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Conférence Manion 2018 : Regard sur les États-Unis d'aujourd'hui (FON1-V13)

Description

Cet enregistrement d'événement présente le discours principal de la Conférence Manion 2018, celui de M. Douglas Elmendorf, Ph. D., qui porte sur le discours politique moderne aux États-Unis, les divisions sociales, l'hyperpartisanerie et les points de vue changeants sur le pluralisme.

Durée : 00:28:26
Publié : 27 octobre 2018
Type : Vidéo

Événement : Conférence Manion 2018 : Regard sur les États-Unis d'aujourd'hui


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Conférence Manion 2018 : Regard sur les États-Unis d'aujourd'hui

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Transcription : Conférence Manion 2018 : Regard sur les États-Unis d'aujourd'hui

Taki Sarantakis : Bon après-midi, bonsoir, selon où vous en êtes dans votre journée. Je m'appelle Taki Sarantakis. Je suis le nouveau président de l'École de la fonction publique du Canada et j'ai le grand plaisir de vous accueillir aujourd'hui à la conférence Manion 2018. Au nom de l'École de la fonction publique de Canada j'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les participants de la conférence Manion.

Douglas Elmendorf : Je suis ravi d'avoir l'occasion de présenter la conférence Manion 2018. Je suis heureux de pouvoir vous expliquer du mieux que je peux ce qui se passe aux États-Unis aujourd'hui. Je suis désolé de ne pouvoir prononcer ce discours qu'en anglais. Lorsque j'ai reçu l'invitation du président Sarantakis, j'ai été enchanté pour deux raisons. Soit dit en passant, je ne savais pas que ce serait un jour aussi important au Canada; c'est peut-être une troisième raison. Mais les deux raisons officielles sont, premièrement, que je n'ai jamais eu la chance de visiter la région de la capitale canadienne et que j'avais hâte de remédier à cette lacune un peu gênante. Ma femme Karen Dinen et moi-même sommes enchantés d'être parmi vous aujourd'hui. J'étais également enthousiaste parce que je sais combien les personnes dans cette pièce et celles qui regardent la conférence dans tout le pays ont de l'influence. J'ai passé 20 ans de ma carrière à Washington, à travailler dans le domaine de la politique économique pour le gouvernement américain. J'ai eu le plaisir et le privilège de travailler avec une grande variété de fonctionnaires, des personnes dont les compétences exceptionnelles et l'engagement profond ont eu une énorme influence dans la vie de leurs concitoyens. Et j'ai été particulièrement reconnaissant envers les fonctionnaires qui poursuivent les travaux en cours du gouvernement alors même que les gouvernements se succèdent. Merci pour tout ce que vous faites pour vos communautés, pour le Canada et pour le monde.

Depuis que je suis devenu le doyen de la Harvard Kennedy School of Government, mes relations avec les personnes de talent qui choisissent de travailler pour le gouvernement sont différentes, dans la mesure où je participe maintenant à leur formation plutôt qu'à leurs activités finales. À la Kennedy School, nous enseignons aux élèves à être des décideurs et des leaders publics efficaces et dotés de principes. La passion et les compétences de nos étudiants me donnent beaucoup d'espoir pour l'avenir de la gouvernance. Je trouve très encourageant de voir une nouvelle génération de dirigeants publics répondre à l'appel pour servir le public. Les dirigeants que nous formons viennent du monde entier et retournent dans leur pays une fois leur étude terminée. Près de la moitié des étudiants d'une classe classique de la Kennedy School viennent de l'étranger et représentent environ 90 pays, et nous sommes aussi une école internationale, du point de vue de nos professeurs puisque ceux-ci sont originaires d'un large éventail de pays. Je tiens d'ailleurs à vous remercier pour certaines des exportations les plus remarquables du Canada : les merveilleux étudiants et professeurs canadiens qui sont venus à la Kennedy School. Je crois savoir qu'il y en a quelques-uns parmi nous aujourd'hui et j'espère que j'aurai l'occasion de les saluer après mon intervention. Je citerai juste quelques exemples : Yasha Recci, un de nos récents anciens diplômés puisqu'il a obtenu son diplôme en 2016, mène actuellement une carrière de diplomate et est en poste à l'ambassade du Canada en Thaïlande. Naheed Nenshi, le maire de Calgary, a obtenu son diplôme de la Kennedy School en 1998. Gabrielle Scrimshaw a obtenu son diplôme l'an dernier. Elle est une Canadienne autochtone cofondatrice de l'Aboriginal Professional Association of Canada (Association professionnelle autochtone du Canada) et milite en faveur du leadership et du développement économique des Autochtones. Michael Ignatieff, l'ancien chef du Parti libéral du Canada a enseigné à la Kennedy School pendant plusieurs années avant de devenir recteur de l'Université d'Europe Centrale à Budapest. David Eaves enseigne aujourd'hui à nos étudiants l'utilisation de la technologie dans la gouvernance. Originaire de Vancouver, il a conseillé le gouvernement canadien sur sa stratégie en matière de données ouvertes et a fait partie de l'équipe de consultation sur le gouvernement ouvert de l'Ontario. Je suis fier que toutes ces personnes extraordinaires et tant d'autres encore qui sont associées à l'école Kennedy aient fait tant de bien au Canada et dans le monde.

Pourtant, malgré tout l'excellent et important travail qui a été accompli, par les membres de la communauté de la Kennedy School et par tant de gens, nous sommes réunis à un moment difficile dans l'histoire mondiale. Nous sommes réunis à un moment où de nombreuses personnes ont perdu confiance en leurs dirigeants politiques établis et critiquent ceux qu'ils considèrent comme faisant partie d'une élite, parce qu'ils les jugent égoïstes. Nous sommes réunis à un moment où de nombreuses personnes se sentent laissées pour compte par la montée de la mondialisation dans les affaires économiques. Nous sommes réunis à un moment où les grandes institutions démocratiques sont menacées dans plusieurs pays. Nous sommes réunis à un moment où l'ordre international, bâti petit à petit au fil des décennies suivant la Deuxième Guerre mondiale, est en train de se désagréger en quelque sorte. Bien des événements qui se déroulent aujourd'hui dans le monde, dans mon pays, devraient nous préoccuper profondément. Je reste toutefois profondément optimiste quant à l'avenir et à la capacité des gens de bonne volonté à construire un monde meilleur.

Donc, avec ce sentiment mêlé d'inquiétude et d'optimisme, permettez-moi de vous exprimer mon point de vue sur ce qui se passe aux États-Unis aujourd'hui et sur ce qui devrait, selon moi, advenir ensuite. Il s'agit bien sûr d'un sujet très vaste et, pour que la discussion soit un tant soit peu gérable, j'ai décidé d'articuler mon intervention en fonction de certains schismes profonds que l'on observe aujourd'hui aux États-Unis, et des moyens qui, selon moi, devraient nous permettre de les surmonter. Les États-Unis d'aujourd'hui sont plus divisés et polarisés qu'ils ne l'ont jamais été depuis au moins 50 ans. Vous pouvez voir ce phénomène dans de nombreux aspects de la société américaine. Soit dit en passant, je suis conscient qu'il est un peu étranger d'être au Canada, en Amérique du Nord, et d'utiliser le terme Américain pour mes compatriotes. Je me rends compte que cela constitue une forme d'impérialisme que je regrette, mais le terme est pratique et je vais continuer à l'employer aujourd'hui.

Aux États-Unis, l'allégeance la plupart des personnes envers leur parti politique, tout comme leur méfiance envers l'autre grand parti, sont devenues particulièrement fortes. Un nombre sans précédent de républicains considère le Parti démocrate comme une menace pour le bien-être de la nation, et l'inverse est tout aussi vraie. Cette attitude déteint sur les opinions de chacun pour toutes sortes de sujets. Par exemple, la confiance des démocrates dans l'économie américaine a fortement chuté au cours des dernières années, tandis que la confiance des républicains a augmenté, même si, en fait, l'économie américaine progresse à peu près comme par le passé. Plus de personnes disent aujourd'hui qu'elles seraient très mécontentes si leurs enfants épousaient quelqu'un qui n'adhérait pas à leur parti politique; une sorte d'opprobre que l'on associait plus généralement aux appartenances religieuses, par exemple. Et dans un contexte où les affiliations politiques traditionnelles sont de plus en plus associées à d'autres caractéristiques, nous constatons que les tendances électorales et les attitudes politiques sont inhabituellement polarisées selon que vous êtes un homme ou une femme, que vous avez fait des études collégiales ou non, que vous habitez en milieu rural ou urbain, et ainsi de suite.

Il est toutefois important de rappeler que les divisions entre les Américains ne sont pas nouvelles. Il y a souvent eu des tensions importantes dans notre pays, des tensions entre des Américains ayant des caractéristiques personnelles différentes et des visions différentes pour le pays. C'est ainsi que nous avons connu des tensions constantes entre les tendances protectionnistes et le désir de s'engager à l'échelle internationale; entre le désir de progrès et celui de revenir au « bon vieux temps »; entre les perspectives populistes et élitistes; entre les habitants des villes et les populations rurales; entre la méfiance envers l'État omniprésent et les grandes entreprises et la confiance envers les grandes institutions; entre la défense des intérêts américains immédiats et celle des valeurs fondamentales américaines; entre une attitude pluraliste en faveur des possibilités offertes aux nouveaux immigrants et une attitude nativiste visant à protéger les immigrants plus anciens.

L'une des grandes forces des démocraties comme les États-Unis et le Canada, c'est qu'elles permettent à des visions opposées de s'exprimer. Le romancier britannique E. M. Forster, qui a également écrit un certain nombre d'essais politiques et d'émissions antinazies dans les années 1940, a écrit ce qui suit : « Deux hourras pour la démocratie; le premier parce qu'elle admet la diversité et le second parce qu'elle admet la critique ». Mais E. M. Forster savait que la démocratie n'était pas toujours à la hauteur, et c'est pour cela qu'il ne lui a pas donné trois hourras. Et l'une des principales lacunes de la démocratie, c'est que la diversité des visions d'un pays peut s'accroître et que des personnes aux visions opposées peuvent devenir incapables de surmonter ces divisions dans le cadre du fonctionnement normal de leur système démocratique.

Aux États-Unis, nos divisions se sont accrues, surtout au cours de la dernière décennie, et nous n'avons pas encore trouvé les moyens de les surmonter ou de progresser efficacement malgré elles. Permettez-moi de préciser ce que sont, selon moi, les trois principales sources de division aux États-Unis, puis de vous faire part de mes réflexions sur la façon dont, à mon avis, nous pourrons finalement réussir à aller de l'avant. Vous reconnaîtrez que bon nombre des facteurs à l'origine de l'accroissement des divisions aux États-Unis ont eu des effets similaires dans d'autres pays. Mais mon intervention portera essentiellement sur le pays que je comprends le mieux.

L'inégalité économique grandissante est un facteur à l'origine de divisions croissantes aux États-Unis. Notre système économique n'a pas véritablement bénéficié aux Américains à revenu faible ou moyen au cours des dernières décennies. En particulier, les Américains qui sont moins instruits ou qui vivent dans certaines régions du pays ont eu beaucoup moins de possibilités économiques et ont beaucoup moins amélioré leur niveau de vie que les Américains qui sont plus instruits ou vivent dans d'autres régions. En outre, les écarts croissants dans le niveau de revenu se traduisent aussi par un écart grandissant dans l'espérance de vie et d'autres indicateurs sociaux. L'espérance de vie des Américains qui ont mon âge et se situent dans la partie supérieure de l'échelle des revenus est en moyenne beaucoup plus grande que celle de leurs parents, tandis que celle des Américains de mon âge qui se situent dans le tiers inférieur de l'échelle des revenus ne dépassera pas, en moyenne, celle de leurs parents. En effet, les économistes Anne Case et Angus Deaton ont montré que le taux de mortalité des Blancs non hispaniques moins instruits a grimpé aux États-Unis au cours des dernières décennies, contrairement au taux de mortalité d'autres groupes américains et de la population de nombreux autres pays. Anne Case et Angus Deaton attribuent cette statistique en partie à une augmentation de ce qu'ils appellent les « décès du désespoir » dus à l'alcool, aux drogues et au suicide.

Les changements socioculturels sont un deuxième facteur, probablement plus important, à l'origine de l'accroissement des divisions entre les Américains. Les femmes, les personnes de couleur, les personnes LGBTQ et d'autres groupes qui ont été victimes de discrimination et marginalisés par le passé aux États-Unis sont maintenant, en moyenne, dans une position un peu plus forte dans notre société. Ces changements étaient attendus depuis très longtemps et sont loin d'être achevés, mais ils sont réels. Comme ces changements ont rendu les États-Unis plus équitables, ils ont abaissé le statut relatif d'autres personnes, et certaines d'entre elles sont mécontentes de la situation et veulent défendre leur sentiment d'identité. En outre, d'autres personnes, qui ne s'opposent pas aux changements dans notre société, s'opposent à ce qu'elles considèrent comme un intérêt croissant pour l'identité démographique aux États Unis. Ainsi, les changements socioculturels qui font évoluer les États-Unis dans la bonne direction et réduisent certaines divisions en ont malheureusement accentué d'autres.

Par ailleurs, la part de la population américaine née à l'étranger est aujourd'hui à son plus haut niveau depuis un siècle. La plus grande diversité de langues, de nourriture et de cultures qui en résulte est passionnante pour bon nombre d'Américains, mais déconcertante pour d'autres, qui craignent de perdre les coutumes et le mode de vie qu'ils connaissent. De plus, dans l'esprit de certains, les changements sociaux et économiques que j'ai décrits vont de pair. Des études montrent qu'en 2016, aux États-Unis, les électeurs blancs avaient tendance à voir les préoccupations économiques sous un angle lié à la race, en ce sens qu'ils évaluaient d'une certaine façon leur situation en la comparant à celle des membres de certains groupes minoritaires.

Enfin, le troisième facteur qui a contribué à accentuer les divisions entre certaines personnes aux États-Unis, c'est le fait que plusieurs de nos dirigeants publics ont intensifié volontairement les divisions pour leurs bénéfices politiques à court terme. Ils l'ont fait en partie à cause de la façon dont ils se sont traités les uns les autres. Michael Ignatieff, dont j'ai parlé plus tôt, écrivait il y a quelques années dans le New York Times : « Pour que les démocraties fonctionnent, les politiciens doivent faire la différence entre un ennemi et un adversaire. Un adversaire est quelqu'un que vous voulez battre. Un ennemi est quelqu'un qu'il faut anéantir ». De plus en plus d'élus américains traitent aujourd'hui certains autres élus comme des ennemis à anéantir et d'autres traitent les électeurs adverses comme des ennemis qu'il faut aussi vaincre. Un nombre plus important de nos élus ont également accru les divisions dans le pays en sapant les institutions clés de la démocratie américaine qui ont contribué à nous maintenir unis. Ces dirigeants suppriment le vote à l'aide de diverses techniques. Ils méprisent les règles du droit, ignorent les faits et attaquent notre presse libre, même si le vote, les règles du droit, les faits et la presse sont les pierres angulaires de notre système démocratique. De plus, plusieurs élus américains attisent ouvertement les flammes de la discrimination et du sectarisme, ce que nous n'avions pas vu depuis au moins un demi-siècle.

Dans l'ensemble, je vois donc trois facteurs principaux expliquant l'accroissement des divisions que connaissent les États-Unis : l'aggravation des inégalités économiques, les changements socioculturels et les stratégies politiques délibérées. Bien sûr, ces trois facteurs ne sont pas les seuls qui pèsent aujourd'hui sur la vie politique et les politiques américaines. Au lendemain d'une grave crise financière et d'une profonde récession, et alors que les États-Unis sont engagés dans une guerre apparemment sans fin à l'étranger, de nombreux Américains ont des raisons légitimes d'être frustrés par le système économique et politique. Les gens ont des raisons légitimes de penser que de nombreux membres de l'élite favorisent leur propre bien-être, plutôt que de viser le bien commun; que la mondialisation a bénéficié à des intérêts particuliers plutôt qu'à des intérêts généraux; que les experts ont souvent tort. Ceux d'entre nous qui ont la chance d'occuper des postes d'influence doivent prendre ces préoccupations au sérieux et y répondre. Cela signifie, entre autres, qu'il faut écouter les gens qui n'appartiennent pas à nos bulles habituelles, essayer de comprendre leurs points de vue et chercher des moyens de travailler au-delà des différences sur un éventail de questions.

Mais j'aimerais continuer maintenant à mettre l'accent sur les trois facteurs de division que j'ai soulignés. Quelle est la prochaine étape pour les États-Unis? Eh bien, nous devons surmonter ces divisions et je suis persuadé que, dans l'ensemble, nous y parviendrons. Mais ce processus ne sera ni rapide, ni facile, ni total. Je m'explique.

Je commencerai de nouveau par les divisions qui résultent des forces économiques. Les changements technologiques qui favorisent les personnes plus instruites et la mondialisation de l'activité économique sont les principales forces qui ont entraîné des inégalités de salaire de plus en plus criantes aux États-Unis. Ces deux forces devraient se maintenir au cours des prochaines décennies tout comme elles l'ont fait au cours des dernières décennies. L'utilisation de plus en plus répandue de la technologie numérique ainsi que l'explosion que connaîtra prochainement l'intelligence artificielle vont continuer de bénéficier aux personnes plus instruites. Et même une guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, si elle devait avoir lieu, n'arrêterait pas la mondialisation. La technologie et les échanges mondiaux continueront de faire augmenter le revenu global des États-Unis, comme cela a été le cas par le passé. Le défi que nous n'avons pas relevé, c'est de faire augmenter significativement le revenu de tous les Américains.

J'ai longuement parlé ailleurs des approches qui permettraient aux États-Unis de parvenir à une croissance plus inclusive du revenu. Selon moi, en voici les principaux piliers : accroître l'investissement public dans l'éducation et la formation des personnes qui n'ont pas aujourd'hui un bon accès à l'enseignement et à la formation; améliorer les emplois qui sont habituellement occupés par des personnes moins instruites et moins formées; élargir les programmes publics destinés aux Américains à revenu faible et moyen, plutôt que de les restreindre; accroître les investissements publics dans les infrastructures; et mettre en œuvre des politiques réglementaires protégeant les personnes des pratiques commerciales déloyales. Aucune de ces approches ne réduira à elle seule l'inégalité grandissante, mais ensemble, elles peuvent avoir des répercussions importantes.

Malheureusement, pour être honnête, je pense qu'il y a peu d'espoir que nous avancions dans cette direction à court terme. Malgré la rhétorique populiste du président Trump, les politiques économiques défendues par son administration et les leaders républicains du Congrès n'ont pas, de manière générale, aidé les Américains à revenu faible ou moyen. Les baisses d'impôt ont principalement profité aux Américains à revenu élevé. Les annulations réglementaires et les différends en matière de commerce extérieur ont surtout profité à quelques secteurs et ouvriers américains tout en accroissant les risques pour d'autres. Pour ce qui est des efforts continus visant à sabrer les programmes gouvernementaux, le subventionnement de l'assurance maladie nuit aux Américains à revenu faible et moyen plus qu'il ne les aide.

Cependant, je suis beaucoup plus optimiste pour le moyen et le long terme. Je pense que nous constatons, chez public des deux côtés de l'arène politique américaine, un intérêt croissant pour des politiques susceptibles de favoriser une croissance inclusive. Au fur et à mesure que l'intérêt grandira et que les dirigeants publics essaieront de l'alimenter, nous pourrons recommencer à faire des progrès pour remédier aux clivages économiques. Les forces socioculturelles constituent le deuxième facteur de divisions dont j'ai parlé précédemment. J'ai mentionné que ces forces étaient probablement un facteur plus important que les forces économiques pour ce qui est de l'accroissement des divisions aux États-Unis. L'analyse de l'élection de 2016 semble indiquer que les opinions sur l'identité, comme la race et le sexe, ont plus d'importance en matière de tendances électorales que les opinions économiques, en partie parce que les positions des candidats sur les questions d'identité étaient profondément différentes. Malheureusement, les divisions causées par les forces socioculturelles sont beaucoup plus difficiles à régler que celles causées par les forces économiques. On ne reviendra pas en arrière en ce qui concerne les changements qui ont finalement permis aux femmes, aux Afro-Américains et aux autres personnes exclues de certains aspects de notre société de jouer des rôles plus importants et plus appropriés. De nombreuses personnes se félicitent de cette évolution, bien sûr. Mais d'autres continueront de s'opposer à ce qu'ils considèrent comme une focalisation mal venue sur l'identité démographique. D'autres encore résisteront consciemment ou non aux changements et écouteront de façon positive les dirigeants qui soutiennent qu'un retour aux normes sociales antérieures est possible et souhaitable. Les divisions autour de ces changements socioculturels persisteront.

Pour les immigrants, je crains que les États-Unis n'entrent dans une longue période de repli sur soi. La dernière fois que les immigrants ont représenté une part aussi importante de la population américaine, le pays a imposé des restrictions strictes à l'immigration qui n'ont pas été assouplies pendant 40 ans. Je ne pense pas que nous allons connaître un contrecoup de cette ampleur, car je crois que de nombreux Américains comprennent le rôle positif crucial que jouent les immigrants dans notre société. Mais en tant que citoyen, en tant que personne étudiant la croissance économique et en tant que dirigeant d'un établissement d'enseignement dans lequel les étrangers jouent un rôle essentiel, je suis très préoccupé par cette perspective d'un repli sur soi des États-Unis.

Le troisième facteur de division que j'ai relevé était cette stratégie politique délibérée visant à intensifier les divisions et à saper le soutien du public envers les institutions qui contribuent à préserver notre unité. Ces stratégies semblent bien fonctionner dans certaines élections aujourd'hui, en particulier lors des élections primaires auprès des électeurs d'un parti, dans les États ou les circonscriptions parlementaires ou dans les États où un parti a une position largement dominante. L'efficacité manifeste de ces stratégies pour certains élus et candidats encourage d'autres élus et candidats à faire de même. Le dénigrement de la culture politique que nous avons constaté ne sera pas facile à inverser. Il est malheureusement beaucoup plus facile de miner la confiance et d'abattre les institutions que de gagner la confiance et d'édifier les institutions.

David Brooks, un chroniqueur du New York Times, a écrit il y a un an : « Jour après jour, Trump nous transforme en une nation composée de planètes différentes. Chaque planète se sent meilleure que les autres, est isolée des autres planètes et offensée par elles. » Et le journaliste EJ Dionne, aujourd'hui professeur invité à Harvard, a écrit dans un de ses articles du Washington Post : « À l'ère du président Trump, la politique en est réduite à un spectacle ridicule et démoralisant. Nous hurlons, nous pleurons, nous rions amèrement. Nous ne réfléchissons pas vraiment! » Cette frustration croissante ressentie par de nombreuses personnes et la diminution du nombre de discussions constructives entre des gens qui ne partageant pas le même point de vue constituent un enjeu très sérieux. Je suis néanmoins convaincu que les États-Unis renoueront au fil du temps avec une culture politique positive, et ce, pour trois raisons. Tout d'abord, les principales institutions de notre démocratie ont résisté aux attaques qui leur ont été portées. La primauté du droit a été attaquée, mais nos organismes d'application de la loi et nos tribunaux font toujours leur travail. La presse libre a été attaquée, mais je continue de lire, chaque jour, des articles de journalisme importants. Les faits sont parfois ignorés, mais l'organisme gouvernemental que je dirigeais produit tout de même des estimations sur les propositions de changements à apporter à notre système national d'assurance-maladie qui importaient énormément à l'opinion publique et pour le vote du Congrès. Et si les efforts visant à supprimer le vote se poursuivent, ils sont contrés par des initiatives visant à augmenter l'inscription sur les listes électorales, à redonner de l'importance au recensement pour assurer une meilleure représentation politique, et à garder les bureaux de vote ouverts pour réduire les remaniements arbitraires des circonscriptions. Je ne sous-estime pas la gravité des attaques contre nos institutions, mais je suis impressionné par leur résilience et par celle des fonctionnaires qui les font avancer.

La deuxième raison pour laquelle nous allons retrouver une culture politique positive aux États-Unis tient au fait que nombre de dirigeants et de citoyens cherchent davantage à comprendre ce que leurs concitoyens veulent pour notre pays. Ces efforts prennent différentes formes. Certaines personnes écoutent davantage les sources d'information privilégiées par les membres du parti politique adverse et contactent les gens pour échanger leurs points de vue. Et cela se passe aux États-Unis de diverses façons. En effet, l'un des objectifs de la Kennedy School cette année est d'acquérir des compétences plus solides en matière de désaccords civils et d'échanges constructifs avec des personnes avec lesquelles on n'est pas immédiatement d'accord. Et E.J. Dionne, dans l'article que je viens de citer, a aussi attiré l'attention sur « les débats silencieux et intellectuellement sérieux qui se déroulent dans tout le pays, des débats dont la vertu est de nous encourager tous à exprimer des points de vue nuancés et à établir un véritable dialogue ». D'autres personnes essaient de réorienter les programmes politiques de leur parti pour qu'ils tiennent davantage compte des opinions réelles des électeurs et des opinions réelles des personnes qui ne votent pas. Donald Trump et Bernie Sanders sont la preuve vivante que beaucoup de gens, quelle que soit leur allégeance politique, ne se sentent pas bien représentées par les chefs établis des partis.

Un de mes collègues m'a parlé d'un sondeur canadien, Michael Adams, qui a rédigé en 2005 un livre intitulé American Backlash : The Documents That Divide and the Values Held by US Voters and Non-Voters. Il a écrit : « Les valeurs des personnes désengagées politiquement témoignent d'un manque flagrant d'idéalisme. Ces Américains semblent rejeter à la fois les visions républicaines et démocrates du bien-vivre et de la communauté idéale. » Et nous commençons à peine à accorder de l'attention aux opinions des personnes qui se désintéressent de notre système politique.

Enfin, la troisième raison pour laquelle je suis convaincu que nous allons renouer avec une culture politique positive, c'est que les Américains favorisent de façon générale les dirigeants positifs et tournés vers l'avenir. John Kennedy et Ronald Reagan ont gagné leur place dans le cœur des Américains grâce à leur grande amabilité, à leur ouverture d'esprit et à leurs messages optimistes et largement attrayants concernant l'avenir. En revanche, la rhétorique sombre de Donald Trump et ses visions étroites orientées vers le passé lui ont valu une faible cote de popularité, malgré les conditions économiques favorables que nous connaissons aujourd'hui. Je m'attends donc à ce qu'un chef de file américain pouvant offrir des messages positifs et tournés vers l'avenir finisse par l'emporter.

En résumé, je suis convaincu que les États-Unis surmonteront les divisions inhabituellement élevées qu'ils connaissent aujourd'hui et qu'ils iront de l'avant dans l'unité, même si ce processus prendra du temps et nécessitera un travail acharné de la part de beaucoup de personnes. Ceux d'entre vous qui nous regardent depuis d'autres pays, y compris le Canada, devraient contribuer en ce sens. Vous devez également ne pas oublier que la grande majorité des Américains sont toujours très attachés à entretenir des relations solides avec nos amis et alliés d'autres pays, y compris, bien sûr, avec la population canadienne. Un sondage mené l'été dernier auprès d'Américains a révélé que 70 pour cent d'entre eux pensent qu'il est préférable pour les États-Unis de prendre part de façon active aux affaires mondiales. Environ le même nombre de personnes interrogées pensent qu'il est plus important que nous soyons admirés plutôt que craints dans le monde. Enfin, pratiquement autant de personnes conviennent que les États-Unis devraient être disposés à prendre des décisions au sein des Nations Unies, même si celles-ci ne sont pas celles que nous préférons. De plus, quatre Américains sur cinq estiment que le commerce international est bon pour l'économie américaine, un pourcentage plus élevé que dans des sondages similaires réalisés au cours des deux années précédentes. Après le combat embarrassant au sujet de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et l'entrée en vigueur, espérons-le, d'une version révisée du traité de l'ALENA, j'espère que les relations entre le Canada et les États-Unis retrouveront pleinement leur caractère positif, naturel et nécessaire.

J'aimerais terminer sur une autre note positive au sujet de l'importance du rôle des fonctionnaires comme vous qui êtes assis dans cette pièce ou qui regardez cette conférence d'un bout à l'autre du pays. Nous avons récemment recruté à la Kennedy School une femme nommée Wendy Sherman, une ancienne sous-secrétaire aux affaires politiques des États-Unis. Parmi les nombreuses réalisations de Wendy dans les dossiers nationaux et étrangers aux États-Unis, elle a dirigé l'équipe américaine qui a négocié l'accord nucléaire iranien. Et dans ses mémoires récemment publiés, intitulés Not For The Faint of Heart, Wendy a écrit ce qui suit : « Aucune de mes fonctions publiques ne s'accomplissait en solitaire. Je remercie toutes les équipes, américaines mais aussi étrangères, dont j'ai fait partie tout au long de ma carrière, pour leur service extraordinaire. Les fonctionnaires, et en particulier les diplomates, ont été violemment critiqués récemment aux États-Unis. Ce n'est que lorsque nous serons confrontés à leur absence que nous comprendrons pleinement à quel point les diplomates sont essentiels à notre démocratie et à notre pays. » Tous les fonctionnaires talentueux et dévoués sont essentiels à nos démocraties, à nos collectivités et à nos nations ainsi qu'à la qualité de notre vie. Je vous remercie encore une fois pour tout ce que vous faites et continuerez de faire dans la fonction publique, et de m'avoir invité à prendre la parole aujourd'hui. Merci beaucoup.

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