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Transcription : Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien : Questions juridiques dans le fédéralisme contemporain
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[00:00:03 L'écran s'estompe et Darlene H. Carreau apparaît dans un panneau de clavardage vidéo.]
Darlene H. Carreau : Bonjour et bienvenue à toutes et à tous à notre événement d'aujourd'hui sur les questions juridiques dans le fédéralisme contemporain, le neuvième d'une série intitulée Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien. Je m'appelle Darlene Carreau. Je suis l'administratrice en chef et première dirigeante du Service administratif des tribunaux judiciaires. Je serai votre animatrice aujourd'hui. Merci beaucoup de vous joindre à nous.
Permettez-moi de commencer par reconnaître que je m'adresse à vous en direct d'Ottawa, qui se trouve sur le territoire non cédé de la Nation algonquine anichinabée, qui y est présente depuis la nuit des temps. Certains d'entre vous se joignent peut-être à nous aujourd'hui à partir de diverses régions du pays et je vous encourage aussi à vous arrêter pendant quelques instants afin de reconnaître le territoire que vous occupez. Merci.
En tant qu'administratrice en chef et première dirigeante de nos quatre cours fédérales, je suis très honorée de jouer un petit rôle dans notre discussion de groupe d'aujourd'hui, dans le cadre de laquelle nous examinerons les régimes fédéraux, y compris le rôle important que joue la magistrature dans notre démocratie. Comme nous l'apprendrons aujourd'hui, la jurisprudence canadienne nous aide à interpréter les pouvoirs fédéraux et provinciaux définis en vertu de notre Constitution. Nos distingués panélistes nous aideront à mieux comprendre les complexités du fédéralisme et les possibilités qu'il nous offre, en tant que Canadiennes et Canadiens pour relever certains des enjeux contemporains les plus importants auxquels nous devons faire face aujourd'hui, y compris les changements climatiques et les soins de santé. Aujourd'hui, nous sommes extrêmement chanceux d'entendre deux experts de premier plan parler des enjeux juridiques dans le contexte canadien.
Notre premier distingué conférencier est Peter Oliver, professeur titulaire à l'Université d'Ottawa, et cofondateur et membre du Centre de droit public, ou Public Law Centre, de l'Université d'Ottawa. Il est l'auteur de The Constitution of Independence et coéditeur du Oxford Handbook of the Canadian Constitution, tous deux publiés par Oxford University Press. Avant d'occuper son poste actuel à l'Université d'Ottawa, il a été professeur de droit constitutionnel au King's College de Londres, chercheur invité au ministère de la Justice Canada et conseiller spécial en affaires juridiques et constitutionnelles au Secrétariat des affaires intergouvernementales du Conseil privé.
Notre deuxième distinguée conférencière est Johanne Poirier, professeure titulaire à la Chaire Peter Mackell sur le fédéralisme à la Faculté de droit de l'Université McGill À la Faculté de droit de McGill, elle enseigne le droit constitutionnel, le fédéralisme comparé et un cours sur les politiques publiques et les relations intergouvernementales. En 2017, elle a animé un séminaire de rédaction et réformes constitutionnelles intitulé « Moderniser » la Constitution du Canada. La majorité des publications de la professeure Poirier traitent de différents aspects du fédéralisme, de la protection des minorités, notamment les minorités linguistiques, et, de façon plus générale, du droit public. Avant de se joindre à la Faculté de droit de McGill, en 2015, elle a pratiqué le droit public au ministère de la Justice Canada et enseigné le droit constitutionnel comparé à l'Université libre de Bruxelles pendant plus d'une décennie.
Je souhaite la plus cordiale des bienvenues à Johanne et Peter et je vous remercie tous de votre présence aujourd'hui. Au cours de la séance d'aujourd'hui, Johanne et Peter feront une présentation de 20 minutes chacun et nous aurons ensuite une discussion de groupe animée, je l'espère, suivie d'une période de questions et de réponses avec le public. Nous encourageons donc les participants d'aujourd'hui à envoyer leurs questions dans la langue officielle de leur choix en cliquant sur l'icône de bulle de conversation située dans le coin supérieur droit de l'écran. Nous ferons le suivi de vos questions à mesure que nos présentateurs font leur exposé aujourd'hui et à la suite de la discussion de groupe, nous tenterons de répondre au plus grand nombre de questions possible avec le temps dont nous disposons.
Très bien. Sur ce, commençons. J'invite Peter à ouvrir la discussion. Peter, la parole est à vous.
[00:04:23 Peter Oliver apparaît dans un affichage du vidéoclavardage.]
Peter Oliver : Merci, Darlene, et bonjour à toutes et à tous. Je me concentrerai sur les règles constitutionnelles qui régissent le fédéralisme juridique au Canada. J'examinerai ensuite un ou deux exemples, tirés de la jurisprudence connexe de la Cour d'appel et de la Cour suprême du Canada, qui interprète et applique ces dispositions. Nous commençons, bien entendu, par les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui énoncent la distribution des pouvoirs législatifs. L'article 91 stipule qu'il sera loisible pour le Parlement de faire des lois relativement à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés. On voit ensuite une liste de catégories de sujets, ou de chefs de compétence, comme on les appelle souvent, qui comprennent des pouvoirs fédéraux importants, comme la réglementation du trafic et du commerce, au paragraphe 91(2), les banques, au paragraphe 91(15) et le pouvoir en matière de loi criminelle, au paragraphe 91(27). Les pouvoirs fédéraux comprennent aussi la paix, l'ordre et le bon gouvernement, selon les mots d'ouverture de l'article 91, ainsi que les entreprises et travaux fédéraux, principalement le transport transfrontalier et les entreprises de communication en vertu d'une exception prévue à l'alinéa 92(10)a).
L'article 92 prévoit que chaque législature provinciale pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ou chefs de compétence énumérés. Notons, par exemple, l'établissement, l'entretien et l'administration des hôpitaux, au paragraphe 92(7), les institutions municipales dans la province, au paragraphe 92(8), les travaux et entreprises d'une nature locale autres que ceux déjà mentionnés à l'article 91, soit le paragraphe 92(10) et, le plus important de tous, la propriété et les droits civils, au paragraphe 92(13) et généralement toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province, au paragraphe 92(16). Il convient aussi de mentionner que même si la loi criminelle relève de la compétence fédérale, les provinces peuvent, en vertu du paragraphe 92(15), imposer des amendes, des pénalités ou des peines d'emprisonnement dans le but de faire exécuter toute loi déjà soutenue de façon indépendante par un autre chef de compétence provincial.
Par exemple, les infractions provinciales et municipales liées à la conduite et au stationnement peuvent être accompagnées d'amendes. Deux ajouts doivent être mentionnés avant de terminer cet examen du texte constitutionnel qui porte sur la répartition des compétences. L'alinéa 92(10)a), ajouté par voie d'amendement constitutionnel en 1982, indique que les législatures provinciales peuvent exclusivement faire des lois relatives aux ressources naturelles non renouvelables, aux ressources forestières et à l'énergie électrique. L'article 93 porte sur une question qui se trouvait dans les ébauches originales de l'article 92 et qui y a toujours sa place, sauf qu'il est long et détaillé. L'article 93 traite donc de l'importante compétence provinciale en matière d'éducation. Enfin, l'article 95 indique que les législatures provinciales et le Parlement du Canada peuvent faire des lois relatives à l'agriculture et à l'immigration. C'est ce que l'on appelle un pouvoir concurrent. L'article 95 se termine en soulevant explicitement une question sur laquelle nous nous pencherons dans un instant, c'est-à-dire ce qui se passe quand des lois provinciales et fédérales sont en conflit. L'article 95 indique que les lois provinciales relatives à l'agriculture et à l'immigration n'y auront d'effet qu'aussi longtemps et que tant qu'elles ne seront incompatibles avec aucune des lois fédérales.
Bon, c'est beaucoup de texte constitutionnel, même si j'ai été sélectif. Donc, comment les tribunaux ont-ils appliqué ces dispositions? Vous avez déjà remarqué la référence assez fréquente à l'exclusivité des compétences. Nous avons aussi vu que la Constitution indique, à l'article 95 du moins, que tout conflit entre des lois fédérales et provinciales sera réglé en faveur des préférences fédérales. Qu'est-ce qui constitue un conflit entre des lois fédérales et provinciales? Et pourquoi y aurait-il un conflit en dehors des pouvoirs concurrentiels prévus à l'article 95 si les lois fédérales et provinciales sont censées être exclusives? La meilleure façon de mieux comprendre ces questions et d'autres est d'examiner les principaux outils d'analyse que les tribunaux ont mis au point afin de régler les litiges juridiques liés au fédéralisme. Il sera utile de faire ressortir trois mots-clés qui indiquent quel outil analytique est sur le point d'être déployé : la validité, l'effet et l'applicabilité.
D'abord, la validité. Afin de déterminer la validité de tout texte de loi, il faut suivre un processus à deux étapes bien connu. Premièrement, il faut définir la loi en question; deuxièmement, il faut la classifier selon le chef de compétence pertinent. Pour définir la loi, on en détermine l'essence, c'est-à-dire sa nature véritable ou, en termes plus familiers, ce sur quoi elle porte réellement. On détermine ensuite l'essence, ou la nature véritable de la loi, en fonction de son objet et de ses effets. Comment déterminons-nous l'objet? La cour nous suggère d'utiliser des éléments de preuve intrinsèque et extrinsèque. Les éléments de preuve intrinsèque se trouvent dans la loi. C'est ce que nous pouvons apprendre du préambule, du titre abrégé et du titre complet, de la clause d'objet et de la structure générale de la loi. Les éléments de preuve extrinsèque comprennent, par exemple, ce qu'aurait pu dire, à l'étape de la deuxième lecture, le ministre qui dépose le projet de loi. Les rapports de comités pourraient aussi être pertinents.
La Cour suprême du Canada nous a récemment rappelé que la pierre angulaire demeure ce que la loi dit réellement, et pas ce qui a été dit à son sujet, quoique cela puisse être utile. Les effets comprennent les effets juridiques et les effets pratiques, les premiers étant les effets que la loi semble envisager, les derniers, les effets involontaires ou ricochets. Il convient de mentionner qu'il y aura toujours des effets ricochet involontaires, ou des effets secondaires, comme on les appelle parfois, et leur présence ne rend pas la loi douteuse pour cette raison. Ce n'est que lorsque ces effets semblent mettre en doute l'objet législatif exprimé qu'il devient important de les analyser. Une fois le processus de définition terminé, on peut attribuer un chef de compétence à la loi en question. Si ce chef de compétence appartient à l'ordre de gouvernement prévu par la loi, la loi est valide. Si le chef de compétence relève d'un autre ordre de gouvernement, la loi pourrait donc être invalide. Comment savons-nous quand une loi est bien attribuée, bien ancrée, pour ainsi dire, dans un chef de compétence? Chaque chef de compétence a été élucidé dans un éventail d'affaires dont la Cour suprême du Canada a été saisie et nous devons les examiner afin de déterminer les exigences pertinentes ou les critères juridiques. Je crains toutefois de ne pas avoir le temps d'examiner la jurisprudence pour chaque compétence.
Revenons aux termes analytiques : après la validité vient l'effet. Que se passe-t-il lorsqu'il semble y avoir une certaine tension entre une loi fédérale valide et une loi provinciale valide, ou, probablement plus, une tension entre certaines dispositions de ces lois? La règle est la suivante : si les tribunaux supposent que ces dispositions sont en conflit, les dispositions fédérales seront prépondérantes, c'est-à-dire qu'elles auront préséance sur les dispositions provinciales, qui seront déclarées sans effet. On utilise les mots « sans effet ou inopérant » pour indiquer que la loi provinciale et toutes ses dispositions sont peut-être valides, mais qu'en raison du conflit, les dispositions provinciales ne fonctionnent pas. En outre, si les dispositions fédérales contradictoires devaient être abrogées, les dispositions provinciales autrefois contradictoires prendraient effet de nouveau, ce qui signifie qu'elles seraient toujours valides et deviendraient exécutoires. On dirait une règle importante, voire déséquilibrée, en faveur de la compétence fédérale, et c'est ce que c'est. Toutefois, au fil des ans, la Cour suprême du Canada a affiné le critère qu'elle utilise pour déterminer s'il existe réellement un conflit, ce qui fait en sorte que l'on conclut rarement à l'existence de conflits, ainsi qu'à la prépondérance fédérale et à l'incapacité provinciale connexe. L'arrêt Murray-Hill récent confirme cette tendance.
Au-delà des tendances, la Cour suprême du Canada a cerné deux situations qui peuvent donner lieu à la prépondérance fédérale et au caractère inopérant. Premièrement, l'existence d'un conflit d'application, et, deuxièmement, l'entrave à la réalisation de l'objet de la loi fédérale. La première de ces situations, le conflit d'application, survient lorsqu'une loi ou une disposition permet une chose, tandis que l'autre loi ou disposition l'interdit. La deuxième, l'entrave à la réalisation de l'objet de la loi fédérale, survient souvent lorsque le législateur fédéral a délibérément laissé la question non réglementée ou sous-réglementée, et qu'une province décide de réglementer ce domaine, ce qui fait entrave aux plans fédéraux. Dit de cette façon, vous pourriez croire qu'il y a souvent entrave à la réalisation de l'objet de la loi fédérale. En fait, elle n'a été appliquée que dans de rares cas, car la cour juge souvent que les domaines non réglementés par le gouvernement fédéral, ou la réglementation fédérale, laissent néanmoins place à une législation provinciale bien ancrée. C'était le cas dans l'arrêt Murray-Hill sur le nombre de plants de marijuana que l'on pouvait cultiver chez soi : la législation fédérale fixait une limite de quatre plants, tandis que celle du Québec établissait une limite de zéro, ou aucun plant. Il a été conclu que les deux étaient valides et exécutoires.
Enfin, il y a l'applicabilité. Jusqu'à présent, la validité et l'effet ont surtout porté sur la loi elle-même, sa nature véritable, et plus tard, sur l'éventuel conflit entre les législations fédérale et provinciales valides, ce qui nous oblige à nous concentrer de nouveau sur les dispositions détaillées. L'applicabilité, dans son usage quotidien, fait simplement référence au fait incontestable que, par exemple, la Loi sur les banques s'applique aux banques et la Loi sur les municipalités s'applique aux municipalités. Cela ne semble pas exiger une grande collaboration. Les cas les plus importants, donc, ne portent pas sur la façon dont une loi s'applique, mais plutôt sur la façon dont une loi est inapplicable. On dit que c'est la doctrine de l'exclusivité des compétences qui donne lieu au caractère inapplicable. Même si la Cour suprême du Canada semble avoir ouvert la porte à la possibilité que des lois fédérales soient déclarées inapplicables, la jurisprudence existante porte sur la législation provinciale. Beaucoup de lois provinciales ont une application générale en ce sens qu'elles s'appliquent à première vue à toutes les personnes et à toutes les entreprises qui habitent ou mènent leurs activités dans la province. Pensons, par exemple, aux lois du travail provinciales. À première vue, les lois du travail provinciales s'appliquent non seulement à vous et à moi, ainsi qu'à Canadian Tire et à Réno-Dépôt, mais aussi aux personnes et aux entreprises qui sont habituellement assujetties aux lois fédérales.
Donc, prenons les exemples les plus importants, des banques comme la CIBC et la Banque Royale, des sociétés de transport interprovincial et international comme Air Canada, VIA et les oléoducs de TransCanada, ainsi que des sociétés de communication interprovinciale et internationale comme Bell, Rogers et Vidéotron. En ce qui concerne cette liste de personnes et choses fédérales, par le passé, la cour reconnaissait une exclusivité, une exclusivité des compétences dans les cas où une loi provinciale d'application générale, comme les lois du travail, ne touchait que le cœur de la compétence fédérale en ce qui concerne les services bancaires, ainsi que les communications ou le transport interprovinciaux et internationaux. Compte tenu de la facilité avec laquelle il était possible de satisfaire à ce critère, ces entités, les banques et autres, ont profité d'une forteresse efficace en matière de compétence, un château fort, faisant en sorte qu'elles n'avaient à peine à porter attention à la législation provinciale.
Dans l'arrêt important Banque canadienne de l'Ouest, rendu en 2007, la Cour suprême du Canada a apporté des changements clés à cette doctrine, la doctrine de l'exclusivité des compétences. Premièrement, elle a affirmé que la législation provinciale serait inapplicable seulement dans les cas où, par exemple, elle entrave le cœur de la législation fédérale au lieu de simplement le toucher. Deuxièmement, la cour a déclaré que dans les cas où l'exclusivité des compétences fédérales entre en jeu à tout le moins, la doctrine ne s'appliquerait qu'aux chefs de compétences pour lesquels des précédents existaient déjà et ne serait pas élargie. On trouvait déjà une jurisprudence sur les banques et les sociétés de transport et de communication interprovinciaux et internationaux, c'est pourquoi je les utiliserai comme exemples. Dans l'arrêt Banque canadienne de l'Ouest, la cour savait très bien que cette décision représentait une perte de pouvoir fédéral; elle a donc rappelé aux autorités fédérales qu'elles avaient toujours le pouvoir de rédiger des lois qui entrent clairement en conflit avec les dispositions provinciales applicables et d'exercer ainsi la prépondérance fédérale.
Avec le temps qu'il me reste, j'aimerais vous donner une idée générale de la façon dont toutes ces doctrines et tous ces outils d'analyse fonctionnent au moyen d'une étude de cas. L'affaire que j'ai choisie est l'arrêt Renvoi relatif à l'Environmental Management Act, tranché en 2020, qui portait sur la validité, l'effet et l'applicabilité des amendements de 2018 proposés à l'Environmental Management Act de la Colombie-Britannique. Cette affaire importante est moins connue, entre autres parce que la Cour suprême du Canada a rendu un jugement oral, par l'entremise du juge en chef Wagner, dans lequel elle a simplement déclaré « Nous sommes toutes et tous d'avis de rejeter l'appel pour les motifs unanimes exposés par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique ». Les amendements proposés à l'Environmental Management Act de la Colombie-Britannique constituent la réponse du gouvernement à la suite de débats animés et d'élections provinciales au cours desquelles la construction du réseau TransMountain, et donc d'un oléoduc transfrontalier, a été un enjeu important. Les amendements proposés, entre autres, exigeaient des personnes en possession de pétrole lourd d'être titulaires de permis provinciaux au-dessus d'un certain seuil et autorisaient à la fois l'ajout de conditions à ce permis et des sanctions en cas de non-conformité.
Heureusement, avec l'introduction de la loi sur la répartition des compétences, on savait que le procureur général du Canada obtiendrait gain de cause dans la contestation des amendements proposés s'il pouvait prouver qu'ils étaient invalides, ou valides, mais inopérants, ou valides et inopérants, mais inapplicables à TransMountain, une entreprise fédérale de transport interprovincial. En fin de compte, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a jugé que même si les amendements de la province avaient été rédigés comme s'ils avaient une application générale, leur objet et leur effet véritables étaient de réglementer le pipeline TransMountain, une entreprise de transport fédérale. Par conséquent, les dispositions provinciales étaient invalides. Il n'était pas nécessaire de déterminer si elles étaient applicables : si elles étaient invalides, elles ne pouvaient pas s'appliquer, ou si la loi fédérale avait prépondérance. Si la loi provinciale est invalide, il ne peut, par définition, y avoir de conflit, et il n'est pas nécessaire de le régler en faveur des préférences fédérales.
Avant de terminer, j'aimerais mentionner deux termes clés qui ont été absents de la discussion jusqu'à présent. Le premier est fédéralisme coopératif; le deuxième, double aspect. Nous avons d'abord examiné le libellé des articles 91 et 92, puis les références fréquentes aux chefs de compétence exclusifs. Le terme exclusif donne l'image de lois fédérales et provinciales ancrées soigneusement et en toute sécurité dans des zones distinctes. Peu importe si les rédacteurs de notre constitution voulaient donner cette image de compartiments étanches de la répartition des compétences, la complexité accrue des politiques, de la société et de l'économie canadiennes l'a rendue irréalisable. L'expression compartiments étanches transmettait une idée de compétences fédérale et provinciale qui se chevauchent à peine.
Depuis le milieu du dernier siècle, la Cour suprême du Canada adopte de plus en plus une version plus souple du fédéralisme où l'empiétement sur la compétence n'est plus l'exception. On appelle ce modèle le fédéralisme coopératif. Cette étiquette ne signifie pas que les tribunaux forceront des acteurs intergouvernementaux à coopérer. Elle signifie plutôt que des doctrines, comme celles que nous avons examinées cet après-midi, sont conçues de telle sorte que les chevauchements sont prévus, même attendus. Nous trouvons une preuve de cette tendance dans le fait que, par exemple, la définition de conflit en vertu de la doctrine de la prépondérance fédérale est exposée de manière à rendre le caractère inopérant provincial improbable, et dans le fait que la vieille doctrine de l'exclusivité des compétences, inspirée par une version de compartiments étanches, a été diluée.
On trouve d'autres preuves de fédéralisme coopératif, plutôt qu'étanche, dans ce que nous appelons la doctrine du double aspect. De temps à autre, la Cour suprême du Canada nous a rappelé que trois niveaux, ou trois points de vue au moins, entrent en jeu dans les affaires liées à la répartition des compétences. Premièrement, il y a le ou les chefs de compétence. Deuxièmement, il y a les textes législatifs ou réglementaires. Et troisièmement, il y a les activités menées dans la société canadienne que ces textes visent à toucher. La doctrine du double aspect signifie, par exemple, que même si le Parlement est le seul à avoir compétence en matière de loi criminelle et que la province est la seule à avoir compétence sur les affaires locales et privées, les lois ou règlements bien ancrés édictés par ces ordres de gouvernement peuvent tous deux réglementer la conduite sur les autoroutes. Il en est ainsi à cause de ce que nous appelons la doctrine du double aspect, soit le fait que les lois fédérales et provinciales peuvent réglementer de façon valide les autoroutes.
L'environnement et le secteur de la santé, par exemple, nous incitent parfois à penser que les activités elles-mêmes, comme les autoroutes, l'environnement et le secteur de la santé, ont un double aspect. Il s'agit d'un dérapage dangereux de notre raisonnement si, d'une part, nous commençons à voir ces activités en tant que secteurs de fait où le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux exercent conjointement leur compétence. D'autre part, il est permis et compréhensible de ne jamais oublier que les deux ordres de gouvernement peuvent seulement légiférer de façon valide s'ils ont satisfait aux critères à deux volets pour la validité que nous avons vus en premier. Cela signifie, par exemple, que le Parlement peut légiférer l'innocuité des médicaments, mais pas la gestion des hôpitaux. Je suis convaincu que vous aurez des questions au sujet de tout cela. Je m'arrête ainsi et je cède la parole à la professeure Poirier. Je me réjouis à l'avance de répondre à ces questions en temps voulu. Merci, thank you.
Darlene H. Carreau : Merci beaucoup, Peter. C'était une vue d'ensemble instructive des règles constitutionnelles qui régissent le fédéralisme juridique au Canada. Vous avez donné d'excellents exemples des façons dont nos tribunaux ont aidé à régler les conflits entre les lois et la compétence du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux.
Johanne, je vous laisse faire votre présentation.
[00:23:50 Johanne Poirier apparaît dans un affichage du vidéoclavardage.]
Johanne Poirier : Merci beaucoup, madame Carreau, et merci de ce résumé des plus clair. Il nous faut habituellement cinq ou six heures pour enseigner ce que vous avez enseigné en 20 minutes. C'est tout un exploit. Je suis vraiment honorée de parler à ce public de fonctionnaires aujourd'hui.
[00:24:14 Une diapositive portant le titre « Plan » s'affiche et on peut y lire ce qui suit :
- La valse entre le « dualisme » et le fédéralisme « coopératif »
- Le fédéralisme coopératif et le « droit intergouvernemental » : clarifier les concepts
- Répertorier et décrypter les « techniques » juridiques de coopération : les « écheveaux normatifs »]
J'ai travaillé à la fonction publique pendant quelques années avant de faire carrière dans le milieu universitaire, comme madame Carreau l'a mentionné, et je garde de très bons souvenirs de mon expérience au ministère de la Justice. Je suis aussi fascinée par le fait qu'il y avait en fait une série sur le fédéralisme, et je m'en réjouis, parce que nous pensons que le fédéralisme a en quelque sorte été relégué aux oubliettes. Ce n'est pas que nous ne le pratiquons pas. Je veux dire, il est très difficile, je suppose, de travailler à la fonction publique fédérale ou provinciale et de ne pas pratiquer le fédéralisme chaque jour.
[00:24:36 Une diapositive portant le titre « Plan » s'affiche et on peut y lire ce qui suit :
- Modelés fédéraux : quelques rappels de base…
- Le fédéralisme coopératif et le « droit intergouvernemental » : clarifier les concepts
- Répertorier et décrypter les « techniques » juridiques de coopération : les « écheveaux normatifs »]
Cependant, pour ce qui est de l'étudier réellement, de se salir les mains, il est souvent relégué au second plan, en partie à cause de l'intérêt à l'égard de la Charte et d'autres questions. Et pourtant, il est en fait d'une importance cruciale pour la solidité de notre démocratie de nous intéresser à nos institutions fondamentales. Je vous en félicite. Et, bien sûr, je me sens comme une enfant dans une confiserie, et je suis ravie d'y être aujourd'hui.
Donc, au cours des quelque 18 minutes qu'il me reste, j'aimerais faire trois choses assez complexes. J'irai donc très vite. En français, on dit attachez votre tuque et en anglais, on dit « buckle up ». J'espère avoir le temps de tout faire. J'utilise beaucoup d'éléments visuels parce que les concepts que je veux aborder ont tendance à être un peu complexes et il peut parfois être utile de regarder une image. J'aimerais donc faire trois choses. Premièrement, j'aimerais revenir à la structure de la fédération canadienne que Peter a présentée à partir de la répartition des compétences. Qu'est-ce que cela veut-il dire d'avoir des pouvoirs exclusifs? Comment la fédération a-t-elle été créée en 1867 et comment a-t-elle évolué d'un point de vue juridique? Deuxièmement, je parlerai du concept de fédéralisme coopératif dont Peter a parlé, qui a plusieurs sens. Il veut dire quelque chose pour la Cour suprême, mais il a un sens différent dans d'autres contextes. Nous tenterons de le comprendre. Nous verrons ensuite un concept que je commence à explorer : le droit intergouvernemental. Vous savez, nous examinons des questions juridiques et le fédéralisme et, de mon point de vue, le droit n'est pas seulement lié à la répartition des compétences. Le droit s'infiltre dans d'autres aspects de la gouvernance fédérale et nous devrions y porter attention. Troisièmement, pour l'illustrer, mais très rapidement, j'attirerai votre attention sur l'importance des techniques juridiques élaborées par les organes politiques, les organes législatif et exécutif, afin de présenter l'interaction entre les ordres fédéraux et provinciaux, parfois même entre des ordres provinciaux qui recourent à des techniques juridiques. Elles sont difficiles à trouver, mais elles existent, et dans un pays fondé sur la primauté du droit, à un moment donné, l'action publique doit délaisser les décisions stratégiques et politiques au profit de normes juridiques. Comment s'y prend-on dans un système fédéral? C'est beaucoup plus compliqué que dans un État unitaire.
Donc, certains modèles fédéraux sont très simples. Voici l'architecture de 1867, soit un système fédéral dualiste. Je résume ici et il y a des nuances, mais, essentiellement, tout le monde est dans sa propre maison.
[00:27:24 Une diapositive s'affiche et on peut y lire le titre « Modèles fédéraux : quelques rappels de base… » au-dessus d'un texte qui indique : Des cases rouges et bleues représentant le gouvernement fédéral et des unités de gouvernement constitutives (provinces et territoires) sont présentées. Une flèche nommée « Exécution » pour chacune pointe de la législature directement à la case « Exécutif ».]
L'ordre fédéral en tant que législature, les deux chambres, et je pourrais rendre les choses plus compliquées en mentionnant le Roi et tout ce qui se trouve au Parlement. Présentons les choses de cette façon : il y a essentiellement le Parlement et l'organe exécutif, qui, bien sûr, dans notre système parlementaire, a la confiance de la Chambre, mais exécute aussi la législation. Par conséquent, vous êtes tous des fonctionnaires, vous mettez en œuvre des lois et des programmes fédéraux, et vous êtes financés par l'ordre fédéral. Vous exécutez des politiques fédérales, et cela doit être tellement évident que vous ne pensez même pas qu'il pourrait y avoir d'autres façons de faire. Les provinces font la même chose. Elles ont leur législature, leur organe exécutif et leur administration publique, et si nous allions encore plus bas, je ne l'ai pas présenté ici, mais de façon générale, les tribunaux administratifs au moins suivent aussi cette conception cloisonnée et fondée sur des piliers du fédéralisme. Chacun dans sa chambre. Donc, vous êtes un fonctionnaire. Si l'une de vos décisions ou l'une de vos lois est contestée, vous irez devant la cour fédérale que madame Carreau administre. Et si vous vous trouvez dans une province, vous devrez vous présenter devant un tribunal administratif de cette province et éventuellement devant sa Cour supérieure. Encore une fois, le tout à l'intérieur de vos vases clos.
Comparons maintenant cela à, et vous vous demanderez pourquoi je parle de…non, en fait, permettez-moi de vous montrer une image d'abord. Cela ressemble un peu à des maisons en rangée. Comme je viens de Montréal, je vous présenterai une image de Montréal : pensez à ces belles maisons en rangée dans le quartier du Plateau, où tout le monde est dans sa maison, mais tous sont rapprochés et, d'une certaine façon, reliés. Ce n'est pas tout à fait comme ça, parce qu'il y a la Constitution au sommet, mais vous comprendrez que chacun est assez autonome. Examinons maintenant un modèle fédéral différent, que je présente parce que ce n'est pas seulement abstrait. Vous verrez plus tard qu'il a une valeur heuristique ou explicative lorsque nous examinerons la façon dont nous pratiquons le fédéralisme au Canada.
[00:29:31 Une diapositive s'affiche et on peut y lire le titre « Fédéralisme intégré : Style allemand Des cases rouges et bleues représentant le gouvernement fédéral et des unités de gouvernement constitutives (provinces et territoires) sont présentées. Une flèche nommée « Exécution » pour chacune pointe de la case « Législature » directement à la case « Exécutif ». Des flèches relient la Chambre haute de la législature fédérale à l'Exécutif des unités constitutives et sont nommées « Exécution de la loi et des programmes fédéraux » et « Désignations ».]
Voici un système fédéral de style allemand, mais on trouve les mêmes dans l'Union européenne, en Suisse ou en Autriche, par exemple, et il est quelque peu différent. La législature fédérale adopte des lois et dispose d'un exécutif plus restreint et, particulièrement, une d'une fonction publique plus restreinte qui n'exécute qu'une partie de ses politiques et de sa législation dans quelques domaines seulement, par exemple, la défense, les affaires étrangères et ainsi de suite. Les politiques publiques, même celles qui sont fédérales, sont en grande partie mises en œuvre par la fonction publique du Länder, l'équivalent des provinces.
Si on le transpose au Canada, cela signifie qu'il y aurait beaucoup moins de fonctionnaires dans l'ordre fédéral. La plupart d'entre vous travailleraient en fait pour les provinces, mais vous mettriez en œuvre des lois provinciales et fédérales. Quel système étrange. C'est comme si les provinces étaient des mandataires du système fédéral. Bien sûr, vous devez vous rappeler que dans ces systèmes, le Länder, l'équivalent des provinces, participe beaucoup plus activement à l'élaboration des lois à l'échelle fédérale. Il est donc beaucoup plus présent dans l'équivalent de notre Sénat. C'est un peu comme si nos premiers ministres siégeaient au Sénat avec différents ministres pour élaborer les lois publiques au niveau fédéral qu'ils doivent ensuite mettre en œuvre. C'est une logique différente et nous pourrions en parler encore longtemps, mais gardez cette idée à l'esprit. Cela ne ressemble pas à ces petites maisons en rangée. C'est plus comme un condominium. Chacun a sa maison, mais tous partagent la plomberie et l'électricité et c'est beaucoup plus fonctionnel.
Voyons maintenant les concepts du fédéralisme coopératif, qui a plusieurs sens. Il y a le fédéralisme coopératif politique, que l'on appelle souvent le fédéralisme exécutif, ce qui est essentiellement la diplomatie fédérale-provinciale. Toutes les négociations partent du haut, au niveau des ministres ou du premier ministre, vers les différents niveaux de l'administration publique. Tous les comités, tous les types de coopération officielle et en grande partie informelle se déroulent essentiellement dans tous les domaines stratégiques dans lesquels vous travaillez. Il y a toujours un aspect politique et, par politique ici, je veux dire, non juridique. Vous savez, notre fonction publique est, en théorie, apolitique. Elle ne prend donc pas nécessairement des décisions politiques. Elle prend des décisions stratégiques, mais pas nécessairement par des moyens juridiques ou ancrés dans la loi. Le fédéralisme coopératif peut aussi avoir un sens juridique. Il peut être constitutionnalisé. Au Canada, nous en avons à peine. Encore une fois, pensons à 1867. Nous avons des institutions autonomes, qui ont des pouvoirs exclusifs. Elles ne sont pas censées interagir. S'il y a une interaction, c'est essentiellement la suprématie de la loi fédérale sur les provinces ou, parfois, la suprématie de Londres sur Ottawa. Autrement, il n'y a aucune interaction. Chacun est censé faire ses choses. Cependant, dans certains régimes fédéraux, la constitution peut bien sûr prévoir des règles du jeu, des règles d'interaction ou des règles d'engagement, par exemple en constitutionnalisant certaines institutions, certains organes ou certains principes, par exemple. Au Canada, ce n'est pas le cas, mais je le mentionne parce que l'on dit parfois qu'il serait utile de l'avoir.
Nous avons le fédéralisme coopératif judiciaire et c'est ce dont Peter parlait. Nous passons d'un système dans lequel il n'y a pratiquement aucun chevauchement, en théorie, en droit. Cela signifie donc, selon la concurrence des lois, l'article 95, sur l'immigration et l'agriculture. En théorie, c'est cela. Et par l'intermédiaire de toutes les doctrines qui ont évolué au fil du temps, que Peter a examinées pour nous, nous avons fini par créer un chevauchement. Il ne s'agit pas exactement de pouvoirs partagés, mais plutôt du double aspect. Voyons quelle est la différence entre les deux. En fait, la façon dont la Cour suprême utilise le fédéralisme coopératif ne signifie pas nécessairement qu'elle vous contraindra à coopérer ou qu'elle vous imposera des sanctions si vous ne coopérez pas et que vous ne faites pas du bon voisinage ou que vous blessez en fait votre voisin dans le système fédéral. Nous nous intéressons plus à ce qui peut être fait par qui, et non à la façon de le faire. Nous ne nous pencherons pas sur cette question. Certains systèmes fédéraux ont des principes de bonne foi ou de loyauté fédérale qui permettent aux tribunaux d'intervenir en peu plus en disant « ce que vous avez fait ici va à l'encontre de la loyauté fédérale, de la fédération, du bon esprit ou de la bonne foi et vous ne devriez pas le faire. Vous avez le pouvoir, mais vous ne devriez pas l'exercer de cette façon ». Nous n'avons pas cela au Canada. Le fédéralisme coopératif signifie essentiellement d'éliminer le plus possible les obstacles entre les exclusivités afin de permettre davantage de chevauchement. On se dit que s'il y a plus de chevauchement, les entités, ou les autorités fédérales et provinciales coopéreront davantage. À mon avis, ce n'est pas convaincant, parce qu'elles pourraient se battre plus si elles ont compétence et que nous ne savons pas nécessairement qui fait quoi. En somme, c'est l'idée et c'est pourquoi on l'appelle le fédéralisme coopératif.
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Dimensions juridiques
- En amont
- Normes et principes constitutionnels, répartition des compétences, interprétation constitutionnelle
- Entre les deux
- Techniques législatives et exécutives
- En aval
- Contrôle judiciaire (action administrative en contexte coopératif) + Autres mécanismes juridiques d'imputabilité de l'exécutif »
"Acteurs :
- En amont
- Pouvoir constituant et pouvoir judiciaire
- Entre les deux
- Branches législatives et exécutives
- En aval
- Tribunaux administratifs + Comités parlementaires]
J'arrive à l'autre sens, l'exécutif et le législatif. Ce que j'ai dit, et il s'agira de la diapositive la plus accablante, j'en suis désolée et je vous demande d'être indulgents. J'en viens au droit intergouvernemental. C'est une question que je commence à examiner et vos commentaires me seront donc extrêmement utiles. Après avoir travaillé sur ce concept au cours des dernières années, mon constat est que le droit infiltre le système fédéral de différentes façons et sous différents angles. L'un deux est en quelque sorte en amont. C'est ce dont Peter parlait. La répartition des compétences, l'interprétation de la constitution par les tribunaux et, à l'occasion, les principes fédéraux, quoiqu'on ne les utilise pas beaucoup dans ce contexte au Canada, forment le cadre, la toile de fond. Après, une fois que nous avons fait cela et, en fait, lorsque nous pensons au droit et au fédéralisme, nous nous demandons habituellement ce qui est indiqué dans le contrat, dans la constitution, et ce que les tribunaux en disent. Qui fait quoi? C'est l'objet du droit.
Cela s'explique en partie par le fait que nous avons un système fondé sur la common law qui met beaucoup l'accent sur ce que les juges disent et qui parfois ne tient pas compte de ce que les organes législatif et exécutif font, à savoir que l'organe législatif légifère et que l'organe exécutif exécute, mais ils adoptent aussi des lois secondaires, des règlements et des décrets, entre autres. Ils utilisent aussi les instruments normatifs qui font également partie du système juridique dans leur ordre respectif. Pensez au dualisme : ces pouvoirs adoptent des lois et des règlements qu'ils appliquent ensuite dans leur domaine de compétence exclusive. Nous constatons cependant qu'il y a un chevauchement, un chevauchement accru, une interaction accrue afin d'atteindre des objectifs stratégiques, ce qui est fait, bien entendu, par la politique. Il faut accepter d'assurer une coordination dans une certaine mesure. Il y a la politique : il faut avoir un objectif pour dire « c'est mieux si nous le faisons ainsi, je vous laisserai faire votre partie, je déléguerai une partie de la compétence ou nous négocierons, ou je n'imposerai pas les mêmes règles à toutes les provinces ». Il peut y avoir une certaine symétrie. Tout est question de politique et de politiques. Après cela, la façon dont vous faites le travail fait appel, de nombreuses façons, à des instruments juridiques, qui sont cachés dans la législation. J'y reviendrai à la diapositive suivante. Ils sont cachés, ils sont difficiles à trouver, mais ils existent et c'est très étrange, d'une certaine façon, qu'ils ne soient pas plus visibles et plus étudiés, et qu'ils ne fassent pas partie de notre train de vie juridique. On trouve donc en amont, la constitution, au milieu, le travail que font les organes législatif et exécutif lorsqu'ils utilisent des instruments juridiques, et, en aval, en quelque sorte, les éléments de l'examen minutieux que fait, en grande partie, le pouvoir exécutif par l'intermédiaire du contrôle judiciaire et de son examen parlementaire.
[00:38:21 Une diapositive s'affiche et porte le titre « Le DROIT INTERGOUVERNEMENTAL : 3 volets » au-dessus du texte suivant :
'Dimension juridique :
- En amont (upstream)
- Normes et principes constitutionnels, répartition des compétences, interprétation constitutionnelle
- Entre les deux (midstream)
- Techniques législatives et exécutives
- En aval (downstream)
- Contrôle judiciaire (action administrative en contexte coopératif) + Autres mécanismes juridiques d'imputabilité de l'exécutif'
"Acteurs :
- En amont (upstream)
- Pouvoir constituant et pouvoir judiciaire
- Entre les deux (midstream)
- Branches législatives et exécutives
- En aval (downstream)
- Tribunaux administratifs + Comités parlementaires.]
Voici les acteurs, bien sûr, les tribunaux et les comités parlementaires, et ainsi de suite. Encore une fois, pensez au dualisme. Les modes d'examen de notre système canadien ont été pensés en vase clos. Le contrôle judiciaire est mené dans votre vase clos par votre tribunal administratif. La Cour fédérale n'examinera que les actions fédérales, tandis que les cours provinciales n'examineront que les actions provinciales. Alors, que se passe-t-il quand il y a confusion? Où ces demandes sont-elles envoyées? À la porte de quelle cour allez-vous cogner? Quelle loi s'applique? C'est très flou parfois. Il en est de même pour l'examen parlementaire par l'intermédiaire de comités, par exemple. Il y a un comité qui examine les règlements. Que se passe-t-il donc lorsqu'un règlement est délégué d'un ordre à un autre, comme il est possible de le faire? J'y reviendrai. Encore une fois, il s'agit d'un aspect très important parce que, bien entendu, l'examen minutieux de l'exécutif est l'un des éléments qui permettent de ne pas verser dans la monarchie absolue. Il fait partie de la primauté du droit et de la démocratie, et si les choses se compliquent et que nous ne savons plus qui fait quoi, ou qu'une partie s'infiltre ou ne soit pas contrôlée, toutes les personnes ayant la primauté du droit à cœur devraient être préoccupées. Donc, quelles sont ces techniques?
Pardonnez-moi, je n'ai pas suivi le temps. Darlene, pourriez-vous me dire combien de minutes il me reste afin de déterminer la vitesse à laquelle je dois passer le contenu en revue?
Darlene H. Carreau : Vous avez encore facilement 10 minutes, Johanne. Oui.
Johanne Poirier : C'est génial. D'accord, excellent. Merci. Nous sommes donc dans la partie du milieu. Nous avons donc la partie en amont, la configuration de la constitution. En aval, on trouve le contrôle. Nous arrivons ensuite au milieu. Il y a donc différentes techniques. J'ai eu cette révélation, car on effectue parfois des recherches universitaires très honnêtes, et j'étais fonctionnaire. Je crois au rôle de l'État et des autorités publiques. Je crois que je suis un produit de mon époque, celle de la Révolution tranquille : je crois en l'État et je crois qu'il faut avoir des institutions adéquates. Je me suis dit, d'accord, nous parlons de fédéralisme coopératif et nous savons qu'il existe. Mais comment se manifeste-t-il concrètement? Comment la coopération se développe-t-elle? J'ai donc commencé à examiner certaines affaires où la cour, par exemple, la Cour suprême, devait se pencher sur la validité de certaines lois ou de certains règlements. Cependant, ces lois et règlements n'ont pas été adoptés seulement par un ordre de gouvernement; ils ont été adoptés dans le contexte de ce que j'appelle un cadre normatif, quelque chose de très complexe où l'on trouve la loi fédérale, les lois provinciales, les règlements, les accords intergouvernementaux et différents décrets, un tissu complexe d'éléments pour accomplir le travail, si vous voulez. Ces stratagèmes laissent souvent les tribunaux perplexes parce qu'ils s'écartent de notre structure fondamentale, qui demeure cloisonnée et fondée sur des piliers.
J'ai donc commencé à analyser ces affaires pour déterminer ce qui les sous-tendait. Quelles sont les normes et que se passe-t-il? En fait, certaines de ces techniques sont bien connues et vous les trouverez dans les livres de droit public ou de droit constitutionnel, et dans d'autres qui ne sont pas aussi étudiés et, de toute évidence, on ne les rassemble pas au même endroit. C'est vraiment étrange. J'ai commencé à faire des entrevues avec des fonctionnaires assez généreux et aimables pour me consacrer de leur temps et je leur ai demandé quel était le livre à consulter. Où est le guide? Comment puis-je trouver ces méthodes pour leur enseigner? En toute honnêteté, et la réponse m'a été donnée rapidement, il n'y aucune guide, encore moins rien de public, rien d'accessible au public, donc nous en avons une partie, mais nous n'en sommes pas certains. Les rédacteurs juridiques utilisent ces techniques. Ils sont une mémoire institutionnelle, vous savez, il doit y avoir des notes de service internes quelconques, mais pas vraiment de guide. Je suis sans doute très naïve, mais j'espère, au cours des prochaines années, commencer à rédiger un guide qui examine ces techniques et la façon dont elles s'appliquent dans des domaines stratégiques précis pour montrer à quel point il est difficile d'élaborer des lois dans un système fédéral parce que le droit est aussi mobilisé, encore une fois, dans cette partie du milieu.
Quelles sont ces techniques? Encore une fois, je ne pourrai pas les expliquer toutes, mais allons-y rapidement. Lois et règlements types Si vous cherchez à voir un genre d'uniformité et d'harmonisation, vous pouvez avoir un modèle, et les gouvernements provinciaux, parfois même le gouvernement fédéral, adopteront des lois très semblables. Ils ne peuvent pas adopter une seule loi parce que chacun possède des institutions, une législature et des ordres juridiques qui lui sont propres. Ils peuvent toutefois exposer un genre d'harmonisation ce faisant. Nous avons parfois des lois très parallèles. Elles sont différentes, mais aux fins de notre discussion, pensons qu'elles se ressemblent beaucoup. Une loi ou un règlement peut être incorporé par renvoi. Parfois, un ordre de gouvernement peut dire qu'il a, disons-le ainsi, compétence en matière de marketing interprovincial des œufs et que la province a elle aussi compétence dans ce domaine, ce qui leur exige de coordonner leurs efforts. Ce n'est peut-être pas le bon exemple, mais l'ordre fédéral pourrait dire qu'il incorporera la loi provinciale dans ce cas précis ou vice versa. Ils ne font pas qu'adopter la même loi. Un ordre dit essentiellement que sa loi sera ce qui se trouve dans la loi d'un autre parlement. C'est ce que l'on appelle parfois l'interdélégation oblique. En voici un exemple. Je crois que l'expression courante en anglais est « inter-delegation ». En français, cependant, nous ajoutons le terme « oblique », qui indique que c'est de cette façon et il est en fait très utile. Nous avons certaines règles concernant les modifications aux lois fédérales et provinciales. Il peut arriver que l'on soumette la modification de sa propre loi à la condition de tenir certaines consultations avec les provinces. Le parlement dit qu'il modifiera ses règlements, mais qu'il consultera les provinces au préalable. On tient compte, à tout le moins, de l'intérêt des provinces à cet égard.
En ce qui concerne la législation conditionnelle, je n'ai pas le temps, mais j'ai cerné au moins six façons différentes de dire « vous faites ceci, nous faisons cela et nous devons savoir ce que fait réellement chaque ordre de gouvernement ». Des milliers d'ententes intergouvernementales, dont certaines, voire la plupart, ne seraient pas juridiquement contraignantes, selon ce que les gens pensent. J'affirme depuis 20 ans que certaines d'entre elles sont juridiquement contraignantes et qu'elles font donc entrer en jeu la loi, ou à tout le moins, qu'elles font partie d'un immense réseau normatif, lequel alimente le système, même s'il existe des règlements fédéraux et provinciaux. On trouve aussi parfois des institutions intergouvernementales, qui, dans certains cas, ne sont pas légalisées, n'ont pas de statut juridique, tandis que dans d'autres cas, elles le sont. Je vais vous donner un exemple : j'ai su récemment que certains conseils interministériels avaient ce que l'on appelle une personnalité juridique et cela m'a laissée vraiment perplexe. Le fait d'avoir une personnalité juridique signifie essentiellement que l'on peut poser des gestes légaux, comme signer des contrats, louer des lieux et créer des baux. Sur le plan légal, c'est impossible, si l'on est une simple entité non juridique et un organe intergouvernemental formé de différentes provinces de façon officieuse. Quelqu'un doit le faire pour vous. L'une des provinces loue les bureaux, et ainsi de suite. Cependant, si vous avez une personnalité juridique, vous devenez comme une société et vous pouvez embaucher des employés et louer des locaux. Certains conseils interministériels l'ont effectivement fait. Ils utilisent donc les outils juridiques d'une société à but non lucratif pour se donner la capacité. Encore une fois, c'est une loi cachée, mais c'est une dimension juridique du fédéralisme.
Je vous donne rapidement deux exemples. D'accord. J'y arrive. Rappelez-vous le fédéralisme dualiste, chacun dans sa maison. Voici ce que fait l'interdélégation : elle repose sur la prémisse selon laquelle on ne peut transférer les pouvoirs législatifs d'un ordre à un autre parce que cela ressemblerait à un amendement constitutionnel. Les tribunaux ont dit qu'il était impossible de le faire, mais ils ont aussi dit que l'on pouvait déléguer un pouvoir réglementaire ou des fonctions administratives à un autre ordre de gouvernement afin d'uniformiser les choses et d'offrir un guichet unique pour certaines choses. Revenons au marketing de produits agricoles ou aux entreprises de transport, qui ne sont pas assujettis à des règles fédérales et provinciales selon qu'ils franchissent la frontière d'une province ou non. Les gouvernements doivent donc harmoniser les choses et ils le font parfois de ces façons. En fait, c'est très simple, mais vous vous souvenez peut-être que cela ressemble un peu à l'Allemagne. C'est ponctuel, mais, en essence, il est possible que le gouvernement fédéral l'élabore et qu'une province le mette en œuvre. Il est intéressant de constater qu'au Canada, cela peut aller dans les deux directions, par exemple, la délégation des fonctions policières provinciales à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), comme le font huit provinces. Et cette délégation s'effectue par l'intermédiaire d'un système semblable, mais plus complexe.
Je vous donne rapidement un exemple. La Loi sur les pêches contient environ sept techniques de coopération différente, ce qui est étrange. Je l'ignorais. Je l'ai découvert par hasard. C'est un employé de Pêches et Océans Canada que j'interrogeais qui m'a donné un exemple et m'a dit que le Ministère avait fait quelque chose avec une province. J'ai donc dit, d'accord, examinons la Loi et trouvons ces sept techniques différentes. Celle-ci est très simple. Pour une raison quelconque, les huîtres relèvent de la compétence fédérale, tout comme le poisson, qui ne reste pas au même endroit. Les pêches sont extrêmement complexes. Les pêches relèvent de la compétence fédérale, sauf que, dans le cadre d'un régime, l'ordre fédéral délègue à la province la possibilité d'accorder des baux pour faire de l'ostréiculture. C'est, bien sûr, très banal, sauf si vous êtes un amateur d'huîtres ou une ostréicultrice ou un ostréiculteur, mais, ce que je veux dire, c'est qu'il faut une loi pour le faire. On ne peut pas simplement dire de laisser la province le faire, parce que cette dernière n'a pas compétence en temps normal. Il faut utiliser des outils juridiques pour le concrétiser.
Je donne un dernier exemple et je terminerai là-dessus, Darlene. Ceci illustre, les deux genres d'ovales, le double aspect. En ce qui concerne la consommation de drogue dure, je ferai un résumé ici, mais c'est un peu une caricature : il y a la compétence fédérale par l'intermédiaire du pouvoir en matière de droit pénal, une approche plus répressive, et il y a l'approche de réduction des méfaits pour la santé des provinces. Les deux s'appliquent au même problème et aux mêmes personnes. Vous avez peut-être entendu récemment que la Colombie-Britannique est exemptée de certaines dispositions pénales parce qu'elle a réussi à convaincre Ottawa, ce qui signifie qu'il s'agit d'une décision stratégique et politique, qu'elle voulait élargir son approche de réduction des méfaits et réduire la répression pour gérer la crise des opioïdes, entre autres. Que fait-elle après qu'une entente a été conclue? L'entente devait être politique, bien entendu. Ensuite, on passe de cette situation où la loi fédérale s'applique à une où elle ne s'applique pas. Ce ne sont pas les tribunaux qui disent qu'elle ne s'applique pas. Ce sont les organes politiques. La législature dans ce cas le permet d'une certaine façon et c'est la branche exécutive qui expose les situations dans lesquelles elle ne le permettra pas et dans ce cas elle choisit de ne pas appliquer ses lois dans l'ensemble de la province. Et, dans ce cas, la réglementation sera assurée par une loi provinciale. Encore une fois, il fallait le faire en recourant à des moyens juridiques. C'est en fait assez difficile à trouver et à présenter ensuite. Je crois cependant que c'est en fait très important. En fin de compte, le fédéralisme coopératif ne ressemble pas à de belles petites maisons en rangée ou même à un condominium. Il ressemble davantage à Habitat 67. Et, pour moi, la loi est le mortier qui fait en sorte que tout se tient et le rôle des avocats est de découvrir de quoi ce mortier est composé. Merci beaucoup.
Darlene H. Carreau : Merci, Johanne. Merci beaucoup de cette excellente vue d'ensemble du fédéralisme coopératif et de nous avoir présenté votre travail sur le droit intergouvernemental. J'ai aimé l'accent que vous avez mis sur l'importance de la primauté du droit et votre explication et vue d'ensemble des techniques juridiques de coopérations, y compris les exemples des huîtres et des substances contrôlées. Merci à vous deux de ces présentations. Nous sommes maintenant rendus à la partie discussion de groupe de l'événement. Je rappelle à tous les membres du public que le temps est venu de poser vos questions à Peter et à Johanne en cliquant sur l'icône de bulle de discussion située dans le coin supérieur droit de votre écran si vous ne l'avez pas déjà fait. Pendant votre présentation, Peter, j'ai reçu une question qui vous était adressée et je vous la poserai pour lancer la séance. Quelle est la raison d'être de la règle de prépondérance des dispositions fédérales et qu'est-ce qui la justifie? S'agit-il d'un impératif à la survie à long terme de la fédération?
Peter Oliver : Je ne suis pas certain de comprendre toute la question, mais je suppose que l'on cherche à savoir si le régime juridique complet que je viens de décrire est impératif. Je suppose que nous devrions suivre le texte comme il est rédigé, étant donné que je ne suis pas certain des options de rechanges qui s'offriraient. Je vais interpréter la question un peu et je dirai que nous voyons sans aucun doute dans ce que j'ai décrit une évolution de la façon originale dont les articles 91 et 92 sont énoncés vers un fédéralisme coopératif et un certain nombre des doctrines que j'ai expliquées. Elles n'ont pas été inventées par la cour par créativité judiciaire, quoique certains me contrediraient à ce sujet, mais plutôt parce que l'État s'est élargi pour faire du travail, pas seulement celui d'État providence. Il fallait aussi accroître la réglementation. C'est très complexe et je crois que la cour est arrivée à la conclusion que l'approche de compartiments étanches ne convenait pas et devait être adaptée. D'après ce que je crois, le titre de la série est L'arbre vivant. C'est le titre général. Nous parlons de fédéralisme aujourd'hui, mais il ne fait aucun doute que L'arbre vivant a eu une incidence sur le fédéralisme. C'est pourquoi je dois ajouter tout ce glossaire aux articles 91 et 92, ce qui m'a pris 20 minutes. Mais, comme Johanne l'a mentionné, j'aurais pu en dire beaucoup plus. Je vais m'arrêter ici pour aujourd'hui.
Darlene H. Carreau : Parfait. Thank you.Merci, Peter. Voici une autre question intéressante de notre public. Les règles de validité, d'effet et d'applicabilité s'appliquent-elles encore en cas de conflit entre une loi fédérale et une loi autochtone ou est-ce la loi fédérale qui a préséance?
Peter Oliver : Johanne, voulez-vous répondre? Je ferai une brève remarque à ce sujet. C'est une question que la Cour suprême a tranchée très clairement dans une affaire nommée Tsilhqot'in, il y a près de 10 ans. La doctrine de l'exclusivité des compétences que je décrivais était élaborée de façon relativement importante en ce qui concerne les peuples et les terres autochtones. Dans l'arrêt Tsilhqot'in, la Cour a déterminé qu'il ne s'agissait pas de la façon la plus appropriée de l'analyser parce qu'il est question de l'examen des peuples et de terres autochtones, pour déterminer s'ils relèvent de la compétence fédérale ou provincial et, de toute évidence, il manque une partie importante dans cette histoire. La Cour a donc déclaré que nous devons commencer par l'article 35, qui n'est pas le sujet de cet événement, mais la plupart d'entre vous savent qu'il s'agit de la disposition qui protège les droits autochtones, les droits issus de traités et les droits qui protègent les activités et le titre ancestraux. La Cour a donc déclaré que nous devons commencer avec l'article 35 et chercher à savoir si les droits autochtones existent. Ensuite, dans un courant jurisprudentiel distinct, nous devons trouver des règles pour déterminer si les lois fédérales et provinciales peuvent limiter ces droits, dans une certaine mesure. La Cour a indiqué que c'était la meilleure façon de l'analyser, plutôt que par l'intermédiaire de doctrines du fédéralisme élaborées à d'autres fins. Johanne, voulez-vous ajouter quelque chose?
Darlene H. Carreau : Merci. Cela me permet de revenir à un point au sujet de l'âge de notre constitution fédérale. J'ai mentionné l'année 1867 à plusieurs reprises et nous sommes encore régis de la même façon qu'en 1867. Bien sûr, en 1982, on a ajouté la Charte et l'article 35, et l'interprétation de certaines parties de la Constitution de 1867 a évolué, y compris la répartition des compétences afin d'avoir moins d'exclusivité. Il n'a toutefois pas eu de refonte. Et dans cette constitution, comme vous le savez probablement tous, les peuples autochtones ne sont pas traités comme des acteurs constitutionnels. Ils sont davantage traités comme des objets d'une législation et ils relèvent de la compétence fédérale. Au fil du temps, cependant, à cause de la notion judiciaire de fédéralisme coopératif, entre autres, il y a eu davantage de chevauchement et de reconnaissance que la loi provinciale pouvait aussi s'applique à des peuples et terres autochtones donnés. Ils doivent donc composer avec plusieurs compétences, provinciales et fédérale, d'une certaine façon. Vient ensuite la question de savoir s'ils ont un lieu où légiférer. Ont-ils un gouvernement autonome dans notre système canadien? En fait, cette question est approfondie et fait même l'objet de litiges à l'heure actuelle.
La Cour suprême rendra une décision très importante cette année sur l'imbrication de l'article 35 et du fédéralisme, et sur la mesure dans laquelle le gouvernement autonome prévu à l'article 35, s'il est reconnu, modifie la règle du jeu qu'est le fédéralisme. Cela ne créera manifestement pas un troisième ordre de gouvernement aussi vite, mais c'est une possibilité, si la cour confirme la loi. Il s'agit de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Si la cour confirme le régime, cela laissera de la place pour l'élaboration de lois autochtones, du moins dans le domaine des services à l'enfance et à la famille. Ce n'est pas en modifiant la répartition des compétences qu'on le fait. C'est plutôt par…je ne peux même pas en expliquer les détails. Essentiellement, c'est la législation fédérale qui quitte une partie de la sphère fédérale afin de laisser cet espace aux peuples autochtones. Et s'il y a un confit, cela dépend. Parfois, une loi fédérale sera prépondérante parce que nous imposons certaines règles, par exemple, en ce qui concerne l'intérêt de l'enfant, et, parfois, la loi autochtone pourrait être prépondérante. Cette prépondérance n'est pas accordée par la constitution, mais dans une loi fédérale. Je sais que c'est très technique, mais la réponse à la question, c'est que nous ne le savons pas vraiment encore et ce sera sporadique jusqu'à ce que nous ayons réellement le courage d'instaurer une réforme constitutionnelle.
Darlene H. Carreau : Merci, Johanne et Peter. Voici une autre question du public au sujet de l'exemple de l'exception de la Colombie-Britannique à certains aspects de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Des personnes d'autres provinces qui sont assujetties à ces aspects pourraient-elles soulever des questions d'équité? Pourrait-on faire valoir que les exemptions doivent être appliquées à l'échelle du pays?
Johanne Poirier : C'est très intéressant parce que le fédéralisme permet une symétrie. Il permet une symétrie par définition, car les provinces ont compétence et elles en font ce qu'elles veulent. Donc, l'idée selon laquelle tout le monde doit être traité de la même façon à l'échelle du pays va en fait à l'encontre de l'éthique du fédéralisme. En même temps, nous avons des droits constitutionnalisés et ils comprennent les droits à l'égalité. La question devient donc de savoir comment nous interprétons ces droits. Ces droits imposent-ils parfois un certain niveau d'uniformité? Dans la vieille jurisprudence, la Cour suprême a reconnu que même des lois fédérales pouvaient être appliquées différemment dans différentes provinces et que cela ne porte pas nécessairement atteinte aux droits garantis par la Charte. Dans une affaire en particulier, il s'agissait même de règles de procédure pénale différentes, qui étaient très importantes. Si vous n'êtes pas assujetti aux mêmes procédures de droit pénal dans les différentes provinces, vous pourriez penser que vous n'êtes pas traité de la même manière et qu'il y a eu atteinte à vos droits. La Cour suprême a répondu par la négative et déclaré que c'était permis dans notre système fédéral. La réponse, et, bien entendu, je ne suis qu'une professeure dans mon bureau, je ne suis pas juge à la Cour suprême, est que nous ne le saurons pas tant que cette cour ne se sera pas prononcée. Cependant, en théorie, c'est permis.
Et, dans certains cas, il est toujours possible de présenter une demande. L'idée ici serait probablement que les individus exercent des pressions sur leur province pour conclure la même entente que celle qu'a obtenue la Colombie-Britannique. Il serait très difficile, en théorie, pour un ordre fédéral de refuser si tout est conforme et que tout est en place.
Darlene H. Carreau : Merci, Johanne. Donc, depuis 1867 et la séparation constitutionnelle des pouvoirs, le fédéralisme canadien a fait preuve d'une grande résilience pour répondre aux besoins des Canadiennes et Canadiens. Selon vous, comment les cadres et théories du fédéralisme canadien sont-ils appliqués à la politique canadienne au XXIe siècle? Peter, voulez-vous nous donner le coup d'envoi?
Peter Oliver : Certainement. En fait, ma réponse est en grande partie liée à ce que je disais tout à l'heure au sujet de la série L'arbre vivant. Nous pouvons déjà voir, lorsque l'on regarde le passé, que la doctrine a beaucoup évolué. Et il ne s'agissait pas d'une évolution pour le simple plaisir de la chose. Il s'agissait d'une évolution pour trouver des solutions juridiques qui correspondent mieux à une société canadienne en changement et toujours plus complexe. Je crois qu'on voudrait en dire de même pour l'avenir. La question devient donc de savoir quels sont les défis de l'avenir. Ceux qui sont mentionnés régulièrement méritent toujours de l'être. Encore une fois, le contexte général et local pose un immense défi. Nous avons peut-être des problèmes de santé publique, nous en avons eu un immense d'ailleurs, mais ils ne disparaissent jamais, dirait-on. Il y a aussi des enjeux liés à la technologie, à l'intelligence artificielle et à ChatGPT, et nous devons tous les gérer. Et, bien entendu, l'évolution se poursuivra. Je suis content que les règles tel qu'elles existent supposent la coopération. Comme Johanne le mentionnait, la coopération et le chevauchement peuvent donner lieu à un conflit, mais cela peut aussi contraindre des parties plus susceptibles de travailler en vase clos à communiquer. Je fais parfois l'analogie suivante : autrefois, la législation était ancrée de façon distincte, en compartiments étanches. Maintenant, l'hypothèse est que tout le monde a un peu plus de corde, ce qui signifie qu'il y a risque de collision. Vous devez donc allumer votre radio afin de parler aux autres parties et vous devez aussi poser des pare-chocs, étant donné qu'il y aura des collisions.
Pour conclure, je dirais, et je reviens à ma réponse à la deuxième question à laquelle j'ai répondu que les gouvernements fédéral et provinciaux ne sont pas les seuls protagonistes, même s'ils sont au cœur du fédéralisme. Les territoires sont un acteur important depuis un certain temps. Johanne a parlé des groupes autochtones, un acteur extrêmement important. Aussi, depuis les dix dernières années, dans le milieu universitaire à tout le moins, on parle beaucoup des villes et l'une des réactions contre cette idée, c'est que l'on a toujours dit qu'elles étaient les « créatures de la province ». À mon avis, de nombreuses villes, la Ville de Québec, par exemple, existaient bien avant toute province. Nonobstant cela, ce sont dans les villes que l'on trouve la majeure partie de la population, elles sont d'immenses moteurs de l'économie et je crois que l'un des grands enjeux de l'avenir sera de comprendre comment notre constitution de 1867 peut libérer une partie de ce pouvoir et permettre de gérer seulement certains des enjeux que les villes nous présentent.
Darlene H. Carreau : Merci. Johanne?
Johanne Poirier : Oui. Je vais revenir une fois de plus à ce que j'ai dit tout à l'heure sur l'âge de la Constitution. Les articles 91 à 95 sont poussiéreux et illisibles. Ils sont tellement XIXe siècle. Et pour contourner ce problème, nous avons réinterprété certaines dispositions et fait des ajouts. L'environnement s'y trouve, donc nous devons lui trouver une place. Il en est de même pour l'intelligence artificielle, comme vous l'avez dit, et ainsi de suite. Il faut donc y travailler soi-même. À quel point cela se rapproche-t-il de la primauté du droit? Je veux dire, le fondement de la primauté du droit est de connaître la loi. Alors, on ouvre la Constitution et, après l'avoir lue, on ne sait pas vraiment qui fait quoi. C'est très intrigant. Lorsque nous enseignons le droit constitutionnel canadien à l'étranger, particulièrement le fédéralisme, le fait que la Constitution de 1867 soit encore la loi, la loi suprême du Canada, laisse les gens perplexes. Pensez-y : après l'avoir lue, vous pensez essentiellement qu'une monarchie très solide aux vastes pouvoirs fédéraux est en place et qu'il n'y a pratiquement rien de moderne. Donc, les autres acteurs, les tribunaux et les organes politiques ont dû jouer avec la Constitution. Cela montre à quel point elle est malléable, comme un arbre vivant. C'est en partie de l'interprétation et en partie de l'action des autres organes. Il est vrai qu'il y a beaucoup de coordination et de coopérations, mais il y a aussi beaucoup de zones grises et de limites à ce que nous pouvons faire avec un contrat qui est tout simplement si vieux. Peter a donné l'exemple des gouvernements locaux et des villes. Il y a deux ans, la Cour suprême a rendu une décision sur le pouvoir et sur la légitimité démocratique des villes et elle a atteint une limite, et je résume et je paraphrase beaucoup ici, et ce n'est pas totalement juste, mais elle a essentiellement dit que les villes sont des créatures de la province et que c'est là que réside la protection constitutionnelle de la démocratie. Il y a donc des limites à la façon dont on peut restructurer une constitution. Encore une fois, je ne suis pas une rêveuse, mais, en fait, je le suis peut-être un peu, mais l'idée est qu'il y a une limite à la malléabilité d'un texte. On se demande donc qui peut le modifier autant, de sorte que l'on puisse non seulement ajouter ou réinterpréter des pouvoirs, mais aussi donner à un gouvernement autonome une place dans l'ordre constitutionnel. On l'a fait, comme je l'ai dit, morceau par morceau avec les peuples autochtones, en partie parce qu'ils sont ancrés dans leurs droits garantis par l'article 35. Cela leur donne donc un tremplin pour essayer de le faire, mais pas les municipalités. Il y a donc des limites à la mesure dans laquelle une constitution du XIXe siècle peut s'adapter aux situations contemporaines.
Darlene H. Carreau : Très intéressant. Intéressant. Il y a beaucoup d'acteurs, et l'élasticité. Allons-nous manquer d'élasticité? Doit-on la moderniser? Il y a beaucoup à dire à ce sujet. J'ai une autre question du public, qui veut savoir ce que vous pensez d'un système judiciaire ou d'une législature, donc j'imagine que vous pouvez choisir votre organe du gouvernement, qui met en œuvre un système pour gérer adéquatement le chevauchement ou l'interdélégation lorsque le système actuel est composé de vases clos qui ne tiennent pas compte de la coopération ou qui n'ont pas la capacité de coopérer.
Peter Oliver : Johanne, voulez-vous commencer? Étant donné qu'il est question de vase clos…
Johanne Poirier : Est-ce à moi d'y répondre?
Peter Oliver : Oui.
Johanne Poirier : J'espérais que vous m'aidiez. Bien, pour l'instant, je suis surtout, encore une fois, je fais (inaudible), je constate à quel point nos mécanismes d'examen sont inadéquats pour la réalité entremêlée du fédéralisme coopératif sur le terrain. Disons que je ne suis pas rendue à l'instauration d'une réforme. Si je devais me pencher sur la réforme du système parlementaire, il faudrait imaginer, à tout le moins dans un ordre fédéral, un comité conçu pour examiner les ententes intergouvernementales et, essentiellement, la délégation aux provinces. Cela resterait tout de même en vase clos. Au moins, on pourrait voir ce qui se passe. Mais cela demeurerait en vase clos. Pourrait-on le faire différemment? Eh bien, c'est possible. Je veux dire, je rêve en couleurs, mais imaginez des comités interparlementaires où des parlementaires de différents ordres se réunissent et décident de se pencher sur la façon dont nos parlements, l'organe exécutif en particulier, ont collaboré afin de voir si les objectifs ont été atteints et d'examiner la façon dont ils sont censés agir lorsqu'ils sont dans leur vase clos. Encore une fois, notre système n'est pas assez souple pour gérer la réalité. La fédération impose des limites en raison de sa structure. Il en est de même pour le contrôle judiciaire. On pourrait imaginer des tribunaux administratifs plus unis, je suppose, quoique je ne sois pas spécialiste des pouvoirs judiciaires. S'il n'y a pas de délégation, et je parlerai en termes techniques, des pouvoirs prévus à l'article 96 afin que certains tribunaux soient constitutionnalisés, il pourrait être possible de créer un tribunal mixte ou de désigner un tribunal qui a réellement le pouvoir d'examiner les mesures interdéléguées ou intergouvernementales mixtes. Parfois, on le fait dans le régime de réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, maintenant mort, voire jamais né, que la Cour suprême a confirmé, mais que les parties n'ont jamais mis en œuvre. Il y avait donc un arrangement très complexe composé de lois et de règlements fédéraux et provinciaux, ainsi que des ententes et un genre d'autorité, qui ressemblait à un organe intergouvernemental, et un conseil des ministres, et ainsi de suite. On trouvait aussi dans cet arrangement un tribunal, qui était en quelque sorte intergouvernemental.
Après cela, je ne me rappelle plus où les appels des décisions de ce tribunal devaient être interjetés. C'est peut-être qu'ils étaient interjetés devant les cours provinciales et montaient ensuite les échelons, je ne me souviens plus. Il fallait toutefois y penser à un moment donné parce que, bien entendu, les cours d'appel n'agissent pas de concert. Elles agissent séparément. Et si vous avez un organe qui met en œuvre une loi provinciale, la cour fédérale ne peut pas examiner une mesure administrative provinciale, pas pour l'instant du moins. Donc…
Peter Oliver : J'aimerais ajouter quelques commentaires. Merci, Johanne, de vous être lancée en premier pour répondre à la question, parce que je crois qu'elle parlait, d'après ce que vous avez dit, d'un système canadien très cloisonné. En 1867, il avait l'air très cloisonné et, à mon avis, il nous est tellement utile de voir comment un autre système fédéral comme celui de l'Allemagne est différemment configuré. Vous pourriez dire que, même si nous avons commencé en vase clos, l'élaboration du fédéralisme coopératif par les tribunaux et toutes sortes d'autres pratiques intergouvernementales représentent des tentatives de réponse à la question posée par la personne. Le problème au Canada, cependant, n'est pas lié aux règles juridiques, qui peuvent s'additionner; il réside plutôt dans le fait que la pratique intergouvernementale est…quel mot dit-on, Johanne? Obscure?
Johanne Poirier : Opaque.
Peter Oliver : Opaque! Obscure? Nous voulions donc le faire ressortir, le montrer en plein jour et Johanne est allée encore plus loin dans sa réponse et a parlé de la façon dont nous pouvions non seulement le faire ressortir, mais aussi l'améliorer. C'est ce que je comprends de cette question, de la présentation de Johanne et de sa réponse. J'espère que ça vous aide.
Darlene H. Carreau : Merci. J'en ai une question en français. Johanne, si j'ai bien compris, votre dernier exemple par le fédéral pourrait entraîner de plus en plus de disparités entre les provinces dans les champs de compétences fédérales protégées par la Constitution, ainsi, certaines assemblées législatives provinciales auront de plus en plus de pouvoirs et les droits des citoyens des diverses provinces seront inégales ou inégaux en matière fédérale. N'est-ce pas inquiétante?
Johanne Poirier : Merci. Merci beaucoup de la question. Je vais juste répéter qu'il y a des différences inhérentes dans le système fédéral au Canada, notamment, parce que tellement de domaines relèvent des provinces. Les services aux enfants, les écoles, l'aide sociale, les hôpitaux, tout ça relève des provinces et mise à part des règles de redistribution financières, la péréquation, et cetera, les règles ne sont pas uniformes et les allocations ne sont pas les mêmes et les droits ne sont pas les mêmes, et cetera. On peut trouver que c'est tout à fait honteux et parfois, voilà, ça se défend et très souvent, quand on regarde les politiques publiques ou les droits sociaux, en tout cas, mes étudiants ont tendance à vouloir toujours tout conférer au fédéral et dire il faut que ce soit les mêmes règles pour tout le monde, d'accord? Et donc il faut revenir un peu au BAB du fédéralisme et dire, mais, pourquoi on a un système fédéral et quels sont parfois les avantages du fédéralisme parce qu'on ne les voit pas toujours lorsqu'on voit des disparités qui peuvent être choquantes. Donc ça, c'est en fonction de la répartition des compétences fédérales et provinciales. Maintenant, la question pour davantage sur le droit fédéral dans les domaines fédéraux. Est-ce qu'il peut y avoir de l'application asymétrique dans le cadre fédéral? Est-ce que je découvre en faisant ma recherche, c'est qu'il y en a beaucoup plus que je pensais. Parce que, par exemple, je reviens, donc, vous allez me dire que ce n'est pas aussi choquant quand on parle. Mais encore, moi, je ne suis pas à Terre-Neuve, et cetera. Je vais dire quand on parle des pêcheries et qu'il y a des règlements différents, des règlements fédéraux différents pour chacune des provinces avec des règles différentes, et cetera, parce qu'on tient compte d'une réalité géographique, économique, sociologique, biologique qui est différente. Et donc, quelque part, c'est l'avantage du fédéralisme de pouvoir s'adapter et de ne pas avoir des règles partout. Ce serait assez aberrant que les règles sur les pêcheries soient les mêmes exactement en Saskatchewan et à Terre-Neuve, et donc, qu'il y ait une sorte d'adaptation. Maintenant, lorsqu'on vient à.… lorsqu'on touche à des domaines qui sont peut-être plus sensibles politiquement parce qu'on parle justement de droits sociaux ou de choses plus visées pour l'ensemble des citoyens, à nouveau, il faut avoir ce débat-là, jusqu'à quel point on peut tolérer des différences. Laissez-moi utiliser un… non, ce n'est pas tout à fait… J'allais parler des droits fondamentaux qui peuvent différer d'une province à l'autre et effectivement qu'il diffère d'une province à l'autre parce que la charte s'applique partout. Mais, les droits fondamentaux, ce n'est pas juste la Charte. Il y a des droits protégés par les provinces aussi, et parfois les provinces protègent davantage certains droits et certains droits sont reconnus dans des, entre guillemets, des constitutions provinciales, même si elles n'ont pas codifié entièrement le droit de l'environnement, et cetera. Et parfois, elles ne le sont pas au niveau fédéral, on a une différence. Est-ce que c'est choquant? Peut-être, mais, c'est l'avantage du fédéralisme de pouvoir innover au niveau provincial et parfois des fois, inspiré le fédéral. La question, c'est jusqu'à quel point on permet l'innovation à l'intérieur des compétences fédérales et là, on revient avec l'exemple de la Colombie-Britannique. On peut être choqué que l'exemption n'ait pas été accordée d'office à toutes les provinces, mais, toutes les provinces ne la voulaient pas. Alors, est-ce que c'est mieux de la donner à personne ou de la donner à une province qui le demande, qui se sent prête à gérer une problématique sociale, un problème social criant d'une autre façon et qui demande d'avoir une marge de manœuvre plus grande pour le faire. Et ensuite, si ça fonctionne bien, on le sait, les autres provinces sont en train de regarder ce qui se passe en Colombie-Britannique. C'est un projet pilote de trois ans et donc, la question c'est est-ce que dans trois ans, la Colombie-Britannique soit parce que ce ne sera pas concluant, soit parce qu'elle aura changé de gouvernement, on va dire non, remettez le droit fédéral, on veut avoir le double aspect, et cetera. On veut plus cette exemption ou est-ce qu'elle va le conserver et que d'autres provinces, celles qui le veulent, pourront aussi avoir cette exemption? Tout le monde n'est pas traité de la même façon, mais ce n'est pas nécessairement inéquitable.
Darlene H. Carreau : Merci. J'ai deux questions qui portent sur le même sujet, mais l'une porte sur les droits du travail et de la personne, l'autre, sur l'environnement. Étant donné que nous avons peu de temps, je tenterai de les regrouper. Je crois qu'elles veulent toutes deux savoir ce que vous pensez de la collaboration fédérale-provinciale accrue ou si vous croyez que l'on se dirige vers des régimes complets et coopératifs entre les chefs de compétence fédérale et provinciale dans ces domaines, et combien de temps, selon vous, faudra-t-il avant que cela ne se concrétise. Je crois que le public veut vraiment voir de la coopération et de la collaboration, particulièrement dans les domaines qui sont si importants, comme les droits de la personne et l'environnement. Selon vous, que faudrait-il pour que nous y parvenions? C'est une question super facile, Peter et Johanne.
Peter Oliver : Oui. Pour commencer, nous pourrions peut-être répéter ce que nous avons tous deux fini par dire, à savoir que le fédéralisme coopératif n'est pas une coopération exigée par les tribunaux. En fait, une affaire a été tranchée lorsque le registre des armes à feu a pris fin et le Québec souhaite le maintenir en vigueur. Il s'agissait d'un régime très coopératif, mais lorsqu'une partie déterminait que le registre prenait fin, la cour n'exigeait pas le transfert des dossiers. Donc, si les tribunaux ne sont pas prêts à contraindre la coopération, la réponse semblerait assez simple : au niveau politique, nous devons voter pour les partis quels qu'ils soient qui sont prêts à coopérer sur les enjeux qui, selon vous, sont les plus importants. Cependant, ceux qui ont été mentionnés étaient l'environnement et, quel était le deuxième?
Johanne Poirier : La santé.
Peter Oliver : Et la santé, oui. Je veux dire, certainement.
Darlene H. Carreau : Les droits de la personne et le droit du travail.
Peter Oliver : Les droits de la personne et le droit du travail. Je veux dire, c'est la même réponse, mais je vous remercie de me rappeler l'exemple qui a été mentionné.
Johanne Poirier : Si je puis me permettre, tout le monde veut la coopération, c'est une tarte aux pommes, d'une certaine façon, et nous voulons bien faire le travail. Nous voulons avoir de bonnes politiques. Nous ne voulons pas que des patates chaudes soient lancées d'un côté ou l'autre. Nous ne voulons pas que l'on se renvoie mutuellement la faute. Nous voulons en fait de l'action et de la transparence, et nous devons le demander. Nous avons vu, pendant la pandémie, qu'il n'y avait pas beaucoup d'injures, même lorsqu'il y avait des tensions, et il y a eu beaucoup de coopération très opaque. Nous ne savions pas ce qui se passait derrière ces portes closes. On nous a dit qu'il y avait des réunions, mais nous n'avons jamais su l'objet de ces réunions et nous avions ces différentes conférences de presse, et ainsi de suite. Il y avait donc une certaine coopération, mais elle n'était pas nécessairement très transparente et ne s'est pas vraiment poursuivie une fois cette grande urgence passée. C'est ce que nous voyons dans le domaine de l'environnement à l'heure actuelle, avec la loi fédérale, la protection environnementale et la tarification des émissions de gaz à effet de serre, entre autres. Le gouvernement fédéral tient compte des provinces, dans une certaine mesure. Par exemple, l'ordre fédéral pourrait légiférer en invoquant la prépondérance et imposer des règles aux provinces dans bien des domaines, mais il ne le fait pas. Peut-être qu'il ne le fait pas à cause de la réalpolitik, parce qu'il se heurterait à trop de réactions défavorables et de résistance. Parfois, il ne le fait pas parce qu'il se dit qu'il serait bien de permettre un certain degré de différence entre les provinces afin d'atteindre certains objectifs. Il est toutefois vrai que ce genre de morcellement des domaines stratégiques, où l'on ne sait pas vraiment qui est responsable de quoi, mène à du dédoublement et parfois à des lacunes dans l'élaboration de politique et à une grande quantité de temps de traitement des transactions à négocier. Ce n'est pas nécessairement très efficace.
Permettez-moi de revenir sur la façon dont nous pourrions les forcer à coopérer. Parfois, des parties sont contraintes de coopérer en raison d'une urgence. Nous osons espérer que, parfois, les citoyens demandent de la coopération. Et c'est peut-être ce qui s'est passé, encore une fois, en Colombie-Britannique, lorsque Vancouver a affirmé qu'elle allait le faire elle-même si la Colombie-Britannique ne le faisait pas. Et, tout à coup, la Colombie-Britannique et l'ordre fédéral négocient et trouvent une solution. Donc, cela vient parfois du niveau inférieur et des tribunaux. Il est vrai que nous n'avons pas de principe fédéral de coopération. Je l'ai défendu dans un article obscur traitant de toutes sortes de droit comparatif : peut-être devrions-nous nous inspirer de la loyauté fédérale et d'autres systèmes fédéraux, de sorte que les tribunaux n'aient pas nécessairement à dire aux organes politiques ce qu'elles doivent faire, mais parfois les appeler à retourner à la table de négociation et à travailler de bonne foi.
La Cour a rendu une décision de cinq voix contre quatre. Je veux dire, c'était assez divisé. Par la suite, elle l'a affaibli encore. Je ne dis pas que c'est vers là qu'elle se dirige, mais qui sait ce que la cour peut faire dans 10 ou 15 ans, lorsqu'elle sera aux prises avec de vrais défis de politique? Récemment, la cour constitutionnelle belge, je parle assez librement ici parce que je n'ai pas lu l'affaire, donc j'ai entendu dire que la cour constitutionnelle, bien entendu, dans un contexte bien différent, avait dit aux ordres fédéral et constitutif de négocier et de trouver une solution et elle les a renvoyés à la table au moyen d'une ordonnance. Maintenant, la respecteront-ils ou non? Les tribunaux ont toutefois rendu légitime de contraindre les pouvoirs à agir ensemble, étant donné le morcellement des pouvoirs, afin de relever le défi des changements climatiques. C'est peut-être ce qui se passe. J'aimerais seulement dire, en 30 secondes, de façon très exploratoire, que j'ai suggéré, en ce qui concerne la relation entre la fédération de l'État canadien, la fédération et les provinces, et la relation de cet ensemble avec les peuples autochtones, de rendre la coopération obligatoire.
Il y a des consultations obligatoires, entre autres, entre ceux-ci. Cependant, au sein de l'État canadien, peut-être faudrait-il contraindre les provinces et l'ordre fédéral de coopérer lorsqu'ils consultent les peuples autochtones ou qu'ils touchent aux intérêts des Autochtones? Cela ne devrait pas ressembler à toutes ces compétences divisées et à ce rejet mutuel de la faute. Ils devraient se ressaisir et agir ensemble constitutionnellement. Il faut toutefois que les tribunaux le reconnaissent et il s'agirait là d'un renversement spectaculaire d'affaires précédentes et d'un précédent.
Darlene H. Carreau : C'est merveilleux. Je crois que nous pourrions en parler pendant six heures de plus, mais c'est malheureusement tout le temps que nous avons. Je tiens à remercier Johanne et Peter. Il s'agissait d'un sujet extrêmement important pour mes collègues de la fonction publique fédérale. Merci encore de votre temps et de nous avoir fait profiter de votre expertise pendant cette discussion très stimulante. Vous nous avez sans aucun doute permis de mieux comprendre le fédéralisme, ainsi que les rôles et responsabilités dans notre fédération dans son ensemble et à l'échelle des administrations.
Malheureusement, voilà qui met fin à l'événement d'aujourd'hui. Au nom de l'École, je tiens à remercier notre public d'avoir participé à la discussion d'aujourd'hui. J'espère que vous avez aimé notre événement et que vous vous sentirez inspirés en partant. Même si nous n'avons pas nécessairement pu répondre à toutes vos questions, n'ayez crainte, nous les examinerons avec les évaluations de l'événement d'aujourd'hui lorsque nous planifierons nos prochains événements.
L'École a d'autres événements et cours à vous offrir. Le prochain événement de la série pourrait intéresser bon nombre d'entre vous. Il porte sur la perspective des territoires et a lieu le 18 décembre. Je vous encourage à consulter le site Web de l'École pour vous tenir au courant et vous inscrire à toutes les occasions d'apprentissage futures qui pourraient vous intéresser. Encore une fois, merci et bonne journée à tous. Merci tout le monde! Bonne journée!
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