Transcription
Transcription : Extraits vidéo : Conférence avec la chercheuse invitée dans le cadre de l'Initiative Jocelyne Bourgon 2022
[Le logo de l'École de la fonction publique du Canada (EFPC) apparaît à l'écran. Un titre apparaît à l'écran et indique: « Conférence avec la chercheuse invitée dans le cadre de l’Initiative Jocelyne Bourgon – Jocelyne Bourgon Visiting Scholar Lecture. » Un titre apparaît à l'écran et indique: « Le 31 mai 2022, Rachel Zellars, Ph. D., première chercheuse invitée à l’École de la fonction publique du Canada, a donné une conférence intitulée Place aux Canadiennes et Canadiens noirs dans la fonction publique, point culminant des recherches et des entrevues qu’elle a menées au cours de son mandat. La conférence a été suivie d’une discussion entre spécialistes sur le recoupement de l’avancement professionnel et de la représentation des personnes noires, ainsi que sur les moyens de soutenir l’Appel à l’action en faveur de la lutte contre le racisme, de l’équité et de l’inclusion dans la fonction publique fédérale, lancé par le greffier du Conseil privé. »]
Beaucoup se sont demandé « pourquoi mettre l'accent sur la condition des Noirs en ce moment? »
Le mérite
Je crois que la réponse à cette question réside dans l'histoire de notre pays, mais aussi dans l'histoire de la fonction publique.
Le mérite n'est pas une procédure « figée » ou progressive, mais plutôt un principe directeur. Et l'on comprend davantage l'idée du mérite lorsque l'on observe la façon très inégale et discriminatoire dont il a été appliqué, comme l'illustre l'étude de l'histoire du mérite dans la fonction publique.
Mais le mérite est, en réalité, une protection institutionnelle et un algorithme, administré par ceux qui sont au pouvoir... qui reflète les normes sociales et les modalités dominantes de discrimination dans notre société. Historiquement, le mérite est un élément malléable et changeant.
Ainsi, la barre du mérite est élevée pour ceux qui font face à un plus grand niveau de discrimination dans une société, Le mérite est façonné par l'ensemble des préjugés, intentionnels et non intentionnels, qui nous habitent.
Au cours du siècle dernier, le principe du mérite dans la fonction publique a constitué un idéal profondément imparfait, parfois employé de manière très large, et même discriminatoire. Il est aussi, forcément, le reflet de notre époque. Compte tenu de l'approche tournée vers l'avenir qu'adopte l'Appel à l'action pour lutter contre le racisme envers les Noirs dans la fonction publique, que pourrait révéler une étude du mérite à propos du caractère inébranlable du racisme envers les Noirs au cours du dernier siècle? Plus précisément, le traitement du mérite en ce qui a trait aux vétérans, aux femmes et aux Québécois francophones illustre bien la volonté d'exclure les Canadiens noirs de la fonction publique.
Les vétérans
L'historienne Kathy Grant estime qu'entre 3 000 et 4 000 Canadiens noirs ont fait partie de l'armée pendant les Première et Deuxième Guerres mondiales. Mais ces milliers de vétérans sont retournés dans des collectivités où ils ont été confrontés à la ségrégation et à la discrimination, en particulier dans le domaine de l'emploi.
Ces hommes fiers ne bénéficiaient pas d'un accès préférentiel aux emplois de la fonction publique fédérale, comme c'était le cas pour les vétérans blancs.
Le principe du mérite s'est largement étendu, pour créer une catégorie préférentielle pour les vétérans canadiens blancs et leurs veuves pendant la Première Guerre mondiale. Mais les hommes noirs ont servi le Canada et l'ont payé de leur corps et de leur vie, eux aussi. Pourtant, pour ces vétérans noirs, la barre du mérite a été placée très haut, afin de les empêcher, ainsi que leurs familles, de recevoir les avantages matériels que l'État réservait aux vétérans blancs.
Les Femmes
Parmi les douzaines de consultants qui ont fourni des informations qualitatives et quantitatives à la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme, et au cours de près de 500 consultations, les auteurs n'ont inclus aucune information provenant de femmes noires ou les concernant ni consulté aucune des centaines d'organisations, de centres communautaires et d'églises dirigés par des Noirs qui existaient partout au Canada en 1970. Des consultations ont été menées au Québec, mais aucun effort n'a été fait pour inclure les femmes haïtiennes, dont beaucoup étaient des organisatrices et des leaders au sein de leurs communautés.
Comme l'a résumé un chercheur, « les femmes et les vétérans constituent deux groupes d'employés potentiels qui mettent en lumière la nature contestée du mérite ». Pour les femmes noires, cependant, l'histoire passée laisse présager à quel point la barre du mérite sera élevée au moment d'intégrer la fonction publique.
Les Québécois francophones
En 1969, la Loi sur les langues officielles fédérale faisait du français et de l'anglais les langues officielles du Canada. Pourtant, il est évident que ces premiers ministres et auteurs de commissions royales avaient à l'esprit des francophones blancs, malgré la diversité raciale de la population francophone du Canada au début des années 1960.
Lorsque la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme a soumis son rapport final et ses recommandations au gouvernement canadien, elle l'a fait en s'appuyant sur le présupposé de l'appartenance à la condition blanche, qui n'incluait pas les Haïtiens dans les catégories de francophones ou de Canadiens français... et qui, surtout, ne tenait pas compte de la participation des Haïtiens francophones à la fonction publique fédérale.
Voilà donc ma réponse à la question de savoir pourquoi la condition des Noirs doit faire l'objet d'une attention particulière, de sa propre étude et de ses propres moyens à ce moment de l'histoire de la fonction publique. Suivre les corps. C'est la meilleure façon, je crois, d'appréhender la tâche à laquelle l'Appel à l'action convie les dirigeants de la fonction publique. « Pour encourager et soutenir les voix qui ont longtemps été marginalisées au sein de notre organisation, créer des possibilités là où elles ont longtemps été absentes, nous devons prendre des mesures directes, concrètes, pour susciter le changement. Il s'agit d'un véritable test de leadership, et nous devons le relever. Dès maintenant. »
[Le modérateur John Medcof et les panélistes Dr Zellars, Paula Folkes-Dallaire et Gaveen Cadotte apparaissent dans un panneau de chat vidéo.]
Discussion de groupe
Gaveen Cadotte : Pendant des décennies, le mérite, la façon dont il était défini implicitement et explicitement et la façon dont il était évalué ont été décidés par ceux qui détenaient le pouvoir et les privilèges. Comme le soulignent Luc Juillet et Ken Rasmussen dans leur livre intitulé Defending the Contested Ideal, le système du mérite a engendré une fonction publique dominée par des hommes blancs anglophones. Ce système créait des obstacles pour de nombreux Canadiens.
Aujourd'hui, nous avons cet appel à l'action explicite en faveur de la lutte contre le racisme, de l'équité et de l'inclusion dans la fonction publique fédérale, demandant aux dirigeants de prendre des mesures qui mèneront à un changement systémique en nommant des Noirs au sein du groupe de direction, en parrainant et en préparant des fonctionnaires noirs pour des rôles de direction, et en soutenant et en recrutant des Noirs dans toutes les régions du Canada. Cet appel tient vraiment compte du fait qu'il y a encore du travail à faire pour donner des chances égales aux Noirs et assurer l'équité.
Paula Folkes-Dallaire : Ce qui m'a le plus marquée est de voir que le mérite a été utilisé comme une sorte d'échelle mobile tout au long de l'histoire, comme une barre de limbo que l'on abaisse pour rendre le passage plus difficile pour certains et qu'on relève pour rendre le passage plus facile pour d'autres. Jamais il n'a été employé comme un outil positif permettant de promouvoir l'équité pour les Canadiens noirs.
En 2021, 41,1 % des Canadiens noirs âgés de 25 à 54 ans détenaient un baccalauréat ou un diplôme supérieur, par rapport à 34,2 % du même groupe d'âge non racisé. C'est une différence de 7 %. Donc, si les critères de mérite concernent vraiment des choses comme les qualifications et les études, selon cet indicateur, nous devrions voir une surreprésentation des Canadiens noirs dans la fonction publique fédérale, et non une sous-représentation.
Gaveen Cadotte : Nous devons nous remettre en question, nous, les gestionnaires d'embauche et les participants aux comités d'évaluation. Est-ce qu'on sous-estime l'expérience de leadership si elle est acquise en dehors de la fonction publique pour les candidats noirs, si elle est acquise dans un organisme communautaire, s'il s'agit de travail bénévole, s'il s'agit d'expérience à l'extérieur du Canada? Avons-nous une notion prédéfinie de ce que signifie « professionnel »? Cette notion est-elle étroite ou inclusive? Sommes-nous ouverts à ce que le travail soit accompli différemment? Aux gens qui expriment leurs idées différemment? Est-ce que nous interprétons mal le concept d'adéquation à la culture organisationnelle et le confondons avec le fait d'avoir un groupe homogène?
Paula Folkes-Dallaire : Nous avons besoin de plus de données désagrégées pour soutenir les stratégies de mesure du rendement et pour garantir que l'histoire des Noirs, des Autochtones et des autres Canadiens racisés et marginalisés est racontée.
En raison du racisme envers les Noirs et de la xénophobie en particulier, nous avons besoin d'une version pour les Noirs du rapport Unis dans la diversité : une voie vers la réconciliation qui a été préparé pour la réconciliation avec les peuples autochtones au Canada.
Nous avons besoin d'une enquête et d'un rapport de la Commission royale sur le fait d'être noir dans la fonction publique fédérale et au Canada.
[Le clavardage vidéo s'estompe au logo de l'EFPC. Le logo du gouvernement du Canada apparaît et devient noir.]