actifs de production et de transmission. Qui paiera pour ces frais? Quelle sera la part d'Ottawa et celle des services publics provinciaux? Ou dans certains cas, est-ce l'occasion pour Ottawa de dire : « Oublions les services publics provinciaux. Le moment est venu de coordonner le réseau à l'échelle régionale »?

Les provinces pourraient très bien être réfractaires à tenir de telles conversations, mais il pourrait être dans notre intérêt à long terme de fragmenter les services publics provinciaux et de se doter d'acteurs régionaux beaucoup plus importants qui desserviront toute une région. Je digresse, mais je voulais simplement dire que c'est une question très complexe qui n'a pas de réponse simple.

Hugo Cyr : Merci.

Alison O'Leary : J'aimerais ajouter quelque chose. C'est une excellente réponse d'un point de vue de la prestation de programme. Le fait est que les demandes sont toujours trop nombreuses, non? Donc, que ce soit le fédéral qui offre des programmes afin de recevoir directement les demandes des municipalités, des communautés autochtones, etc., ou que ce soient les provinces et les territoires qui le fassent et qu'ils présentent ensuite des projets au fédéral, au bout du compte, l'administration responsable de ce tri devra rejeter de nombreux projets, n'est-ce pas?

Nous avons des programmes dotés d'une enveloppe de milliards de dollars ou encore les provinces et territoires ont un montant X, mais il y a toujours trop de (inaudible). C'est pourquoi je pense qu'il est très, très important d'essayer autant que possible, peu importe le type d'outil de prestation utilisé, de regarder les objectifs et ensuite de fixer un cadre pour l'évaluation des projets qui nous permet, à la fonction publique, d'évaluer de façon objective les demandes et de fournir les meilleurs conseils possible quant au potentiel d'un projet par rapport à nos objectifs, qu'il s'agisse de résilience, d'adaptation aux changements climatiques, d'inclusion sociale, etc., et parfois, les gens ont simplement besoin d'un terrain de jeux et c'est très bien comme ça. Mais il faut vraiment connaître nos objectifs et que les autres ordres de gouvernement les connaissent aussi pour que le triage et l'évaluation des projets se fassent de manière coordonnée.

Hugo Cyr : Merci! Nous recevons plusieurs questions en lien avec le télétravail et les nouvelles réalités postpandémie. Et donc, notamment quelles sont les opportunités qui viennent avec le fait que plusieurs personnes ont choisi ou veulent rester en télétravail, travailler à distance, qu'en termes d'infrastructures, le portefolio d'infrastructures du gouvernement fédéral, quelles sont les opportunités que cette nouvelle forme d'organisation du travail ouvre pour Infrastructure Canada? Donc ça, c'est une première question. Et deuxième élément : est-ce que vous remarquez des tendances intéressantes sur ce sujet en provenance d'autres pays?

Alison O'Leary : Je vous remercie pour la question. Je pense qu'en ce qui concerne les investissements dans l'infrastructure, nous avons certainement constaté l'importance de la connectivité dans tout le pays. Je crois que, dans les grandes villes, nous tenons beaucoup ces choses-là pour acquises, mais si l'on regarde dans les collectivités éloignées, il s'agit d'un luxe qui n'existe tout simplement pas ou qui est trop coûteux pour que les gens puissent en profiter au quotidien. Nous avons donc la capacité, par le biais de certains de nos programmes d'infrastructure, de financer des projets de connectivité et de large bande.

Nos collègues d'Innovation, Sciences et Développement économique Canada disposent également d'une importante enveloppe budgétaire pour faire avancer les objectifs du gouvernement fédéral en vue d'assurer la connectivité dans tout le pays. Nous n'y sommes pas encore, et je pense que cela créera de nombreux débouchés. D'un océan à l'autre, les gens auront accès à des emplois qui leur seraient inaccessibles sans une bonne connectivité ou pourront mieux communiquer avec les gens habitant ailleurs au Canada ou simplement dans le village voisin. À mon avis, cet objectif est absolument essentiel et des progrès ont été réalisés en ce sens, mais il y a encore du travail à faire.

Hugo Cyr : Très bien, merci.

Herb, avez-vous quelque chose à ajouter?

Herb Emery : Oui, je crois que c'est un problème très délicat, car il concerne la question de l'intérêt national. Prenons les projets du dernier kilomètre qui permettent, par exemple, d'assurer la pérennité des collectivités. D'un côté, ces investissements sont profitables à court terme pour les collectivités si elles n'ont pas à assumer le plein prix pour les services qu'elles recevront. D'un autre côté, de nombreux économistes feront valoir que le coût d'opportunité est d'investir cet argent dans un projet qui sera davantage source de revenus et d'emploi pour le pays. Ainsi, le gouvernement pourrait prendre cet argent pour investir dans ces pôles de croissance, une décision qui pourrait s'avérer, à long terme, plus judicieuse pour l'économie nationale et qui permettrait de répondre à la question – qui commence à se poser pour les écoles et les hôpitaux : « Avons-nous la population nécessaire pour garder ces infrastructures ouvertes? »

Nous devons avoir une discussion franche sur la pérennité des collectivités qui n'ont plus d'industrie et qui n'ont peut-être plus d'avenir. Il faut déterminer si le gouvernement fédéral a la responsabilité de garantir aux gens qui veulent rester dans ces collectivités une vie confortable ou un accès au plus grand nombre de services possible. Du point de vue de l'intérêt national, en particulier lorsque l'économie se contracte, ce ne sera pas la priorité. Il faudra, à un moment donné, entamer une conversation afin d'éliminer certaines infrastructures, pour ne pas avoir à en assurer l'entretien.

Je crois qu'au Canada, nous avons retardé ce dialogue, mais de plus en plus, la dynamique des grandes villes et leurs besoins vont nous obliger à avoir cette discussion. Beaucoup de décisions passives – sans qu'il n'y ait eu de discussion préalable – sont prises en ce moment. À certains endroits, les infrastructures qui brisent ne sont pas réparées et nous n'en parlons pas parce que les médias ne sont pas là pour faire la lumière sur ces situations. Au Nouveau-Brunswick, certains ponts couverts tombent en ruine et les autorités décident de ne pas les remplacer, mais cela complique les déplacements de quelques personnes.

Pour en revenir au télétravail, si nous favorisons les possibilités de travail à distance, nous pourrions alors nous demander pourquoi nous bâtissons un aussi vaste réseau routier autour de Toronto. Nous pourrions encourager le télétravail plutôt que le transport, mais sur le plan politique, je crois que si je me présentais à Toronto avec cette idée, je me ferais arracher la tête. Au bout du compte, ce sont des questions d'ordre politique, car il s'agit de jugements de valeur, de choix et de priorités. Il n'y a pas une seule bonne décision.

Hugo Cyr : Vous avez évoqué dans votre dernier commentaire la différence entre l'entretien des infrastructures et la construction de nouvelles infrastructures. Quels défis à long terme prévoyez-vous en ce qui a trait au développement économique et à l'infrastructure au Canada? Pourriez-vous, dans votre réponse, expliquer les défis et les possibilités que présente le fédéralisme pour ce qui est de résoudre ces problèmes émergents?

Herb Emery : Idéalement, lorsque vous construisez une infrastructure, vous mettez en place un mode de financement pour en assurer l'entretien continu et le remplacement, voire l'agrandissement au besoin. Or actuellement, on construit une infrastructure et on décide de laisser les générations futures s'occuper du reste, ce qui créera un trou dans le budget et fera en sorte que l'infrastructure se dégradera, car il est mieux vu de construire de nouvelles infrastructures que de réparer celles qui existent déjà. Si vous êtes propriétaire d'une maison, vous savez que de réparer le panneau électrique est bien moins excitant que de bâtir une annexe arrière.

Il y a beaucoup de choses à prendre en considération. Ce que j'aime du modèle de la Banque de l'infrastructure du Canada, c'est qu'en construisant une infrastructure rattachée à une tarification ou à un péage – et dont la propriété et l'exploitation sont souvent l'affaire du privé –, la pérennité et l'entretien de l'infrastructure pourraient être intégrés au financement du projet contrairement à la majorité des infrastructures publiques ou financées par l'État qui ne génèrent pas de revenus. Je crois que Toronto en a fait l'expérience lorsque la Ville a proposé d'installer un poste de péage sur l'autoroute Gardiner et l'autoroute 427. L'administration Wynne n'était pas très enthousiaste à cette idée en raison des réactions des électeurs à l'extérieur de la ville, mais le projet a complètement changé le modèle financier de Toronto, dont la part de la taxe sur l'essence allait être plus élevée que les recettes potentielles d'un poste de péage.

Nous devons envisager d'imposer une tarification sur bon nombre de ces infrastructures afin de résoudre une grande partie de nos problèmes d'entretien continu. Sur le plan politique, cette idée n'a pas la cote. Même les partenariats public-privé ne sont pas très populaires pour beaucoup de choses. Toutefois, si nous nous contentons de construire l'infrastructure, cela crée du passif pour les générations futures. Nous commençons par ailleurs à en faire les frais, surtout dans notre région où toutes les infrastructures construites en 1967 à l'occasion du centenaire se dégradent, comme ce barrage dont le passif s'élève à 5 milliards de dollars et qui doit être remis à neuf, mais pour lequel nous n'avons pas l'argent nécessaire.

Ces problèmes prennent de l'envergure lorsque vous ne financez pas l'entretien. C'est pourquoi je crois qu'à l'avenir, nous devrions tenir compte de ces coûts dans nos nouvelles constructions. Je pense par ailleurs que nous devrions discuter davantage de l'infrastructure principale qui devrait être remplacée par le nouvel actif au lieu de conserver deux actifs.

Hugo Cyr : Et selon vous, dans quelle mesure le fédéralisme présente-t-il des possibilités ou des défis à cet égard?

Herb Emery : Je crois que lorsque l'économie se porte bien, on ne parle ni de péage, ni de prix de construction, ni de financement. Les projets de construction foisonnent parce que tout le monde pense qu'ils sont gratuits. Si votre actif est trop grand pour votre population, vous aurez plus tard un problème d'entretien encore plus gros en raison de la base tarifaire. Vous n'aurez pas les moyens d'entretenir vos infrastructures électriques par exemple et vous aurez à constamment demander du financement fédéral ou à emprunter. Par conséquent, le rôle du fédéralisme ici est de réfléchir à qui profite un projet.

Plus un projet a des retombées locales, plus la part de financement locale sera grande. Si un projet a des retombées pour le reste du pays, mais qu'une petite province, disons, n'a pas les moyens de le réaliser dans la mesure souhaitée, Ottawa devrait intervenir pour que le plein potentiel du projet soit atteint. Cela pourrait être le cas pour un projet de ligne de transport d'électricité reliant le Nouveau-Brunswick au nord-est des États-Unis afin d'accroître les exportations d'électricité. Ottawa pourrait intervenir là où les intérêts personnels du Nouveau-Brunswick ne seraient pas suffisants pour concrétiser un projet aussi simple que celui-ci.

À l'échelle fédérale, nous devons nous demander s'il est dans notre intérêt que les provinces prennent les décisions ou si nous voulons qu'Ottawa régionalise de plus en plus ces décisions afin que les projets soient réalisés à une échelle qui nous rende plus compétitifs, qui permette une meilleure intégration de tout le pays et qui soit simplement plus viable à long terme. Encore une fois, je pense que le fédéralisme intervient sur le plan des finances et de l'établissement des priorités par rapport aux décisions que vous prendrez.

Hugo Cyr : Merci.

Alison?

Alison O'Leary : Pour approfondir la question, je dirais qu'une partie de cet enjeu se rapporte aux données, à la transparence et à la capacité des gens à voir et à comprendre l'infrastructure dont nous disposons au Canada et l'état dans lequel elle se trouve. Je pense qu'il est très, très important d'examiner les possibilités qu'a le gouvernement fédéral de recueillir et de transmettre des données objectives.

J'ai parlé des milliards de dollars répartis dans les enveloppes budgétaires de divers programmes qui relèvent de nous. Nous engageons une bonne partie de ces fonds. Nous regardons actuellement la prochaine génération de programmes d'infrastructures que mettra en place le gouvernement fédéral et je crois qu'il s'agit d'une réelle occasion pour les ordres de gouvernement de mettre en commun leurs points de vue et leurs données afin que nous, à la fonction publique, puissions rassembler toutes les pièces du casse-tête et analyser où nous en sommes, où en sont les besoins au pays, et quels sont les défis auxquels la population est confrontée. Il y a les charges d'exploitation – une réalité de ces projets –, mais le fédéral ne fournit généralement pas de financement à cet égard, il fournit plutôt les capitaux. De plus, si l'on regarde ce qui se passe avec l'inflation et l'indexation des coûts, qu'est-ce que cela impliquera dans l'avenir et comment pouvons-nous prendre tout cela en considération pendant que nous réfléchissons à notre façon de concevoir et de réaliser les programmes d'infrastructure?

Je crois qu'il est très intéressant de réfléchir à certaines de ces questions très importantes dans les circonstances actuelles, car je pense que vous avez parfaitement raison, Herb : les décisions prises aujourd'hui, demain, l'an prochain, auront des incidences à très long terme. Il est parfois facile de l'oublier.

Hugo Cyr : Merci. Nous avons ici une question du public. Serait-il plus efficace d'un point de vue énergétique de se concentrer sur la rénovation des infrastructures actuelles? Autrement dit, serait-il plus rapide et moins énergivore de les rénover?

Herb Emery : On parle de moins d'énergie, ici? J'essaie de comprendre le lien entre l'énergie et la rénovation. Rénover les infrastructures serait certainement une bonne façon de réduire leur consommation d'énergie. Il n'en demeure pas moins qu'il faut se demander qui en retirera des avantages. Si j'améliore l'efficacité énergétique de logements ou d'immeubles que je possède, cela diminuera mes coûts et, en tant que propriétaire, ce sera moi qui en retirerai des avantages. Je pense donc que dans ce cas, le gouvernement fédéral peut aider à couvrir les coûts initiaux que beaucoup d'administrations locales, gouvernements provinciaux ou ménages ont du mal à assumer.

Mais la question demeure : le gouvernement fédéral devrait-il assumer la totalité des coûts? C'est pourquoi il faut réellement réfléchir à la structure de cette aide financière initiale. L'autre aspect de cette question est qu'il y a des endroits où il est difficile de rénover les infrastructures. Cela nous ramène aux décisions difficiles : peut-être serait-il plus facile d'inciter les gens à s'installer là où il est possible de bâtir de nouvelles infrastructures et de réaliser des projets? Je sais que ce n'est pas une perspective agréable, mais nous voyons des exemples d'endroits où il est simplement trop difficile de s'occuper d'un vieux bâtiment.

Hugo Cyr : Très bien. Alison?

Alison O'Leary : J'aimerais ajouter rapidement, je sais qu'il nous reste probablement peu de temps, que c'est une excellente question. En fait, nous offrons actuellement un programme pour les édifices gouvernementaux qui permet soit de moderniser un immeuble pour en améliorer l'efficacité énergétique, soit de bâtir des immeubles carboneutres. Le gouvernement fédéral fournit du financement à cet égard, mais il y a généralement un partage des coûts avec les autres ordres de gouvernement. Il s'agit donc de permettre à ces deux possibilités d'exister et de laisser les communautés présenter des projets qui, selon elles, conviennent à leur réalité. Nous pouvons ensuite évaluer ces propositions sur la base des éléments dont j'ai parlé, notamment si le projet sert les intérêts nationaux.

Hugo Cyr : Une question qui revient sans cesse dans vos commentaires, en particulier dans ceux d'Herb, est celle de savoir où se fera sentir le bénéfice de l'infrastructure en question. Il y a des enjeux dont les effets se feront ressentir davantage à l'échelle locale et d'autres qui auront une portée beaucoup plus grande dans tout le pays. Par ailleurs, nous avons discuté du fait que le programme d'infrastructure fédéral aura des effets sur les infrastructures locales ou sera utilisé pour subventionner des projets locaux. Vous avez parlé, par exemple, des centres de loisirs. Dans quelle mesure s'agit-il d'une question qui relève du fédéralisme? C'est-à-dire, s'agit-il d'une question financière ou de tout autre ordre qui correspond à l'idée que le programme d'infrastructure fédéral doit atteindre des objectifs pancanadiens et laisser aux territoires ou aux provinces les questions plus locales? Comment cette question est-elle analysée?

Herb Emery : J'ai l'impression de toujours répondre en premier, mais laissez-moi commencer en parlant d'un type de projet qui suscite beaucoup de scepticisme quant à ses avantages : les stades de sport pour les équipes professionnelles. Souvent, le gouvernement fédéral subit beaucoup de pression pour financer la construction d'un nouveau stade afin qu'une équipe de la LNH ou d'une autre ligue reste dans la région. Or les avantages d'un tel projet sont très localisés. Même les gouvernements provinciaux soulignent que ce sont les entreprises privées qui en tirent profit. Nous ne sommes même pas certains si nous devrions nous engager dans ces projets. Au risque de me répéter, la pression exercée pour ce genre de projet est immense. Je crois que le premier à l'avoir subi de manière incessante a été Stephen Harper, quand Québec voulait attirer une équipe de la LNH. Donc, pour ce qui est de l'idée de savoir si le gouvernement fédéral devrait financer les sports professionnels par opposition aux autres priorités, je crois qu'il y a d'autres types de projets financés par la Banque de l'infrastructure pour lesquels nous nous soucions moins de la source des profits réalisés, car en ce qui concerne le péage perçu sur ces projets – si je comprends bien la raison d'être initiale de la Banque –, la population locale doit retirer des avantages de l'infrastructure pour que cette dernière reçoive du financement pour son remboursement. C'est un exemple de la discussion générale qui doit avoir lieu ou de la façon dont les personnes comme moi, embauchées par le gouvernement, démontrent les avantages du modèle entrées-sorties, c'est-à-dire si un tarif est imposé, les habitants pourront déterminer ce qu'ils considèrent être la valeur.

Si le gouvernement fédéral comprend le projet et voit qu'il y a des avantages à construire de grandes infrastructures, la discussion se transformera. À la question « Qui paiera? » s'ajouteront les questions : « Le projet est-il le bon? »; « Est-il au bon endroit? »; et « Est-il assez grand pour répondre à nos besoins? ». Mais encore une fois, brosser le portrait d'un projet nécessite une discussion, de la collaboration et de la coopération. C'est ce qui se produit parfois sur certains projets, mais il arrive aussi que les maires, les premiers ministres provinciaux et le premier ministre canadien se contentent de s'insulter et de faire du sur place. Nous verrons comment cela se passera.

Hugo Cyr : Alison?

Alison O'Leary : En effet, j'ajouterais que l'infrastructure publique et l'intérêt public sont certainement au cœur de nos meilleurs conseils lorsqu'il s'agit de prendre des décisions d'infrastructure ou d'investir dans les infrastructures. Mais, parfois, des décisions difficiles doivent être prises, n'est-ce pas? Parlons, par exemple, de résilience. De nombreuses localités sont aux prises avec l'érosion côtière, et à certains endroits, dans le nord, l'eau monte jusqu'à la véranda des gens. Il faut donc trouver des façons de discuter avec les gens et de leur parler des choix difficiles qu'ils doivent faire. Une fois que ces méthodes auront été déterminées, que peut faire le gouvernement fédéral et que peut-il apporter à la table de discussion pour aider à soutenir ces décisions locales dans des circonstances très difficiles? Je pense que c'est ici que doivent intervenir la collaboration, que j'ai mentionnée précédemment, et la coordination des intérêts pour prendre ces décisions vraiment difficiles.

Hugo Cyr : J'aimerais continuer sur ce thème. Tout au long de cette série de discussions, nous avons abordé la possibilité de réinventer le fédéralisme ou d'envisager le fédéralisme au-delà de deux acteurs. Quels sont les autres acteurs dont il faut tenir compte relativement aux défis en matière de développement économique et d'infrastructures comme ceux que vous avez mentionnés, et comment les amener à la table de discussion?

Alison O'Leary : Peut-être pourrais-je commencer si vous le permettez, Herb. À mon avis, les provinces et les territoires sont de toute évidence des acteurs clés. Les administrations municipales sont des acteurs clés. Les communautés autochtones sont des acteurs clés. C'est aussi le cas du secteur sans but lucratif et du secteur privé. Tous ces acteurs ont leur propre rôle à jouer et ont des intérêts et des objectifs bien à eux. En ce qui concerne leur participation à la table de discussion, je crois qu'un des aspects très importants est de les consulter et de leur offrir des possibilités d'avoir des discussions franches et ouvertes. Si je repense à mon travail aux affaires intergouvernementales, ce qui m'est apparu comme très important est la capacité de bâtir et d'entretenir des relations, n'est-ce pas? Pouvoir appeler un homologue provincial ou territorial et avoir une conversation honnête où chacun peut exposer son point de vue, et ce, même si vous tout vous pousse dans des directions opposées ou que vous savez que les tendances politiques vont dans des directions différentes.

Pouvoir maintenir ce dialogue et communiquer ce que chaque partie essaie de faire, puis tenter de voir où il pourrait y avoir des chevauchements potentiels où vous pourriez tous deux collaborer et peut-être proposer diverses avenues pour essayer de faire avancer les choses. Donc je pense que c'est vraiment important. Pour ce qui est de la mise en œuvre des programmes de financement, Infrastructure Canada dispose actuellement d'une gamme complète d'outils qui recourent à différents mécanismes pour que des fonds soient affectés à des projets. Des outils comme l'ancien Fonds de la taxe sur l'essence ou encore le Fonds pour le développement des collectivités, ce sont des transferts, n'est-ce pas? Ce sont des fonds remis directement aux communautés pour financer des projets locaux. Et les communautés prennent leurs propres décisions en ce qui concerne ces projets.

Nous avons également des accords bilatéraux avec les provinces et les territoires qui permettent de fixer une enveloppe budgétaire à partir de laquelle les provinces et territoires peuvent prioriser leurs projets. Enfin, nous avons des programmes de financement dans le cadre desquels les communautés, que ce soit les municipalités ou les communautés autochtones, et les organismes à but non lucratif peuvent faire une demande directement au gouvernement fédéral. Je crois que le fait d'offrir ces divers outils permet à différentes relations et dynamiques de voir le jour et d'intervenir lorsque nous essayons de faire avancer les projets.

Hugo Cyr : Herb, quelque chose à ajouter?

Herb Emery : Oui, en ce qui concerne le nombre croissant d'acteurs et d'intérêts en jeu, je pense en particulier aux Premières Nations, la discussion est différente, surtout lorsqu'il n'y a pas seulement des intervenants, mais aussi des titulaires de droits. Ça nous amène à réfléchir au passé, quand vous pouviez réaliser un projet si vous pouviez démontrer qu'il aurait des retombées pour le Canada. Donc, si votre projet d'oléoduc devait traverser plusieurs endroits, des personnes allaient être affectées, voire forcées de déménager, mais tant que le projet contribuait au PIB ou stimulait l'emploi, ce genre de chose ne constituait pas un obstacle. De nos jours, les personnes touchées par ces projets demandent à être consultées et elles influent davantage sur les décisions, et même le besoin de mener des évaluations environnementales et des évaluations de l'impact est en quelque sorte en train de changer la nature des projets qui seront exécutés. Avec le fédéralisme, alors que nous parlons de plus en plus de projets qui vont traverser les frontières provinciales, les municipalités ou les territoires des Premières Nations, le type de gouvernance, de négociation et de discussion doit changer pour qu'un projet bénéficie de l'acceptabilité sociale. C'est un mot qu'on entend souvent à propos de ce genre de projets.

Nous en avons vu quelques exemples. Énergie Est, par exemple, n'a pas su rallier l'opinion publique. Ce projet a commencé sous le signe de l'optimisme alors qu'on était presque certain de pouvoir le mener à bien. Mais Énergie Est s'est vite heurté à un problème : beaucoup de Canadiens qui allaient être touchés par le pipeline ne le jugeaient pas acceptable politiquement. Quant à Trans Mountain, le gouvernement fédéral a fini par faire l'achat du projet en raison de dynamiques entre l'entreprise privée et les permis de construction. L'une des solutions que nous devons envisager pour ces grands projets d'infrastructure – et j'ai l'impression que les autoroutes commenceront aussi à être visées – est simplement d'établir un meilleur environnement réglementaire et un meilleur cadre de consultation des intervenants et déterminer comment ces divers intérêts seront pris en considération pour parvenir à une décision. Nous ne pouvons tout simplement plus utiliser l'ancienne méthode de la règle de l'avantage net.

Hugo Cyr : Merci.

Dans le cadre d'analyse des théories de la régulation, on regarde différents instruments de régulation, différentes sortes d'incitatifs, différents moyens d'atteindre des objectifs. On a discuté beaucoup d'infrastructures publiques depuis le début, mais Herb, au début de sa présentation a bien souligné aussi l'importance des infrastructures privées mais qui remplissent des fonctions publiques. Peut-être si vous pouviez nous parler un peu de la conception qu'on a à Infrastructure Canada de ce rapport ou de l'utilisation de ce rôle des infrastructures publiques dans l'offre d'infrastructures globales nécessaires pour le pays. Donc, si vous pouvez nous dire quelques mots sur la conception qu'on a d'inclure le rôle des infrastructures publiques dans l'offre globale des infrastructures dont le pays peut avoir besoin.

Alison O'Leary : Je suis heureuse de commencer et, Herb, je vais vous laisser l'aspect privatisation puisque vous l'avez mentionné. Je pense que du point de vue d'Infrastructure Canada, notre intérêt réside vraiment dans l'infrastructure publique. Herb, vous avez parlé de la Banque de l'infrastructure. Il y a des façons d'attirer les investissements privés dans l'infrastructure publique. Je crois que l'infrastructure publique est une partie importante de l'ensemble des infrastructures. L'infrastructure globale dans le pays du Canada.

Prenez n'importe quel aéroport d'une grande ville. L'aéroport sera exploité par une entreprise privée, mais l'infrastructure servant à s'y rendre est peut-être de propriété publique. Il s'agit d'un élément important qui relie le privé au public, n'est-ce pas? Il est certes important de s'intéresser aux possibilités où l'espace d'infrastructure publique et l'intérêt général pourraient se greffer à certaines infrastructures privées. Pensons aussi à certaines autoroutes en Colombie-Britannique. Il s'agit d'infrastructures publiques qui n'ont toutefois pas de service cellulaire. Alors, comment inciter le secteur privé à construire des stations de base le long des routes qui, si elles n'ont pas de signal, peuvent être un risque pour la sécurité des personnes qui les empruntent? C'est le genre de situation qu'il faudrait examiner de plus près.

Mais peut-être, Herb, vous avez d'autres pensées à ce sujet ?

Herb Emery : Oui, je ferai de mon mieux pour répondre, mais après de nombreuses années dans l'Ouest, je pense que je saisis assez de mots pour comprendre l'essentiel. Je pense...

Hugo Cyr : Laissez-moi reformuler la question rapidement. Donc, essentiellement, quel devrait être le rôle de l'infrastructure privée dans l'offre mondiale d'infrastructures dont nous avons besoin au Canada? Et comment devrions-nous, par exemple dans les politiques du gouvernement fédéral en matière d'infrastructures, tenir compte de cette partie de l'offre?

Herb Emery : Eh bien, je pense que la réponse la plus courte est que le gouvernement fédéral n'a pas la capacité de faire beaucoup plus que les marges qu'il envisage par rapport à l'ampleur de la transition vers la carboneutralité que nous nous apprêtons à vivre. La plupart des capitaux dont nous aurons besoin et la plupart des infrastructures devront provenir d'un financement privé et ce sont les politiques et programmes fédéraux qui, selon moi, attireront ce financement. Cela ramène en quelque sorte le gouvernement à l'époque où il avait peu de moyens par rapport à l'ampleur des problèmes. Quand le pays a voulu développer l'Ouest, le gouvernement, faute de liquidités et de ressources, a dû trouver des moyens d'encourager la construction et le développement privés. Je pense que c'est en quelque sorte ce qui nous attend, mais le gouvernement fédéral aura beaucoup de pouvoir, grâce aux contrats qui seront conclus, pour établir les conditions régissant la construction et l'exploitation privées, ainsi que la tarification.

Il y a aussi d'autres cas où le gouvernement a tendance à se départir de ses infrastructures, comme Alison l'a dit avec les aéroports des grandes villes. C'est aussi le cas avec les autorités portuaires. S'il y a une occasion de développement des affaires dans un domaine que le gouvernement connaît peu, ce dernier peut céder l'exploitation de l'infrastructure à une entreprise privée qui s'y connaît mieux à ce sujet. Ainsi, l'actif de l'État pourrait générer plus de revenus simplement en scindant la propriété et l'exploitation ou le bail à long terme. Une fois de plus, ces questions se poseront de plus en plus en raison des réalités financières liées au fait que le gouvernement fédéral subira une forte pression pour bâtir les infrastructures dont le privé ne veut pas s'occuper : routes, égouts, systèmes d'approvisionnement en eau, etc. Il est difficile d'associer une source de revenus à ces projets, mis à part les impôts fonciers locaux.

Une pression immense sera exercée sur le gouvernement fédéral pour qu'il finance ces projets. C'est pourquoi, quand nous regardons les filières énergétiques, ces projets sont financés par le privé. Quand on se demandera s'il faut construire plus d'autoroutes ou revenir au transport ferroviaire, il faudra voir si un tel réseau pourrait être exploité par le privé. Ce sont des choix que nous devrons faire si le Canada adopte un règlement comme celui de l'Europe, qui vient d'interdire les vols court-courriers. Cela stimulerait les projets ferroviaires, notamment les liaisons ferroviaires à grande vitesse.

Je le répète, le gouvernement fédéral peut contribuer grandement à ces questions en mobilisant les entreprises et les capitaux privés – il lui suffit de créer un environnement propice aux investissements –, mais aussi en déterminant la trajectoire à suivre pour respecter les priorités nationales. Néanmoins, si nous décidons de développer le corridor ferroviaire Québec-Windsor, nous devrons aussi reconnaître que nous pourrions prendre des décisions concernant des régions qui ne s'arriment pas à ce projet. Allons-nous y investir de l'argent? Si vous avez obtenu la participation du privé, mais qu'il ne veut pas investir dans ces régions, peut-être se retirera-t-il du projet. C'est le genre de discussion qu'il faut avoir en tant que pays. Jusqu'à quel point l'intérêt du secteur privé déterminera-t-il notre direction? Quelle est la part du soutien du secteur public?

Hugo Cyr : La dernière question avance l'idée de l'infrastructure comme bien collectif. En ce qui concerne les infrastructures publiques et les infrastructures privées, une des personnes qui nous regardent aimerait savoir ce que vous pensez du capital naturel et du rôle de l'environnement en tant que bien public ou infrastructure publique, par exemple, les protections naturelles contre les inondations.

Herb Emery : C'est une excellente question parce qu'une fois encore, le défi du capital naturel, dont l'environnement – pensons aux milieux humides –, a toujours été sa rentabilisation, alors qu'il est facile de rentabiliser sa destruction, pour des projets résidentiels par exemple. Ce dont vous avez vraiment besoin... j'essaie de me rappeler la bonne définition du propriétaire... Ce n'est pas une propriété d'État, mais vous avez besoin d'une sorte de propriété ou de gérance sociale, et le gouvernement doit faire en sorte que la réglementation soit en place et que les options soient là.

S'il est dans notre intérêt d'avoir plus de milieux humides pour lutter contre les inondations et de ne pas faire de développement dans les régions sensibles qui finiraient par être coûteuses en infrastructures résilientes, comme les côtes, c'est au gouvernement de faire des choix difficiles. Par le passé, les administrations locales voulaient des revenus, donc, à partir des années 1960, de nombreux lotissements ont été construits, des mines ont été aménagées, etc. parce que l'emploi et le PIB étaient les impératifs à l'époque.

Or nous sommes aujourd'hui une société relativement riche et le programme de croissance inclusive pourrait s'opposer à ce type de développement et exiger que les gouvernements reconnaissent la valeur du capital naturel lorsqu'ils évaluent ce genre de projet, afin que les projets de société ne soient pas désavantagés par rapport à ceux qui auront un rendement immédiat beaucoup plus élevé parce qu'ils vont construire un tas de condominiums dans la nature. Un excellent travail est fait à cet égard. Je ne suis pas un contributeur, mais plutôt un consommateur. C'est un problème très complexe, et les gouvernements doivent trouver un mécanisme qui leur permettra de reconnaître la valeur s'ils ne sont pas en mesure de la monnayer.

Hugo Cyr : Merci. Alison?

Alison O'Leary : Il se trouve que nous avons lancé l'année dernière un nouveau programme, le Fonds pour les infrastructures naturelles, un nouvel instrument d'Infrastructure Canada qui cherche vraiment à savoir comment utiliser les infrastructures naturelles pour des choses comme l'atténuation des inondations ou l'adaptation aux changements climatiques. Je parle ici de toits verts, de parcs, d'aquifères naturels, de zones humides pour aider à contrôler les inondations, etc. Je crois que ces projets seront très intéressants, et ce, pour de nombreuses raisons. Les infrastructures naturelles peuvent être moins coûteuses que l'infrastructure grise traditionnelle et plus respectueuses de l'environnement. Par exemple, pas besoin de déplacer du béton. C'est un tout nouvel espace pour notre ministère. C'est vraiment intéressant. Nous avons lancé un appel de projets qui a récemment pris fin et nous sommes en train d'étudier les demandes reçues. Il s'avère qu'il s'agit d'une perspective très attrayante. Nous aurons par conséquent d'autres décisions difficiles à prendre quant aux projets retenus. Je suis toutefois très curieuse de voir les innovations que les gens proposent en lien avec les infrastructures naturelles et ce qu'elles peuvent faire pour nous aider à atteindre certains des objectifs jugés essentiels. Nous pourrions très bien, Herb, en tirer des leçons pour des considérations à plus long terme.

Hugo Cyr : Eh bien, je vous remercie beaucoup! Il nous reste d'autres questions, mais nous n'avons plus de temps pour continuer à y répondre.

C'est une conversation qui devra se poursuivre et qui va se poursuivre avec cette série. Donc, j'aimerais remercier nos panélistes et vous tous à travers le Canada d'avoir participé à cet événement. J'espère que vous avez apprécié l'événement autant que moi.

Vos commentaires sont précieux. Je vous invite donc à remplir les évaluations électroniques que vous recevrez dans les prochains jours. L'École a d'autres activités à vous offrir et je vous invite à consulter son site Web pour vous tenir informés et vous inscrire aux prochaines occasions d'apprentissage.


Je tiens, à titre de directeur général de l'École nationale d'administration publique, l'ÉNAP, ou aussi connue comme étant l'Université conseil pour l'excellence du service public dans la Francophonie, donc, je tiens à remercier l'École nationale d'administration publique, de m'avoir invité. Cette collaboration nous permet de mieux faire connaître notre institution qui demeure méconnue à l'extérieur du Québec contrairement à ce qui est le cas, je vous dirais, en Afrique francophone où nous sommes actifs depuis plus de 50 ans.

Donc, nous offrons les servies qui sont tout à fait complémentaire à ceux de l'EFPC et nous souhaitons évidement multiplier des occasions de collaboration avec l'EFPC, donc, l'École de la fonction publique du Canada. Donc, nous sommes une université qui n'offre que des formations créditées de deuxième et troisième cycle en administration publique et en politique publique, nous offrons aussi des services-conseils pour accompagner les ministères et organismes dans différents secteurs comme l'évaluation des compétences, l'aide à la dotation, accompagnement organisationnel, appui au développement de plan stratégique, conseil fondé sur des données probantes. Alison, vous avez bien souligné l'importance des données probantes dans la prise de décision, l'évaluation au programme public, des services de veille, d'organisations de Lab d'innovation, services d'étalonnage et ainsi de suite.

Bref, nous sommes très fiers de collaborer avec l'EFPC. Aujourd'hui, l'École de la fonction publique du Canada joue un rôle crucial depuis des années pour l'avancement de l'excellence du service public fédéral et nous sommes fiers de pouvoir collaborer avec elle en toute complémentarité pour atteindre cet objectif commun qui est celui d'assurer des services publics de la meilleure qualité possible.

Encore une fois, merci à tous! Bonne journée!

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